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Il se pourrait bien que l’été 2022 ait marqué un tournant : celui d’une prise de conscience plus généralisée du lien entre capitalisme et réchauffement climatique.  La cause en est que les conséquences du dérèglement deviennent extrêmement perceptibles, ses effets plus directs et massifs. La dégradation concrète de nos modes de vie, qui annonce des suites peu réjouissantes, était jusque-là un peu moins évidente dans les “pays riches”.  Les bourgeois eux-mêmes ont été touchés, notamment via leurs lieux de vacances qui ont commencé à cramer cet été, bien que ces derniers disposent de tout un système de contournement pour ne pas subir, ou le moins possible, les désagréments des situations qu’ils causent. 

L’écologie c’est se battre pour que les capitalistes ne détruisent pas nos possibilités de survie

Selon une étude, et malgré l’inaction totale de nos dirigeants politiques et d’entreprises, quasiment 90% des Français pensent que nous sommes en train de vivre un changement climatique. Pour 21%, cette prise de conscience aurait eu lieu cet été. 

Il faut dire que les impacts de la canicule et de la sécheresse sur nos environnements immédiats ont été, cet été, particulièrement visibles, “spectaculaires” et médiatisés. Des forêts ont brûlé dans toute la France : en Gironde, dans les Yvelines, dans la Sarthe… mais également dans le reste de l’Europe. Au 16 juillet, c’est plus de 800 000 hectares de forêt qui avaient brûlé en 2022 en Europe, “soit quatre fois plus, à date, que la moyenne annuelle 2006-2021”, selon Mediapart

Pour les populations les conséquences sont très concrètes : des milliers de personnes évacuées, des dizaines de maisons détruites, des campings brûlés…  

L’écologie ne peut plus être vue comme un hobby de jeunes citadins progressistes et huppés comme les bourgeois de droite aiment à le faire croire

La canicule fait aussi des victimes directes : difficultés respiratoires chez les enfants en bas âge, malaises graves chez les personnes fragiles, médecins débordés… Dans les villes, certains lieux deviennent tout simplement inhabitables, invivables : des températures autour de 40 degrés ont été enregistrées dans le métro parisien. 

Pourtant cette sécheresse présentée comme “exceptionnelle” et “historique” par le gouvernement, ne l’est pas réellement. C’est la nouvelle normalité à laquelle nous allons devoir faire face tous les ans.
C’est pourquoi l’écologie ne peut plus être vue comme un hobby de jeunes citadins progressistes et huppés comme les bourgeois de droite aiment à le faire croire, mais doit bien être compris comme un enjeu de survie pour nous tous. 

La “fin de l’abondance”… pour vous

A peine revenu de ses vacances sur son jet-ski, le président Emmanuel Macron s’est lancé dans un discours pessimiste et larmoyant sur l’ère de “la fin de l’abondance” et de “l’insouciance” que nous nous apprêterions à connaître. 

Etant donné que ni les classes populaires, ni les travailleurs et travailleuses en général, n’ont connu “l’abondance”, comme le mouvement des Gilets jaunes avait achevé de le faire savoir à qui aurait voulu l’ignorer, on aurait légitimement pu penser  que le message s’adressait à la classe frivole et gâvée de richesses dont fait partie Macron – la bourgeoisie. 

Il s’est pourtant vite avéré que la “fin de l’abondance” ne concernait ni le gouvernement ni les riches. Dès qu’il s’est agi de traduire en actions la thèse du président, les mêmes ont immédiatement fait une levée de boucliers, y compris pour des mesures aussi anodines que l’interdiction des jets privés. Olivier Véran, porte-parole du gouvernement, préférant demander comme “efforts” de “débrancher son wifi”, “baisser la clim” et “éteindre les lumières lorsqu’on n’utilise pas les pièces”… 

Pourtant cibler les efforts sur les premiers responsables serait à priori plus efficace : à l’échelle mondiale, 50% des gaz à effet de serre sont émis par les 10% les plus riches. En France, la dynamique est similaire : les 10% les plus riches émettent cinq fois plus que la moitié la plus pauvre des Français

Pendant que vous étouffez dans le RER,  ils vous font coucou depuis leurs jets privés 

En réaction on a donc vu se développer une pratique saine, celle du “name and shame” – littéralement “nommer” et “mettre la honte” – contre les “écocidaires”, c’est-à-dire les individus responsables de la destruction irrémédiable de l’environnement.  

Évidemment cela n’a pas été du goût des milliardaires et des dirigeants… Elon Musk, milliardaire américain, patron de Tesla et SpaceX, et homme le plus riche du monde avec une fortune de plus de 255 milliards de dollars, avait par exemple proposé… 5 000 dollars au fondateur d’ElonJet, compte sur les réseaux sociaux qui suit les mouvements de son avion, afin de faire fermer son compte. 

Face à tout cela, une idée toute simple a émergé dans le débat public : interdire les vols en jets privés. Cela ne réglera bien sûr pas tout, mais il s’agit d’une mesure très facile à prendre, sans aucune conséquence négative : les personnes ayant accès à ces vols sont une infime minorité, et pour ceux que cela inquiéterait les riches auraient toujours accès au téléphone et à un ordinateur pour leurs réunions. Et si, vraiment, ils devaient voyager pour pouvoir continuer à nuire, ils pourraient toujours prendre des OuiGo ou des avions RyanAir depuis l’aéroport de Beauvais. 

Pourtant le gouvernement, via la ministre de la Transition Energétique Agnès Pannier-Runacher, s’est exprimé pour rejeter en bloc la mesure en arguant que celle-ci serait “à côté de la plaque” car cela représenterait une part négligeable de pollution. L’expression est audacieuse de la part de la même personne qui  nous proposait, sans trembler du genou, comme solution au dérèglement climatique, d’arrêter “d’envoyer des mails rigolos à nos amis avec une pièce jointe”. 

