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Samedi 7 mars, plusieurs journaux italiens avaient rapporté cette histoire : un couple de bourgeois retraités, résidents de la ville de Codogno en Lombardie, ont ignoré l’obligation de confinement et sont partis tranquillement dans leur résidence secondaire du Trentin, au nord du pays. Quelques jours plus tard, tous deux se sont sentis mal, se sont rendus aux urgences et ont été diagnostiqués positifs au coronavirus.

Cette histoire a une morale : les bourgeois se sentent au-dessus des lois et des règles, même en temps de pandémie. En temps normal, ils refusent de payer des impôts comme tout le monde en plaçant leur argent dans des paradis fiscaux, rémunèrent leur famille avec l’argent des contribuables et considèrent qu’il n’y a rien de plus normal. Avec le coronavirus, ils continuent de mener leur grand train de vie – “allons donc, ce n’est pas un petit virus de rien du tout qui va nous empêcher d’aller profiter du chalet comme d’habitude !” – et contaminent donc très probablement d’autres personnes… alors qu’eux-mêmes seront soignés dans d’excellentes cliniques et s’en sortiront sans problème.

En France, le patient zéro du “cluster” des Contamines-Montjoie, en Haute-Savoie, une station de ski très touristique proche du Mont-Blanc, était un ressortissant britannique de retour d’un voyage d’affaires à Singapour, où plusieurs cas avaient été recensés. Ce mode de vie typique des hauts cadres, où l’on vient se taper une petite descente des pistes de ski après une réunion à l’autre bout du monde, est à l’origine d’un foyer de contamination. Qui a été traité, sur le moment, avec une nonchalance toute bourgeoise. Sur le site de France 3 Régions, on peut par exemple lire ce témoignage édifiant d’un “touriste parisien”, qui déclare : “Moi, j’en ai rien à faire, ça ne changera rien à mon programme de vacances”, et ajoute qu’il se réjouit du fait que les télécabines de la station seront moins remplies. L’histoire ne dit pas si ce monsieur a ensuite refilé le virus à toute sa famille ou pas…

“Que la France vienne nous chercher !”

Dès le début de l’épidémie, les médias ont été en très grande majorité à l’appui de ces comportements, relayant les inquiétudes typiques (et assez peu en phase avec la réalité) de cette population. “Pourra t-on encore voyager ?”, se sont ainsi inquiétés plusieurs médias dès la fin février. Le 13 mars, la rédaction du Figaro Voyage nous a même régalé avec des témoignages de touristes, certains complètement déconnectés de la réalité de l’épidémie. Ainsi de Laurence, journaliste, partie en vacances à Naples avec son compagnon le 6 mars. “Avant notre départ, il n’y avait que deux cas à Naples”, minimise-t-elle, avant de s’étonner que les sites touristiques sur place soient “déserts”. “Nous étions seuls dans ces lieux magiques !” Deux jours plus tard, à Pompéi, “l’ambiance était tellement détendue qu’on ne pensait même plus au coronavirus”, poursuit-elle puis, lorsqu’une sirène d’évacuation retentit, Laurence croit à une entrée en éruption du Vésuve (inactif depuis 1944), avant de comprendre enfin de quoi il s’agit. 

Laurence a pu rentrer en France sans problème et s’est mise en quarantaine. Certains de ses compatriotes n’ont pas eu cette chance et les médias ont également diffusé abondamment leurs témoignages larmoyants, jouant à fond la carte de l’émotion. Le 9 mars, France Info relaie “l’appel à l’aide” de Katia, une touriste française mise à l’isolement alors qu’elle faisait une croisière sur le Nil. “Nous ce qu’on veut, c’est que la France vienne nous chercher !”, pleurniche-t-elle. Nous vous conseillons fortement de lire les commentaires sous le post.

