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Si vos amis ou certaines de vos connaissances crachent sur ceux qui sont allés au MacDo durant le confinement ou sur ceux qui, dès lundi 11 mai, ont fait la queue devant une boutique de fringues, dites-leur ceci : ils se trompent de combat. Critiquer les consommateurs préserve l’ordre établi et ne permet pas de lutter contre la racine du mal. 

En plein confinement, un simple coup d’œil à mon fil d’actualité Facebook me fait frémir. Aurais-je des amis ultra-libéraux s’énervant contre tous ces fainéants ? Que nenni, ce n’est pas mon genre. En revanche, parmi mes amis qui se disent de gauche, anars, écolos radicaux, humanistes (oui, oui !) les vociférations sont légion. Un jour, c’est le grand dégueulis vis-à-vis de la course au Nutella dans les grandes surfaces, un autre c’est le grand vomito sur des fachos gilets jaunes qui sont scandalisés de l’augmentation du prix à la pompe, une autre fois encore, c’est le déchaînement sur ceux qui font la razzia sur le papier toilette… Et enfin, le sujet brûlant : le cri du cœur contre ces fumiers qui font la queue pour s’offrir un Macdo en plein confinement ou ces salauds en fil indienne devant Zara le jour du déconfinement. Avant de vociférer, demandez-vous pourquoi ces articles existent et par qui ils sont rédigés.

Aucun discours moralisateur ne m’a fait changer

Je suis issue d’un milieu modeste. Mon prénom a une consonance américaine. Chez moi, l’Amérique nous a toujours fait rêver. Par exemple, on allait dans un fast-food local avant l’arrivée du MacDo. C’était bon, pas besoin de faire de manières pour apprécier. Le micro-ondes également a été une bonne nouvelle. Ça nous a facilité la vie quand ma mère travaillait et qu’il fallait se faire à manger tout seuls. Et puis, j’avoue, un petit Coca bien frais est agréable, les plats cuisinés ont un petit goût de reviens-y et je n’arriverais jamais à faire un cheeseburger aussi bon que celui de MacDonald. Je regarde et j’ai toujours regardé la télévision, d’ailleurs je trouve qu’Internet est beaucoup plus abrutissant qu’une télévision allumée.

Mes études m’ont amené dans un milieu qui n’était plus le mien. J’ai dû supporter sans broncher les remarques sur les abrutis qui aiment les prénoms américains, sur ceux qui profitent des aides sociales, entendre les jugements sur ceux  qui mettaient leurs enfants à la cantine ou à l’étude pour souffler un peu alors qu’ils ne travaillaient pas, ceux qui se lobotomisaient le cerveau en regardant la télévision et qui préféraient aller à Eurodisney plutôt qu’au musée. A l’époque, j’étais plus timide, et je m’efforçais d’être la plus discrète possible en dissimulant ma gêne, mais cela ne m’empêchait pas, une fois tout le monde hors de vue, de regarder des séries américaines en mangeant des petits princes. Je riais bien à Eurodisney, et j’allais au MacDo dès que j’avais un peu d’argent de poche. Aucun discours moralisateur ne m’a fait changer. J’ai été durant très longtemps l’ennemie des donneurs de leçons, quitte à faire ce qu’on me disait de ne pas faire.

Prêcher la bonne parole consomm’actrice, ça ne marche pas

Désormais, j’ai évolué dans ma façon de penser car j’ai pris conscience des enjeux environnementaux actuels, en comprenant ce qu’était un écosystème, en comprenant que je filais mon blé à des lobbies qui n’avaient pas l’intention de se préoccuper de mon bien-être, en comprenant que j’étais en train de me ruiner la santé. En revanche, jamais je n’ai pensé qu’il fallait que je prêche la bonne parole. De toute façon, si je le faisais, mon discours aurait vite été mis au rancart (j’ai déjà essayé, j’avoue). 

Nous consommons à cause de la peur de manquer, et souvent par angoisse. Ni meilleur, ni pire qu’un chien qui accumule ses os dans le jardin ou se jette sur les croquettes, nous avons recours à la consommation pour nous apaiser, comme ce bébé qui tète sa mère lors d’une crise de larmes. Quand vous fabriquez vos shampoings solides et vos produits ménagers, vous vous apaisez avec cet objet tout mignon et tout sain devant vous. Quand vous mangez du chocolat, vous apaisez votre esprit. Quel que soit la situation, vous consommez pour vous sentir mieux. Hormis se détacher totalement de l’objet même, de son caractère esthétique ou sensoriel, on ne pourra pas dire que votre consommation sera libre. Elle aura toujours une fonction inconsciente.

Avant de critiquer son prochain, un petit bilan personnel s’impose…

Si aujourd’hui, tu te sens consomm’acteur libre et éclairé, prêt à prêcher dans le désert, je te propose déjà de faire un petit bilan personnel. Qui peut penser, sans sourciller, que sa consommation est parfaite ? 

Lors du confinement et de tes pauses Internet, tu ne t’es pas demandé si les salariés d’Orange ou d’EDF auraient préféré être tranquilles chez eux pendant que toi tu regardais une vidéo Youtube ? Quand tu vas dans un petit bar à l’ancienne, est ce que ta bière pression Heineken qui appartient à une grosse entreprise est digne d’une consommation raisonnable ? As-tu vérifié que cette petite bière artisanale provenait d’une coopérative, ô toi, camarade communiste ? Et pourquoi boire cette bière alors qu’elle n’a rien d’essentiel ?  En allant dans ce petit restaurant, as-tu vérifié que l’essentiel du personnel n’était pas constitué d’apprentis ? Toi l’ami de la culture, en allant à ce festival, as-tu trouvé normal de payer pour un événement qui repose essentiellement sur le bénévolat pour les tâches ingrates mais qui peut rémunérer grassement les têtes d’affiches  ? 

