logo_frustration
U

Dans une émission face à Laurent Ruquier et Léa Salamé, Eric Zemmour s’est promis de réunir la bourgeoisie de droite CSP+ et les classes populaires de droite, recette qui fit ses preuves au siècle dernier et qui, si elle réussit, permet effectivement à l’extrême droite de parvenir au pouvoir. Pourtant, à en croire la jeune garde militante de la “Génération Z”, le mouvement né en faveur de sa candidature, s’il réussit bien à attirer les premiers, les seconds en sont fortement absents. En effet, Zemmour, qui semble être particulièrement obsédé par les prénoms, ne paraît être entouré que par des Stanislas d’école de commerce et des Jean-Eude de Sciences Po. Et pour cause.

Des millions d’ouvriers, travailleurs précaires et chômeurs rassemblés pour soutenir la candidature d’Eric Zemmour. 

La pensée d’Eric Zemmour, celle du “très grand intellectuel de la droite française” est largement connue et a l’avantage, malgré son immense complexité, de pouvoir être résumée assez correctement et sans trahir l’esprit génial de son auteur, en deux ou trois phrases. 

Tentative : la France est chrétienne et blanche par essence. Les musulmans et autres étrangers violents et fanatisés veulent, et réussiront, à remplacer les vrais Français si nous n’agissons pas. Il faudrait alors, comme il le disait à un journaliste italien, les déporter (“par avion ou par bateau”, précisait-il), ou à minima stopper toute immigration, etc. Tout a été dit sur ces positions et chez Frustration, nous pensons que rien ne sert d’ajouter du bruit au bruit et de participer au petit jeu qui consiste à s’effaroucher chaque fois qu’un éditiorialiste droitard et un intellectuel bourgeois de seconde zone lève le doigt, les laissant ainsi polariser le conflit autours de leurs thématiques. Toutefois, Eric Zemmour est désormais un quasi-candidat à la présidence de la République. Un point mort de son discours, et probablement de son programme à venir, attire alors notre attention : quelle est la pensée sociale d’Eric Zemmour ? Quelles sont ses positions sur l’économie, c’est-à-dire sur ce qui détermine une grande partie de nos vies ? On ne sait généralement rien, ou si peu, de sa “pensée” sur le sujet. Elle existe pourtant, et spoiler… ce n’est pas bien glorieux. 

Eric Zemmour combat l’oligarchie mondialisée mais (étrange), celle-ci semble beaucoup l’apprécier

Une des premières démarches de Zemmour pour préparer sa candidature aura donc été de faire s’agglutiner le patronat autour de lui. La Lettre A nous apprend que ce dernier a rencontré des tas de grands patrons en juin chez Stanislas DE Bentzmann, un “entrepreneur” richissime. Parmi eux : Henri DE Castries, l’ancien patron de l’assureur Axa et du think tank ultralibéral Institut Montaigne et Nicolas DE Tavernost, boss de M6, ainsi que Bernard Delpit, numéro 2 de Safran. L’affection réciproque entre Zemmour et les riches patrons n’est pas neuve, en témoigne l’incroyable fidélité de Vincent Bolloré, pourtant pas avare en licenciements expéditifs, qui soutient le chroniqueur d’extrême droite envers et contre tous, en faisant même la star de sa chaîne d’information CNews. 

Les mondialistes tremblent face à des ennemis tels que le très libéral Charles Gave, soutien d’Eric Zemmour et très riche financier ayant fait fortune à Londres et à Hong Kong et planquant sa thune dans des paradis fiscaux. 

Autres exemples d’hommes du peuple proches d’Eric Zemmour : Charles Gave, financier d’extrême droite (“libéral jusqu’au bout des onglesnous apprend l’Opinion, qui connaît plutôt bien son sujet), ayant fait fortune dans la gestion d’actifs à Hong-Kong et à Londres, ou encore Edouard Stérin, grand patriote vivant à Bruxelles sûrement pour son amour de la frite, fondateur de LaFourchette et de la Smartbox. 

