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Le Bateau-usine est un roman publié en 1929 au Japon, qui raconte les conditions de travail puis la grève d’ouvriers, de pêcheurs et de marins sur un bâtiment commercial. Ce court roman, à l’écriture immersive, rencontra un grand succès à sa publication avant d’être censuré par le gouvernement. Sa réédition en 2008 au Japon, en pleine crise financière, a été suivie de dizaines de milliers de ventes, dans un pays pas réputé pour son gauchisme. C’est un livre particulièrement utile dans les périodes comme celles que nous traversons car il nous rappelle, sans romantisme ni folklore, ce qu’il se passe dans un collectif de travail lorsque les injustices s’accumulent et que la colère provoque un soulèvement.

Le Bateau-usine – éditions Allia – 2015
de Takiji Kobayashi, traduit par Evelyne Lesigne-Audoly, 9 euros

Le livre débute au moment où une flotte de bateaux-usines appartenant à des propriétaires privés part pêcher des crustacés dans les eaux territoriales japonaises bordant celles de la Russie soviétique, alors ennemi de l’empire japonais. Encadrés par plusieurs destroyers de la marine et embrigadés par un nationalisme omniprésent, les pêcheurs, marins et ouvriers de cette flotte ont été spécialement recrutés dans les villages du pays pour leur docilité, leur pauvreté et leur distance vis-à-vis du syndicalisme. Les deux premiers tiers du livre sont consacrés à l’exposé des conditions de travail de plus en plus lamentables sur le navire, dégradés par l’action malfaisante de l’intendant – le représentant de l’entreprise – qui substitue ses lois de l’argent à celles du capitaine. 

Le livre parvient à donner un rythme à ce récit alors même que les personnages sont très peu incarnés : c’est le “héros collectif”, figure de la littérature prolétarienne du XXe siècle, qui est ici central.

Le livre parvient à donner un rythme à ce récit alors même que les personnages sont très peu incarnés : c’est le “héros collectif”, figure de la littérature prolétarienne du XXe siècle, qui est ici central. La foule des travailleurs, parmi lesquels quelques individus plus déterminés ou courageux que les autres, mais que l’écriture ne met pas au centre. Ce qui compte, c’est le collectif, et ça n’empêche pas le livre – et c’est surprenant quand on est habitué à la littérature dominante ultra individualisée – d’être palpitant.

La discipline nationaliste inculquée à ces travailleurs canalise leur colère durant la majeure partie du récit. Leur rage et leur frustration sont le plus souvent retournées contre eux-mêmes, et en particulier contre les membres les plus jeunes du groupe qui subissent des violences sexuelles de la part des plus âgés… C’est suite à l’échouage d’une barque de pêche sur les côtes russes que quelques marins se voient confier par les autochtones des éléments de propagande communiste qu’ils ramènent à bord. Cette presse subversive ne provoque pas tant l’adhésion que la discussion : ordinairement silencieux et accablés de fatigue lorsqu’ils se retrouvent dans le trou à rat qui leur sert de dortoir, les ouvriers discutent de leurs conditions de vie.

Comme souvent lors des mouvements sociaux, c’est un élément déclencheur, l’attaque de trop, qui déclenche la colère. Très intimidés, très maladroits, les ouvriers élisent quelques représentants chargés d’aller discuter avec les autres corps du métier du navire et lancent un mouvement… non sans de grands obstacles.

Le rythme du livre nous apprend qu’une colère s’entretient et que c’est en agissant collectivement qu’on dépasse ces premières limites.

Ce livre inspiré de faits réels rappelle que lorsque se profile l’organisation d’une grève, la peur, la désunion, l’espoir d’être entendu par ses maîtres sont toujours au rendez-vous : les tensions au sein du groupe, les doutes, la répression également. Mais le rythme du livre nous apprend qu’une colère s’entretient et que c’est en agissant collectivement qu’on dépasse ces premières limites. Et que contrairement à la politique politicienne qui cherche à incarner à tout prix des idées dans des individus – avec toutes les déceptions que cela peut engendrer – les mouvements sociaux sont portés par des collectifs. 

La grève n’est jamais facile. Les travailleurs sont toujours divisés. L’espoir reste souvent bien mince. Et pourtant, tout peut arriver, y compris le meilleur. C’est l’une des principales leçons du Bateau-usine.


Nicolas Framont


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