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Le gouvernement justifie ses ordonnances avec des arguments fallacieux et des mensonges éhontés. Hélas, il n’y a aucun « décodeur » du Monde ou d’ailleurs pour dissiper ces écrans de fumées, alors Frustration a du s’y coller :

  • « Cette réforme va réduire le chômage »

Déjà il y a trente ans, lorsque la droite a supprimé l’autorisation administrative de licenciement (c’est dur à imaginer mais à l’époque l’Inspection du travail vérifiait la véracité de chaque licenciement économique), les députés, experts et le père de Pierre Gattaz lui-même (Yvon Gattaz, qui dirigeait ce qui ne s’appelait pas encore MEDEF) disaient que faciliter le licenciement créerait des centaines de milliers d’emploi. Peine perdue, depuis, le chômage n’a fait qu’augmenter. Ce qui était faux il y a trente ans est encore faux aujourd’hui. La dernière étude sur les causes du renoncement à l’embauche montre que le Code du travail est loin d’être la première raison. Licencier est devenu bien facile ces dix dernières années, et la seule innovation qu’introduit l’actuelle réforme c’est qu’on pourra licencier pour de mauvaises raisons en sachant d’avance combien ça va nous coûter, si les salariés ont le temps de contester (car le délai de recours est réduit à 1 an, contre 30 ans avant 2008).

L’autre argument consiste à dire que « pour faire face à la mondialisation et la concurrence internationale », nos entreprises doivent être « compétitives », c’est-à-dire atteindre un prix du travail comparable à celui des pays dans lesquelles elles délocalisent souvent. Sauf que ces pays-là ne restent pas à rien faire, et pour rester les moins chers et les moins emmerdants, ils bradent ce qui leur reste de législation. C’est ainsi que la Roumanie examine cette semaine un projet de loi visant à éliminer quasiment intégralement les cotisations patronales, pour rester « compétitive ». On est vraiment obligé de jouer à ce petit jeu sans fin ?

  • « Cette réforme fait le pari du dialogue social »

C’est le grand slogan de la ministre du travail, qui explique que si sa loi autorise les chefs d’entreprise à faire signer des accords sans présence d’un délégué syndical, c’est parce qu’elle a confiance dans « les capacités de dialogue social des entreprises françaises ». C’est aussi ce que débite la plupart des éditorialistes et des “experts” . Sauf que les mots ont un sens, et qu’un dialogue est un échange entre deux parties qui ont une capacité à peu près équivalente de prendre la parole. Or, on est très loin d’un dialogue : les ordonnances réformant le Code du travail affaiblissent considérablement la position des salariés en facilitant leur licenciement, mais aussi en réduisant le nombre et les moyens de leurs représentants (puisque les instances représentatives que sont le CHSCT, le comité d’entreprise et les délégués du personnel sont fusionnés mais avec moins d’argent et moins de représentants) et en écartant les organisations syndicales.

Ensuite, seul l’employeur a l’initiative de la parole dans ce « dialogue », puisque c’est lui qui peut provoquer des accords, et les négociations annuelles sur certains sujets pénibles (le niveau des salaires et l’égalité salariale entre les hommes et les femmes) ne sont plus obligatoire. Mieux : dans les entreprises de moins de 20 salariés il peut lancer un référendum portant sur la question qu’il souhaite (« vous préférez baisser vos salaires ou un plan de licenciement ? »). De l’autre côté, les salariés n’ont pas de droits nouveaux, comme celui de se mêler de la gestion ou d’intervenir sur les sujets qu’il souhaite. Ainsi, il semble beaucoup plus objectif de parler d’un « monologue patronal » que d’un « dialogue social ». Cette réforme fait donc surtout le pari que les employeurs vont dire quoi faire et que les salariés vont fermer leur gueule.

  • « Cette réforme simplifie le droit du travail, trop complexe et trop lourd »

Patron est le seul métier pour lequel aucune formation n’est requise. C’est sans doute pour ça que de nombreux chefs d’entreprise, relayés par le gouvernement, se plaignent de ne rien comprendre au Code du travail, jugé trop long et trop complexe. En leur permettant de fixer leurs propres règles, prétend le gouvernement, on résoudrait le problème du poids de ce livre de loi. Sauf que, par conséquent, chaque entreprise va être doté de son propre Code, comme autant de petites féodalités avec ses us et coutumes. Bonjour la simplicité : ici le treizième mois, là-bas pas la moindre prime. Ici le travail de nuit payé le double, là-bas pas plus que le travail de jour. Et ces règles n’arrêterons pas de devoir changer, à cause de la concurrence : l’entreprise la plus vertueuse sera systématiquement contrainte de s’aligner sur l’entreprise la moins couteuse.

Et pour établir ces règles, la réforme prévoit de permettre à chaque entreprise de créer son propre droit par des accords dont les modalités seront très bancales, en particulier pour les petites entreprises. Les moins de 20 salariés vont pouvoir légiférer par référendum. Imaginez un référendum dans une boulangerie, avec une dizaine de salarié, tout le monde qui se connaît. Bonjour le secret du vote, dont l’ordonnance ne précise d’ailleurs pas s’il pourra se faire à main levée ! Et que dire du livre qu’il faudra écrire pour réunir l’ensemble de ces règles, de ces dérogations et de ces exceptions : ce ne sera plus un Code mais une encyclopédie en 24 volumes !

  • « Cette réforme va de l’avant, elle adapte la France au XXIe siècle »

Quand on est « en marche », on aime se raconter qu’on va de l’avant. Pourtant, les ordonnances réformant le Code du travail reviennent plusieurs décennies en arrière : en 1982, les lois Auroux créait les comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) chargés de la prévention des risques et de la santé au travail. Terminé ! Idem pour toutes les conquêtes de l’après-guerre et la mise en place des comités d’entreprise qui associaient les salariés à la gestion et aux décisions stratégiques. Et que dire de la réaction ultime qui consiste à confier à chaque entreprise le soin d’établir ses propres règles, qui peuvent comporter la baisse des salaires. On en revient à des logiques du début du XXe siècle, quand la société ne se mêlait pas de ce qui se passait dans les entreprises qui étaient autant de petites mafias sans lois.

Et que dire de « la France du XXIe siècle » ? Eh bien il s’y passe en ce moment un mouvement salutaire et incroyable de libération de la parole et de colère des femmes très majoritairement victimes de harcèlement et de violences sexuelles au travail. Une loi vraiment adaptée prendrait en compte ce fait social intolérable et renforcerait les protections et les recours possibles contre les harceleurs et les personnes violentes au travail. Or, c’est l’inverse que contient les ordonnances. Les CHSCT sont supprimés, alors que c’est à eux que revenait la mission de prévention, et les négociations obligatoires sur l’égalité entre hommes et femmes au niveau salariale ne sont plus obligatoires aussi souvent. Le lien de subordination entre salarié et employeur est considérablement renforcé, le licenciement plus facile, et on voit donc mal comment les femmes et toutes les personnes harcelées vont pouvoir se sentir davantage protégés.

Rien ne justifie cette réforme, si ce n’est le fait qu’elle va considérablement avantager le patronat français et enrichir leurs actionnaires. Rien de bon pour les salariés, qu’ils soient ouvriers ou cadres, juste de la précarité en plus, la peur du licenciement omniprésente et moins de moyens de se défendre contre l’arbitraire des chefs, petits et grands. Ces ordonnances sont une potion dégueulasse que le gouvernement tente de nous faire avaler. Leur recracher à la figure, elle et ses mensonges, serait la moindre des choses si on ne veut pas perdre une bonne partie de nos droits et de notre dignité !