Tout ceci permet de se poser une question historique plus large : pourquoi, régulièrement, les mêmes qui bénéficient aussi crassement de la mondialisation, qui ont tant joui des politiques d’austérité et libre-échange, se retrouvent soudainement proches de politiques qui menaçeraient “les intérêts de l’oligarchie”

Le programme économique du patronat

En vérité pas de surprise : si la “pensée économique” d’Eric Zemmour (si nous lui faisons le compliment de la considérer comme telle) n’inquiète pas le patronat, c’est parce qu’elle contribue à ses intérêts et n’est évidemment pas anti-libérale. Elle semble même, à peu de chose près, être assez proche de celle de quelqu’un comme François Fillon. 

Eric Zemmour est d’ailleurs conseillé par l’ancien PDG d’Elf (l’ancêtre de Total), Loïk Le Floch-Prigent, condamné pour “de colossaux abus de biens sociaux”, ce qui annonce plutôt bien la couleur. 

Chez Frustration, quand nous voyons un candidat, notre premier réflexe est de se demander où ce dernier sera positionné par rapport aux intérêts de notre classe. Capital, magazine qui porte très honnêtement son nom, se pose visiblement la même question par rapport à la sienne et a ainsi produit un article fort informatif intitulé : Mais que pense Eric Zemmour en économie ? 

On apprend donc qu’une des priorités de ce dernier est de faire baisser les impôts et les charges pour les entreprises, “dans des proportions beaucoup plus importantes que ce qu’a fait le gouvernement d’Emmanuel Macron”, afin de les “rendre compétitives face à la concurrence étrangère”. Voilà un drôle de raisonnement pour un soi-disant protectionniste. Comment ces baisses seraient financées ? Visiblement en empêchant des immigrés de se faire soigner (en langage bourgeois on dit “resserrer drastiquement les critères d’attribution de l’aide médicale d’Etat”). A titre informatif, l’Aide Médicale d’Etat représentait en 2020 920 millions d’euros, en comparaison l’exonération de cotisations mise en place par Emmanuel Macron en remplacement du CICE coûte 20 milliards par an. Au-delà de la considération purement économique, ce genre de propos dévoile toute sa débilité en pleine pandémie mondiale, qui nous rappelle qu’une maladie non traitée ne fera pas le tri entre un étranger et un natif. Cela rappelle aussi, très prosaïquement, qu’un raciste comme Zemmour veut que les étrangers crèvent, ni plus, ni moins.

Rare photo de bourgeois très très inquiets à l’annonce de la candidature d’Eric Zemmour. 

De ce point de vue, Eric Zemmour serait dans la parfaite lignée des derniers présidents, Emmanuel Macron et François Hollande en tête : les baisses des charges pour les entreprises sont en effet la politique mise en place depuis des années… sans le moindre résultat (à l’image du CICE par exemple), faisant que l’on peine encore à comprendre comment l’on peut sérieusement continuer de faire campagne là-dessus. Mais alors pourquoi promouvoir une politique qui “ne marche pas” ? Parce qu’il faut reconsidérer ce constat. “Ça ne marche pas” si l’on considère que ces politiques ont pour but l’intérêt commun, la réduction du chômage, le “ruissellement”, etc. Mais si l’on comprend que ce n’est jamais le rôle de ces mesures, qu’elles sont d’authentiques “politiques de classe”, et qu’il s’agit plutôt de rassurer la bourgeoisie en augmentant ses profits, voire carrément en reversant de l’argent public (le nôtre) vers le privé, alors, pris ainsi, celles-ci “marchent” très bien. 

Et sur le temps de travail ? Fini de se la couler douce bande de fainéants. Zemmour va vous remettre au boulot. La fin des 35 heures ? “Pas un tabou” ! “Des sacrifices seront nécessaires” ! Prenez exemple sur ce travailleur acharné d’Eric Zemmour : 9 700 euros mensuels pour 4 articles d’une page et demi tous les mois dans le Figaro en 2010. Qui a dit que le travail ne paie pas ? Et la retraite ? Ce sera à 65 piges (si vous êtes encore en vie).

