logo_frustration
U

Alors, on se relâche ? C’est ce qu’ont dit BFM TV, France 2, mais aussi cette personne interviewée en micro-trottoir qui trouve qu’il y a trop de monde dans la rue… où elle se trouve. “La pédagogie elle a été faite lors du 1er et 2ème confinements, tance un commissaire niçois interrogé par CNews, donc ça va être de la répression qui sera mise en place”, ah parce qu’elle n’était pas déjà là ? A Paris, un autre policier file la métaphore enfantine en chassant les passants venus profiter du soleil, les coquins, “je préférerais arrêter les voleurs que faire la maternelle avec vous !”, leur lance-t-il . Pour dresser les gens les uns contre les autres et minorer leur colère, rien de mieux que de les faire passer pour des gosses intenables : une tradition politique et médiatique française que le coronavirus a mené au sommet de son art.

Cette rhétorique n’a rien de nouveau. Dès mai dernier, nous y avions droit : “Les vacances vont dépendre des efforts des Français”, nous menaçait ainsi Jean-Baptiste Lemoyne, secrétaire d’Etat au tourisme. Nommé en 2017, personne n’a entendu parler de lui en trois ans, mais il vient tout de même s’adresser à nous comme si nous n’avions pas plus de neuf ans et demi. Un chantage aux vacances qui ressemble fort aux punitions collectives, que certaines et certains d’entre vous ont pu connaître à l’école : “il y en a qui parlent, donc tout le monde est privé de récré !”. Au delà du souvenir émouvant, ce procédé a pour effet de diviser les gens entre les “bons”et les “mauvais” citoyens et, surtout, de faire disparaître la responsabilité des ministres de l’équation.

Dès le début du mois d’avril 2020, au commencement de notre 3ème semaine à nous la couler douce, heureusement édifié par France Inter qui nous apprend comment gérer tout ce temps libre (yoga, podcast, confection d’anchoïade de truffes au grand marnier, etc), le ministre de l’économie Bruno Le Maire prévenait : des “efforts seront attendus”. Europe 1 nous expliquait, avec le zèle de l’élève du premier rang qui a bien écouté sa leçon du jour : “Sans être dit tel quel par le ministre de l’Économie, ça signifie aussi sûrement qu’il va par exemple leur falloir adapter leur vacances cet été pour récupérer le temps perdu, et produire ce qu’il faudra produire.” Les salariés qui estiment produire ou acheminer des biens non-essentiels, comme ceux d’Amazon, sont priés d’obéir à leur manager.

Tout le monde devra faire des efforts. Mais aux adultes, que sont les patrons et les actionnaires, le gouvernement demande poliment : pouvez-vous ne pas vous verser de dividendes, s’il vous plaît ? Non ? Bon, tant pis, ce n’est pas grave, vous savez certainement ce que vous faites.

Nous sommes des enfants irresponsables … depuis le référendum de 2005

Nous autres sommes de grands enfants, mais le confinement ne fait que mettre en valeur ce qui était déjà le cas, dans la tête de nos journalistes et de nos politiques, auparavant. Chaque 1er mai, en effet, nous faisons déjà de grandes “chamailleries”, à jouer au chat avec la police. Jeu de matraque rend patraque, jeu de grenade tue des vieilles dames. Cela reste bon enfant. Le 1er mai 2018, le petit Alexandre Benalla a eu son casque, et il a défoncé la tronche d’un petit manifestant qui était de toute façon un cancre. Macron s’est donc pris au jeu : “venez me cherchez, nananère !”, a-t-il déclaré face à ses playmobils de l’Assemblée nationale.

Avant le confinement, déjà, nous étions immatures, à penser qu’il y avait de l’argent magique qui poussait dans les arbres, où que notre avis politique avait de l’intérêt pour nos dirigeants. La dernière fois qu’ils nous ont posé une question politique, c’était en 2005, et nous avions rendu une copie lamentable, souvenez-vous, à refuser d’un “non” massif leur projet d’Europe encore plus libérale et austéritaire. Trop xénophobes, pas assez au courant des “impératifs économiques de notre temps”, dans un monde “de plus en plus complexe”, il était trop ambitieux de nous demander notre avis, à nous autres.

“Un des leurres de la démocratie consiste à croire que nous serions tous à même d’émettre un jugement rationnel et pertinent. Or il apparaît, au terme de notre étude, que l’économie est une faille majeure dans notre débat démocratique”. C’est ce que concluaient deux chercheurs de la fondation Jean-Jaurès, ce think tank d’adultes socialistes et macronistes, après une interro surprise par téléphone courant 2018.

Sauf que, depuis, nous nous sommes pris pour des élèves de grande section. Les gilets jaunes nous ont amené à penser que notre avis pouvait compter, que l’on pouvait dire que c’était injuste de faire payer moins d’impôts aux riches et que donner 20 milliards de crédit d’impôts aux entreprises sans contrepartie (le CICE), c’était tout simplement abusé. Le prof de science éco, Monsieur Macron, est venu remettre les choses à leur place : “Jojo avec un gilet jaune a le même statut qu’un ministre ou un député!”. Retourne mater Cyril Hanouna et laisse faire les grandes personnes, jojo.

L’incident s’est reproduit avec la réforme des retraites, où des cheminots, des profs et des salariés de divers secteurs ont voulu, là encore, donner leur avis. “Certains sont en grève parce qu’ils ne comprennent pas tout, donc c’est notre travail d’expliquer” déclarait alors Jean-Michel Blanquer, ministre de l’éducation – c’est dire s’il en connait un rayon côté pédagogie pour enfants (ou pas).

Nous nous sentons ainsi comme des grands enfants, avec nos trajets contrôlés, nos courses fliquées et la culpabilisation pour notre non-respect des consignes – sujet dont toute la presse s’est auto-désignée spécialiste, heureuse de trouver une nouvelle occasion de faire du clic au rabais. Mais nous l’étions déjà avant, aux yeux de nos dirigeants, de nos “sociologues” et de nos patrons.

Il y a bien un gosse têtu et il est à l’Elysée

Pourtant, un gosse capricieux nous en connaissons un. Il s’appelle Emmanuel et il n’a pas voulu faire de véritable confinement en janvier dernier, au moment où son conseil scientifique lui demandait, et a préféré faire un “pari” avec l’épidémie. Comme avec un gamin trop adulé, son entourage n’a cessé, ces dernières semaines, de louer ses compétences scientifiques. “Macron s’est tellement intéressé au Covid”, raconte un conseiller du pouvoir à France Inter, “qu’il peut challenger les scientifiques, poser la question qui les déstabilise”. “Challenger”, c’est le terme bourgeois pour “se la péter un maximum”.

Désormais, son pari est perdu. Son petit caprice de gamin trop couvé nous a conduit dans l’impasse. Le couvre-feu est devenu l’horizon indépassable de notre vie, parce que ce type est incapable de prendre des décisions fortes, désireux qu’il est de ne pas donner plus de moyens à l’hôpital ou de ne pas contrarier ses petites camarades actionnaires obsédés par la continuité de l’activité économique – celle qui génère des profits. Les traiter d’enfants est toutefois inapproprié. Macron et ses partisans sont des parasites qui bouffent à petit feu.