logo_frustration
U

Le traitement médiatique des événements de l’hôpital de la Pitié pourrait résumer à lui seul comment un discours médiatique et politique, en pleine symbiose presque orgiaque, se construit et finit par imposer une seule grille de lecture et sa vision étriquée et faussée d’un mouvement social.

Dans un grand souci déontologique, certains journalistes comme à France inter s’empressent d’interroger la directrice de l’hôpital en prenant ses propos pour et argent comptant. Or, s’appuyer sur un seul témoignage est problématique : n’y avait-il pas de personnels à l’accueil, d’autres patients ? Pourquoi les journalistes n’ont pas attendu ou pris la peine de questionner leurs papiers, plutôt que de préciser qu’un CRS blessé s’y trouvait en gras dans l’article ? Y avait-il du personnel de l’hôpital (ce que l’on apprendra seulement en fin de matinée le lendemain) ? Comme ils le précisent, si cet événement a eu lieu en marge, expression à bannir, de la manifestation, pourquoi alors personne ne s’est demandé si ces manifestants se réfugiaient d’éventuels coups de matraques pour ne pas avoir été au bon endroit au bon moment ?

Toutes ces questions, le journaliste David Dufresne y répond ou du moins les interroge, et nous donne une autre vision du discours mediatico-politique ambiant et unanime. Des “personnes entre la vie et la mort” , insiste un journaliste de France info, empli de pathos et de chagrin, en reprenant la propagande gouvernementale. Par contre, aucune pitié pour des personnes fuyant les CRS et se retrouvant sans issu, quitte à se réfugier dans l’hôpital. Les casseurs de l’hôpital public français que sont Macron et sa clique se révèlent sauveurs indignés, et des médias se font les meilleurs des relais possibles.

On sait désormais que cette photo a été prise ailleurs qu’à l’hôpital, et que le témoignage de la directrice a été invalidé par son propre personnel.

À 11h sur BFM, les soignant.e.s de l’hôpital contestent tout le discours ambiant et répondent à des questions l’air presque étonné tels que : “y a t’il eu une intrusion ?”, réponse de l’un d’entre eux : “non, pas du tout !”. Oups.

Le soir du 1er mai, nous apprenions d’ailleurs par l’Inter Urgence (le collectif qui organise la grève actuellement en cours dans l’hôpital partout à Paris et désormais ailleurs en france), que la directrice de l’hôpital, érigée en “témoin clef” par nombre de journalistes, a fait retirer des banderoles des urgences en grève par les CRS afin de plaire à Castaner. La boucle est ainsi bouclée : on demande à celle qui cautionne la casse sociale de l’hôpital public d’inventer une casse physique pour décrédibiliser le mouvement social.

Un autre instant de grâce sur France info où l’on se réjouit presque que les forces de l’ordre aient évité les “débordements” et limité la “casse” (pas sociale, cela va de soi). Des policiers qui s’en prendraient à des “radicaux” (?) uniquement, comme nous l’explique Le Parisien. En effet, au garde à vous devant la Rotonde et la concorde, ils étaient à priori dans leur rôle habituel : garantir la protection de l’ordre économique et social de la manière la plus grotesque qui soit, définitivement rejoint par France info, alors qu’une récente tribune dénonce, et il était temps, la répression policière que subissent de nombreux journalistes.

De la pitié, on pourrait en avoir pour certains de ces journalistes, engouffrés dans la brèche institutionnelle encore une fois par un mimétisme de la domestication. “Et maintenant, Martin Hirch pour nous expliquer la situation”, peut-on entendre sur France info, c’est-à-dire quelqu’un qui n’était absolument pas présent sur les lieux mais qui a manifestement beaucoup de choses à dire et à conclure, des choses qui s’avèrent finalement fausses. Pourtant les questions à lui poser auraient naturellement pu être nombreuses pour le mettre en difficulté. Que nenni. Un officiel, parole d’évangile. Pendant ce temps sur Twitter, un monde parallèle s’offre aux gens, en décalage avec des médias détournés du réel, comme s’ils tournaient à vide, endormis… Et peut-être, au fond, déjà morts.

Selim Derkaoui