En Nouvelle-Calédonie (que les kanaks appellent la Kanaky) la situation est grave. Face au mouvement de révolte, né d’une énième brutalisation macroniste qui tente de faire passer en force une loi qui va minoriser l’électorat local, et ce, sans consultation de la population kanak, notre gouvernement a fait la seule chose pour laquelle il est doué : réprimer brutalement.
Au moins trois jeunes kanaks ont été tués par des milices de colons blancs. Dans la parfaite continuité du langage colonialiste le Haut-Commissaire en Nouvelle-Calédonie a affirmé que “l’ordre républicain serait rétabli quoi qu’il en coûte” (en vies humaines). Darmanin a fait envoyer l’armée (l’armée qui est normalement réservée aux opérations extérieures, ce qui est par conséquent très signifiant…) et le gouvernement a supprimé TikTok du territoire, ce que les journalistes aux ordres ont qualifié d’“une première dans une démocratie occidentale”, allant toujours plus loin dans la dissonance cognitive. Le GIGN parle de “reconquête” et Macron, prenant à coeur le rôle d’envahisseur dit qu’il reprendra “pas à pas chaque quartier, chaque rond-point, chaque barrage“.
Ce large mouvement de révolte, et la répression qui s’ensuit, fait ressurgir l’héritage et l’histoire, peu connus en métropole, de la résistance kanak à l’oppression coloniale et notamment celle d’une figure en particulier : le guerrier Ataï.
Dans sa saga “Enfants du destin”, que Médine décrit comme “une série de morceaux historico-géopolitiques où je raconte l’histoire d’un enfant au cœur d’un conflit qui se termine souvent dramatiquement”, le rappeur le plus haï des racistes et des réacs a consacré une chanson au combattant. Analyse.
Le guerrier Ataï : le début de la résistance autochtone
Ataï naît dans la deuxième partie du XIXè siècle, qui correspond au moment de la colonisation française de la Nouvelle-Calédonie (telle que l’appelleront les colons).
La population kanak, qui désigne les autochtones, y est estimée, comme le dit Médine, à environ 40 000 habitants.
Médine le décrit comme “cultivateur de banian et d’igname, chef Komalé du peuple des Kanak”. Le banian est un arbre tropical et l’igname est un tubercule comestible.
Ataï fut en effet le roi des Komalé, nation vivant près de La Foa, mais parvint à réunir autour de lui plusieurs nations pour résister aux colons.
Les missions en Nouvelle Calédonie
Médine nous apprend qu’ “au contact des missionnaires, il apprend à parler le français”
En effet, dans la foulée des marchands britanniques, les missionnaires débarquent en Nouvelle-Calédonie dans les années 1840 avec pour idée de changer les modes de vie de ceux qu’on appelle désormais les kanaks, de transformer leurs croyances et de les convertir au christianisme. Les choses ne se passent pas toujours aussi bien que prévues, puisqu’en 1847 les kanaks attaquent une des missions et décapitent le frère Blaise Marmoiton. Une base est posée : les kanaks seront peut-être colonisés mais ils ne se laisseront pas faire.
Si les kanaks ne sont pas à l’époque tous acculturés, certains sont contraints d’apprendre la langue du colonisateur pour pouvoir négocier et résister : c’est le cas du chef Ataï.
Le vol des terres par les colons français
En 1878, Ataï, “grand chef” kanak se présente auprès du gouverneur français, déverse un sac de terre et déclare “voici ce que nous avions”. Il déverse ensuite un sac de pierres puis affirme “voici ce que tu nous as laissé”.
En effet petit à petit les colons français vont s’accaparer les terres cultivables déstabilisant en profondeur l’économie vivrière des Mélanésiens (groupe ethnique autochtone vivant principalement dans les îles du Pacifique Sud) et laissant aux autochtones des terrains de moins bonne qualité.
C’est ce qu’évoque Médine dans sa chanson :
Ils veulent nous faire croire qu’ils sont ici pour l’amour de la croix
Pourquoi nous repoussent-ils de nos forêts moites, si ce n’est pour le commerce du bois ?
On considère que “les Kanak·e·s, ont été spolié·e·s d’environ 90 % de leurs terres lors des guerres coloniales (Naepels 2013)”.