Le meilleur moyen pour notre espèce de vivre dans un monde plus sain et plus libre est de combattre le système. Rien ne sert de critiquer son prochain, si ce n’est à se faire plaisir.

Faire avancer les choses sans stigmatiser les individus

Et pas besoin d’attendre le “grand soir” pour faire les choses bien. Le reportage d’Arte “Demain tous obèses” montre ce qui peut être efficace. Aux Etats-Unis, où l’obésité est un fléau qui touche essentiellement les pauvres, la publicité a envahi l’espace encore plus qu’en Europe. A cela s’ajoute une offre disponible de produits volontairement sucrés et donc addictifs. Le documentaire montre qu’un réel combat citoyen s’organise dans les quartiers. Aucune dame patronnesse ne vient faire la leçon aux gens, et les habitants ne vocifèrent pas contre leur voisin. Cela est inutile vu la forte pression publicitaire et commerciale sur les habitants du quartier.

En revanche, le reportage d’Arte montre un militant qui explique que la façon la plus efficace de sensibiliser les citoyens a été de montrer sur une carte de San Francisco où se situaient les endroits présentant le plus de morts prématurées liées au diabète, où se situaient l’essentiel des insuffisances rénales et des amputations… Ensuite, sur cette carte, on montrait que la pression publicitaire était la plus forte dans ces mêmes quartiers. Cela a été radical. Les citoyens ont découvert qu’on leur mentait. Une jeune fille a demandé “Pourquoi on nous fait ça ?” Cela a été une réelle prise de conscience. Les jeunes du quartier se sont mis à écrire des poèmes à charge contre l’industrie agroalimentaire et non contre leurs voisins. Les clips ont fait plus d’un million de vues sur Youtube. Cette prise de conscience, permise par la circulation de l’information, a été la plus efficace.

C’est ce qui s’est passé pour moi quand j’ai compris ce qui se passait écologiquement et l’effet délétère que cela avait sur moi. Cette façon de faire est la plus juste. Nos voisins ne sont pas idiots. Chacun est capable de prendre conscience des choses si on lui donne les ressources pour le faire.

Pas besoin de se transformer en vieux sage taoïste, il faut juste s’attaquer à la racine du mal

On peut également s’intéresser au mouvement féministe. Pensez-vous que les féministes étaient des petits colibris qui chaque matin prêchaient la bonne parole sur la liberté originelle des femmes? Et bien non ! Les féministes ont compris que l’ennemi à abattre n’était pas la voisine trop soumise mais le système patriarcal. Elles ont agi et lutté dans une belle sororité contre un très vieux système : elles ont réclamé le droit de vote, le droit à l’éducation, le droit à un compte en banque, la nécessité d’être un sujet et non un objet de droit. Ensuite, elles ont demandé le droit à l’avortement, à la contraception, elles ont lutté contre les violences conjugales. Pourtant, à la marge, toutes les femmes n’étaient pas convaincues par les combats. Certaines ne supportaient pas le zèle de certaines militantes (encore un exemple de contre-productivité). 

Mais les mentalités des femmes ont changé. Demandez à une femme ce qu’elle pense des violences conjugales, de la contraception ou de l’avortement, la réponse ne sera pas la même qu’il y a deux siècles. Les femmes sont plus libres parce que le système modifié le leur a permis et parce que des femmes solidaires s’y sont attelées. Pas besoin de se transformer en vieux sage taoïste, il faut juste s’attaquer à la racine du mal.

En changeant le système, plutôt qu’en insultant l’autre, que de temps gagné ! Il a été montre dans une étude française qu’en changeant l’environnement direct, le comportement des gens et enfants face à la nourriture changeait. Par exemple, on a montré qu’en rajoutant des parcs dans les quartiers les plus pauvres, en améliorant et en diversifiant l’offre alimentaire, l’obésité diminuait très rapidement. Pas la peine d’expliquer aux gens ou de les juger sur ce qu’ils doivent manger ou boire, il suffit juste de modifier l’offre.

Le même discours que celui des élites qui pensent que le citoyen français est un enfant irresponsable qu’il faut éduquer

Avant de détester ton congénère macdophile, demande-toi pourquoi il a ressenti la nécessité d’aller au MacDo. Demande-toi s’il n’a pas une pub qui lui fait de l’œil chaque matin quand il va chercher son pain, demande-toi si ce loisir n’est pas le seul accessible à proximité… Dénonce l’impérialisme économique des lobbys agroalimentaires en montrant comment ils font de l’argent, mais surtout ne te mets pas tout le monde à dos.

Et demande-toi, en y regardant de plus près, si ton discours n’est pas finalement le même que celui que tu penses combattre. Ne devenons pas ce que nous cherchons à combattre, des donneurs de leçons qui voient l’autre comme un enfant. Le même discours que celui des élites qui pensent que le citoyen français (dont ils se détachent systématiquement en utilisant le terme “les Français” ou “vous”) est un enfant irresponsable qu’il faut éduquer.

Nous avons besoin de cette force pour lutter contre le marketing, l’outil du capitalisme. L’un et l’autre sont les réels poisons de notre vie. Et puis, qui voudrait d’un monde bâti sur le jugement et la haine, ou certains pensent mieux savoir que d’autres ? Nous reviendrons très vite à nos vieux schémas et nous n’en sortirons pas grandis. Sortons de nos vieux modes de pensée qui favorisent le système que l’on maudit : méfiance, haine et mépris de l’autre qui ne sont que les préalables à la destruction et à la domination au nom d’une supériorité présupposée. Ce monde-là, on le connaît déjà.


V.W.