Ces mêmes médias ont mis un certain temps à évoquer d’autres questions posées par l’épidémie de coronavirus. Alors que certains se sont émus de la fermeture des lieux de spectacle ou du report du Festival de Cannes, le métro parisien continuait de transporter des centaines de voyageurs serrés les uns contre les autres, jusqu’à ce qu’un internaute avisé pose la question au média en ligne Checknews. La réponse du secrétaire d’Etat aux transports, Jean-Baptiste Djebarri, est édifiante : “Une fois dans la rame de métro, vous n’y restez pas pendant des heures non plus”, explique t-il. Et de dresser un parallèle douteux : “Je rappelle que pendant la grippe hivernale les transports continuent de fonctionner.”  Avant ces justifications bancales, le secrétaire d’Etat avance que les transports en commun sont “essentiels à la vie économique du pays”. Oui, il s’agit bien, avant de préserver des vies humaines, de préserver l’économie française. De là à dire que la vie de ceux qui sont obligés d’emprunter le métro chaque jour vaut moins aux yeux des médias et du gouvernement que celles de Katia ou de Laurence…

Le confinement, décrété depuis le mardi 17 mars à midi, n’a pas effacé les différences sociales ni celles du traitement médiatique. Il y a un monde entre un confinement dans une vaste maison de campagne et celui dans une chambre de bonne de 9m². Il y a un monde aussi entre ceux qui peuvent profiter du confinement pour télétravailler, lire ou faire du sport chez eux et ceux obligés d’aller au boulot, dans les hôpitaux ou aux caisses des supermarchés, exposés à chaque instant à la maladie. Nous vous en parlions sur Frustration, dans un autre article que vous pouvez lire ici

Si les médias parlent un peu plus de ces personnes en première ligne, ils ouvrent dans le même temps, et sur le même niveau, leurs colonnes à des écrivains bourgeois qui racontent, sous forme de journal de bord, leur confinement bien plus idyllique…un geste carrément indécent, voire choquant, aux yeux de bien des lecteurs. L’écrivaine Leïla Slimani, qui tient son journal de bord du confinement dans les colonnes du Monde, s’est pris une volée de bois vert dès le premier épisode, accompagné d’une photo de sa maison de campagne dans le bocage normand et dans lequel ses enfants déclarent : “On l’aime ce virus. C’est quand même grâce à lui qu’on est en vacances.”

L’hystérie du pauvre

Alors que depuis plusieurs semaines, les chaînes d’info en continu et consorts tendent le micro, l’oeil humide, aux bourgeois et égrènent inlassablement le nombre de morts liées au coronavirus, ils ont ensuite montré, avec un certain mépris, ces hordes de citoyens paniqués venus dévaliser les supermarchés à l’annonce du confinement. Mais comment garder raison quand on nous répète, sans hiérarchisation ni mises en perspective, que le coronavirus est dangereux ? Comment ne pas paniquer lorsque l’on reçoit sur un groupe Whatsapp, sans éléments de contexte, un message expliquant qu’en Chine, il y a des cadavres jusque dans la rue car le virus est hors de contrôle ? Les médias ont regardé avec dédain cette hystérie du pauvre qu’ils avaient eux-mêmes contribué en partie à créer.

Sur France 2, un sujet tourné dans un supermarché de Lyon samedi 14 mars montre ainsi des rayonnages à moitié vides et des files d’attente monstrueuses aux caisses, images accompagnées de commentaires piochés sur Twitter, comme celui-ci : “On en parle des fous furieux dans les supermarchés ?”. Un passage du sujet, dans lequel une femme répond “J’en sais rien j’ai pris n’importe quoi” au journaliste qui lui demande ce qu’elle a acheté, a été abondamment repris sur les réseaux sociaux et commenté, encore une fois, avec un mépris de classe évident : “Pathétique”, “On dirait un âne”, “Je suis sûr que ses enfants s’appellent Kevin et Dylan”.

Capture d’écran d’un article de Slate.fr

Pandémie ou non, le paradigme des bourgeois ne change pas : ils se tendent mutuellement le crachoir, veulent nous faire pleurer avec des histoires d’héritiers coincés sur des navires de croisière, et vont faire du ski quand on nous demande de rester chez nous. Bref, une fois de plus, ils sont irresponsables et plus dangereux encore que le coronavirus.

A Frustration, on ne saurait que trop vous conseiller deux choses : éteignez vos télés, restez sagement chez vous si vous le pouvez et pensez à la suite : et si cette épidémie, sa gestion et sa couverture médiatique étaient la goutte d’eau de la stupidité bourgeoise et le prémisse du renversement de cette classe irresponsable ?