Nouvelle-Calédonie : une prison géante
Comme l’explique Médine, la France a d’abord utilisé sa nouvelle colonie pour en faire une prison géante à ciel ouvert :
Ils sont arrivés ici avec leur bétail pour y construire des prisons et des bagnes
En effet dans les années 1850, Napoléon III (au pouvoir de 1848 à 1870) cherche un territoire pour y faire de nouvelles colonies pénitentiaires. La Nouvelle-Calédonie est officiellement colonisée par la France en septembre 1853. Les français installent donc là-bas un bagne, c’est-à-dire un camp de travail pour prisonniers qui travaillent dans des conditions épouvantables. Ces derniers sont poussés à rester sur place une fois leur peine terminée, afin de favoriser la colonisation. Si on y trouve des criminels de droit commun, la Nouvelle-Calédonie sera massivement utilisée pour déporter les opposants politiques, en faisant un vrai “goulag français”. Ainsi c’est là-bas qu’on déporte en masse les révolutionnaires de la Commune de Paris qui n’ont pas été exécutés sommairement, tout comme les résistants algériens à la colonisation française de 1830. Louise-Michel, qui y sera déportée, s’exprimera d’ailleurs sur “le problème kanak”. Les bagnards sont utilisés comme main d’œuvre quasi-gratuite pour construire les infrastructures coloniales.
Colonisation et imaginaire raciste
Pour justifier la colonisation, il a fallu déshumaniser le colonisé.
Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, cela est passé par un récit qui a fait des kanaks des “cannibales”, ce que Médine évoque (“Ils sont arrivés ici avec leur bétail pour y construire des prisons et des bagnes en pensant que nous étions des cannibales”). C’est ainsi que furent par exemple présentés comme “cannibales authentiques” les 131 kanaks de l’exposition coloniale de 1931, véritable zoo humain en plein Paris.
Cet imaginaire du colonisé cannibale est encore utilisé aujourd’hui pour justifier des soi-disant “bienfaits de la colonisation française” par les racistes et une presse mainstream réactionnaire. Pourtant il n’y a pas de preuves concluantes pour soutenir l’idée que les peuples autochtones de Nouvelle-Calédonie étaient cannibales. Les stéréotypes et les préjugés coloniaux ont souvent associé à tort les peuples autochtones au cannibalisme, mais ces assertions sont généralement infondées et largement discréditées par les historiens et les anthropologues.
Nicolas Cambon, docteur en histoire et auteur d’une thèse intitulée “Le savant et le cannibale. La production des savoirs sur l’anthropophagie en France et en Grande-Bretagne (XVIIIe-XIXe siècles)” a tenté de retracer la manière dont a été façonné “l’imaginaire du cannibalisme des “Mers du sud””. Il note notamment que “dans les années 1770, James Cook ne signale pas les Kanak de Nouvelle Calédonie comme cannibales” et que “David Porter, qui reconnaît n’avoir rien observé, ne l’envisage en 1815 qu’avec prudence car, écrit-il, « c’est du moins ainsi que nous les avons compris ; mais il est possible que nous puissions avoir mal compris »”. Par ailleurs, la véracité des récits des explorateurs colons sera largement mise en doute par les scientifiques.
Domestication et esclavagisation des femmes kanaks
Médine évoque le sort particulier des femmes lors de la colonisation française et le rôle que celui-ci a joué dans la révolte kanak :
Ils ont fait de nos femmes leurs femmes de ménage, dans l’meilleur des cas quand elles n’servent pas d’esclaves
Refusent de nous les rendre quand on les réclame, c’est ce qui arriva à la dénommée Katia
On a tous attendu son retour mais le maître la séquestre
(…)Maître colon de la Calédonie, tenant un sabre de gendarmerie
Déterminé à bien garder la fille qui lui sert d’esclave sexuelle toutes les nuits
Tranche l’atmosphère de sa lame émoussée, frappe vers Ataï des coups désordonnés
Dans son article “Kanak women and the colonial process” (les femmes kanaks et le processus colonial), le professeur australien Alan Berman nous apprend ceci :
“Un certain nombre de facteurs ont convergé pour provoquer la révolte kanak la plus notable en Nouvelle-Calédonie contre la domination coloniale dirigée par le chef Ataï en 1878. Ces facteurs comprennent : (a) la résistance à l’expropriation territoriale de leurs terres ; (b) l’incursion du bétail des colons sur leurs réserves, entraînant des dommages aux champs de culture kanaks (Berman, 1998, n. 31); et (c) le déplacement forcé des jeunes filles kanakes pour satisfaire les caprices sexuels des colons aristocratiques et comme source de main-d’œuvre exploitable sur leurs propriétés.
