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Une infirmière de bloc opératoire d’un centre hospitalier du sud de la France raconte, anonyme, la pénurie de masques FFP2 et sa gestion catastrophique. Un témoignage reçu de la part du Collectif Inter-Blocs.

J’ai 46 ans, je suis IBODE (infirmière de bloc opératoire) et hygiéniste de formation dans un centre hospitalier du sud de la France. Je suis obligée de témoigner de manière anonyme car j’ai déjà subi des menaces de représailles de mon établissement lors des mouvements de grèves de ces derniers mois, je suis donc une cible facile et une “tête à abattre”.

Le 6 mars 2020, le premier cas de coronavirus est hospitalisé dans mon établissement, le premier d’une longue série… C’est là que la psychose s’empare des gens, les poussant à commettre des larcins en tous genres (masques, gel hydroalcoolique…). Les conséquences ne se font pas attendre : tout est rationné et mis sous clé dans le bureau des cadres.

C’est à ce moment-là, je crois, que j’ai réalisé qu’on était dans la “merde”. J’apprends aussi par l’encadrement que les stocks de masques, entre autres, sont hyper tendus et qu’il ne sait pas combien de temps on pourra tenir.

Nous avions droit à 2 masques chirurgicaux pour 8h de travail au début de la crise, pour n’en avoir plus qu’un aujourd’hui. Pourtant, selon les règles de bonnes pratiques, ils doivent être changés au minimum entre deux interventions, mais la pénurie est telle que des procédures dégradées sont mises en place régulièrement. 

“Nous n’avons pas du tout de stock de masques FFP2, ceux que l’on a ont été donnés par des entreprises ou des citoyens, ils sont très souvent périmés et ont d’ailleurs une odeur qui me fait penser au grenier de mes grands-parents”

Fort heureusement la solidarité nationale a fait que nous avons toujours pu bénéficier des masques chirurgicaux mais il faut noter aussi qu’il y a différentes sortes de masques chirurgicaux et que sur le “champ opératoire” ce sont les masques type IIR qui sont préconisés (résistants aux projections de liquides biologiques). Je ne vous cache pas que ça n’a pas toujours été le cas.

Nous n’avons pas du tout de stock de masques FFP2, ceux que l’on a ont été donnés par des entreprises ou des citoyens, ils sont très souvent périmés et ont d’ailleurs une odeur qui me fait penser au grenier de mes grands-parents. Nous n’y avons pas droit tous les jours, car il faut justifier de sa nécessité et ce n’est pas non plus pour tout le monde, on a compris, on n’en a pas assez.

Dans un premier temps, le FFP2 était réservé aux seuls médecins anesthésistes qui se chargeaient d’intuber les patients, puis étendu aux infirmiers anesthésistes car le risque d’aérosolisation est trop important, l’équipe chirurgicale, elle, est “sacrifiée” ou “naturellement immunisée” je ne sais pas !!! Quelques spécialités émettent tout de même des recommandations en ce sens (chirurgie viscérale, endoscopie).

“Le rationnement des masques lui est toujours le même, on a un masque chirurgical et/ou un FFP2 sur justification/jour !”

Mardi 24 mars 2020, le gouvernement déclare l’état d’urgence sanitaire, le 25 mars réunion de crise au bloc, on nous annonce qu’à partir du lendemain nos horaires de travail sont modifiés, on passe aux “12h” jour et nuit, on ouvre une réanimation en salle de surveillance post-interventionnelle pour absorber l’afflux de patients, le rationnement des masques lui est toujours le même, on a un masque chirurgical et/ou un FFP2 sur justification/jour !!! A force de polémiques et de menaces de recourir au “droit de retrait”, nous avons obtenu que l’usage du masque FFP2 soit démocratisé à l’ensemble de l’équipe pour la prise en charge de patients Covid-19 positifs ou symptomatiques et pour tout type de chirurgie… 

Malheureusement, à ce jour, on sait qu’il existe de nombreux cas asymptomatiques, non testés, tout aussi contaminants qui arrivent au bloc opératoire, et pour lesquels finalement nous jouons à la roulette russe. Des collègues ont d’ailleurs été contaminés, dépistés positifs, d’autres dont je fais partie, ont présenté des signes évocateurs mais n’ont pas été testés.

Lorsque j’ai choisi de faire ce métier à l’époque, je ne pensais pas à avoir à vivre ça un jour dans un pays développé tel que la France, sixième puissance économique mondiale. 

Bien sûr, avant le Covid, mon métier était déjà exposé à des risques, mais des risques mesurés pour moi car j’ai toujours eu les moyens de me protéger. Aujourd’hui, non seulement je n’ai pas les moyens de me protéger mais plus grave encore, je suis potentiellement contaminante pour mon entourage et pour les personnes qui croisent mon chemin.

J’ai honte !!!

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