Pendant le mouvement des Gilets Jaunes, Zemmour ne s’y est pas trompé. Soutien extrêmement éphémère de ces deniers, il partageait au début la vision qu’en avait la bourgeoisie culturelle de gauche : la naissance d’un mouvement de masse raciste et violent. Mais a contrario de cette dernière, pas pour le craindre, mais pour en épouser les prétendues motivations. C’est là que l’on voit, dans son incompréhension totale des mouvements sociaux et des préoccupations de la classe laborieuse, que Zemmour, quoi qu’il en dise, est avant tout un éditorialiste de télévision. Ainsi, dès qu’il est devenu évident que les Gilets Jaunes furent avant tout un mouvement en faveur de la répartition des richesses (contre la suppression de l’ISF, contre les taxes injustes, pour l’augmentation des salaires, des minimas sociaux…), pour la démocratie directe (RIC, constituante…) et contre la brutalité policière bref, dès que les Gilets Jaunes ont commencé à envahir le VIIIe arrondissement de Paris et à menacer très directement les intérêts de la bourgeoisie, Zemmour s’en est immédiatement et très vocalement désolidarisé dénonçant, sur les chaines des milliardaires, un mouvement “déstructuré intellectuellement”, noyauté par “l’extrême gauche”, les “voyous de banlieue” et les “pillards”. 

Une France sans immigrés, mais pleine de chômeurs, de travailleurs toujours plus pauvres et exploités par une bourgeoisie toujours plus riche et puissante, qui s’engraisse sur notre dos et détruit l’environnement : voilà qui fait rêver. 

Le pseudo-souverainisme : la mondialisation des pauvres c’est affreux, la mondialisation des riches c’est formidable

Il existe pourtant un point de radicalité sur le plan économique à l’extrême droite. Un à même de sérieusement fâcher une partie des milieux d’affaires, en particulier le grand patronat et la bourgeoisie financière : c’est la sortie de l’euro. Eric Zemmour, comme Marine Le Pen, a longtemps soutenu celle-ci. 

Marine Le Pen en quête de respectabilité et faisant le lien entre sa défaite de 2017 et cette position (qui ne garantit jamais un accueil très favorable dans des médias possédés par des milliardaires) a décidé d’opérer un virage complet sur le sujet, et on pourrait faire une équation assez intéressante entre normalisation de l’extrême droite et abandon des positions anti-euro. En France, mieux vaut haïr les musulmans qu’une monnaie unique pourrie.  

Mais alors qu’en est-il d’Eric Zemmour ? Celui qui est généralement décrit comme “constant” et “toujours cohérent” (comprendre islamophobe depuis 20 piges) aura sûrement, par fidélité à ses idées, conserver sa position radicale  ? Qu’en dit sa “cellule éco” ? “On veut être crédible économiquement, cela exclut les aventures comme la sortie de l’euro ou de l’Union”. Ah. On comprend alors que plutôt que d’infliger la moindre contrariété à une classe dont il mendie le soutien, Eric Zemmour est prêt à faire preuve d’une grande lâcheté et d’un opportunisme digne du premier macroniste venu et d’épouser, sur le sujet monétaire, la seule position à même de continuer de lui assurer le support dont il a besoin et dont il bénéficie déjà. Il s’intègre alors à la longue liste, déjà bien fournie, de ces “souverainistes” qui se fichent royalement d’un des principaux leviers de la souveraineté nationale… Voilà qui devrait quand même en interroger certains. 

Zemmour likes this. 

Eric Zemmour n’est pas que le candidat anti-immigration qui nous sera présenté, il est aussi celui, avec tant d’autres, du capitalisme débridé, mais soi-disant “national” – ce qui ne peut être qu’une contradiction dans les termes à l’heure actuelle. Se privant du contrôle du principal outil protectionniste, la monnaie nationale et par extension la sortie des traités de l’UE, ce capitalisme aurait effectivement tout de débridé mais pas grand chose de national. Ce souverainisme à géométrie variable rappelle celui de Michel Onfray, dont il est d’ailleurs très proche et que Front Populaire hésite d’ores et déjà à soutenir.  

L’engouement médiatique actuel autour d’Eric Zemmour ne nous dit rien, en réalité, d’une montée du racisme en France. Les études d’opinion nous montrent que l’adhésion de la population aux idées racistes recule massivement depuis 30 ans. Par contre, il nous dit beaucoup de l’appétit qu’à une bonne partie de la classe bourgeoise pour les idées racistes, sexistes, virilistes dès qu’elle sent son pouvoir vasciller. La bourgeoise n’est progressiste qu’en temps de paix. En temps de guerre sociale, elle est toujours prête à confier son destin au premier autoritaire venu pour rétablir un ordre moral favorable à ses intérêts : Napoléon III, Adolphe Thiers, Philippe Pétain et maintenant Eric Zemmour ?


Rob Grams

Illustration de Une : Antoine Glorieux