(…)
Au cours de cette révolte, les hommes kanaks ont activement contesté l’oppression des femmes kanakes par les autorités coloniales.”
Cette histoire d’abus et les droits que se sont accordés les colons blancs sur les femmes kanaks ont laissé des traces. Dans leur reportage “Caldoches de m…”, la célèbre émission Strip-Tease montrait cette domestication par les colons des femmes kanaks, toujours victimes de viols et d’agressions sexuelles par certains caldoches.
L’insurrection d’Ataï : un évènement fondateur de la résistance kanak
Mélanésiens, enduisez vos corps de la suie de bancoulier
Le sang va couler (le sang va couler)
Un raid de deux-trois personnes : Ataï et deux autres hommes
Au secours d’une autochtone entre les griffes de ce Caldoche
Médine raconte avec un sens prononcé du récit, la révolte menée par Ataï contre les “Caldoches”, terme qui désigne les personnes d’origine européenne, souvent française, vivant sur l’île. La “suie de bancoulier” fait référence à la suie obtenue en brûlant du bois de bancoulier dont on s’enduit le corps pour la guerre dans certaines cultures à des fins rituelles ou symboliques.
Ataï, en collaboration avec d’autres chefs de tribus, commence à fomenter un plan pour prendre Nouméa (devenue capitale de la Nouvelle-Calédonie). Mais en juin 1878, après l’assassinat d’une famille de colons, les choses s’accélèrent : l’administration coloniale fait enfermer dix chefs de tribus.
De juin à août, les kanaks changent leurs plans et lancent des attaques de grande ampleur, tuant gendarmes et colons (environ 200 personnes).
La mort d’Ataï : le sadisme morbide du colonialisme français
Un ennemi lui semble familier, serait-ce un Kanak de naissance
Qui, aux colons blancs, se serait rallié ?
Et qui lui tranche le cou au nom de la France
Ataï fut décapité, son peuple colonisé
Son crâne fut exposé dans les musées, comme un trophée
L’insurrection est finalement matée par la France et la répression est extrêmement sanglante : Ataï est décapité par un traître kanak, engagé aux côtés de l’armée française.
La tête d’Ataï est ensuite placée dans du formol et envoyée en trophée à Paris. Christelle Pantin, chercheure associée en anthropologie historique et culturelle, a retracé la manière dont le crâne d’Ataï fut chosifié et muséifié, jusqu’à sa restitution en 2014.
Les autres chefs kanaks furent exécutés sans jugement et près de 5% des mélanésiens furent tués (environ 2 000 personnes).
Ataï vit toujours
Si Atai s’est fait massacrer par les colons français, son esprit de résistance lui a survécu, y compris dans les autres colonies françaises.
C’est pourquoi Jean-Victor Castor, député de la 1ere circonscription de Guyanne et membre du Mouvement de décolonisation et d’émancipation sociale, parti indépendantiste guyannais, l’a par exemple invoqué dans un beau discours à l’assemblée nationale.
Ataï à qui Médine rend hommage fût une figure de la résistance kanak et un héro de la lutte contre l’oppression coloniale, l’exemple d’un guerrier ayant défendu ses terres, sa culture et sa dignité. L’héritage d’Ataï, bien que marqué par la tragédie de sa décapitation par les forces coloniales, continue d’inspirer les luttes pour la justice et la décolonisation dans toute la région du Pacifique. Son sacrifice rappelle que la résistance persiste même dans les moments les plus sombres de l’histoire. Pour reprendre la déclaration de guerre de Macron, les kanaks reprendront “chaque quartier, chaque rond-point, chaque barrage” et un jour la Kanaky sera libre, le colon s’en ira comme il s’en est allé ailleurs.
ROB GRAMS
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