Mais alors, la pollution provoquée par  les jets privés est-elle si négligeable ? 

Le compte “L’avion de Bernard” a calculé que l’avion de Bernard Arnault, patron français propriétaire de LVMH et de plusieurs journaux (Les Echos, Le Parisien), 3eme personne la plus riche du monde, avait émis 176 tonnes de CO2, juste au mois de mai, soit 17 ans d’empreinte carbone d’un français moyen

Pour le mois de juillet, @i_fly_Bernard montrait que les avions de 5 milliardaires  (Bolloré, Arnault, Pinault, Decaux et Bouygues) avaient émis 520 tonnes de CO2 en un mois (l’équivalent de 50 ans pour un Français moyen). L’indécence est souvent la plus totale : le jet de Vincent Bolloré a par exemple fait Toulon-Paris-Naples-Paris pour la seule journée du dimanche 17 juillet. 

Mickaël Correia, que nous avons rencontré récemment, a mené son enquête pour Mediapart sur Valljet, le leader français du jet privé. Ce qui lui a permis de découvrir que l’entreprise s’organise pour ne pas payer ses émissions de CO2 tout en émettant chaque année, l’équivalent de 2 000 ans d’empreinte carbone d’un Français moyen. De quoi relativiser le ratio “coûts / bénéfices” environnemental de l’interdiction des mails rigolos par rapport à celle des jets privés. 

Le gouvernement lui-même n’est pas en reste en termes de pollutions inutiles. Comme le notait nos confrères de Contre-Attaque, grâce au compte @FlottePresident qui suit les décollages et atterrissages des sept avions chargés du transport du Président et du gouvernement, le Falcon présidentiel français faisait, lui, un vol de 12 km en août, soit l’équivalent d’un trajet d’environ 15 minutes en voiture. 

Le deuxième argument opposé à l’interdiction des jets privés a été avancé par le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, affirmant que ces derniers seraient “créateurs d’emplois” comme si cela était une démonstration devant laquelle tout le monde devrait se taire. Au-delà de la bêtise générale du raisonnement – des tas d’activités ultra-nocives sont potentiellement “créatrices d’emplois” –  Mickaël Correia rappelait également que VallJet n’emploie que 130 salariés contre…150 000 pour la SNCF et 69 000 pour la RATP

Les gisements de création d’emplois seraient donc peut-être plutôt à chercher du côté des transports en commun que des transports privés de conforts des ultra-riches. D’ailleurs leur développement et leur accessibilité constituent une autre mesure simple pour limiter les émissions : en Allemagne, la mise en place d’un ticket mensuel de transport à 9 euros avait permis d’économiser 1,8 millions de tonnes de CO2

Les yachts et les bateaux de croisière : il va falloir apprendre aux riches à faire du pédalo

Il n’y a pas que dans les airs que les riches détruisent notre planète, mais aussi dans les mers. Tout d’abord avec leurs gros yachts moches qui encombrent les villes côtières. Attac, et le compte @yachtCO2tracker qui suit la production de CO2 de plusieurs yachts de luxe, soulignaient que celui Bernard Arnault (toujours lui) a émis, en une semaine cet été, 123 tonnes de CO2, soit 1 400 fois de plus qu’un Français moyen

Mais aussi avec les énormes bateaux de croisières, dont le modèle économique repose sur l’exploitation abjecte de prolétaires de pays pauvres. Selon l’ONG Transport & Environnement, 94 paquebots polluent autant que 250 millions de voitures en Europe. A Marseille, par exemple, les navires de croisière font tourner leurs moteurs en continu

“L’eau, c’est fait pour boire” : les actions de sabotage se multiplient. 

La légèreté avec laquelle les riches utilisent l’eau, denrée rare en pleine période de sécheresse, est, elle aussi, parfaitement obscène. 

Dans la ville de Gérardmer, dans les Vosges, les habitants ont dû faire face à une pénurie d’eau potable. Autant dire que certains ont vu un peu rouge en découvrant que la précieuse ressource était gâchée pour…remplir des jacuzzis. Cinq habitations ont donc vu les leurs être sabotés, accompagnés d’un papier à l’explication limpide :  “l’eau c’est fait pour boire”. 

Il faut dire que le foutage de gueule intégral consistant à demander aux victimes de réparer les conneries des coupables, tout en exonérant les seconds du moindre effort, commence un peu à se voir

Pour faire face à la sécheresse, l’Etat a mis en place certaines restrictions dans l’utilisation de l’eau, par exemple en Haute-Garonne. Des restrictions parce qu’on manque d’eau, ok, mais il y a quand même des priorités pas vrai ? Comment les riches pourraient-ils arroser leurs golfs sinon ? 

Aussi dingue que cela puisse paraître, alors que les habitants de 22 départements placés en alerte renforcée se voyaient interdire strictement l’arrosage des pelouses et des jardins potagers, des tas de dérogations pleuvaient en faveur des terrains de golfs afin que les riches puissent continuer de profiter d’un de leurs loisirs préférés, qui consomme chaque année 36 millions de mètres cube d’eau, soit l’équivalent d’une ville de 500 000 habitants comme Lyon

Vers Toulouse, des militants écologistes ont décidé de ne pas se laisser faire et ont entrepris, eux aussi, des actions de sabotage. Ils ont bouché les trous avec du ciment et saccagé les greens. Il faut dire que le foutage de gueule intégral consistant à demander aux victimes de réparer les conneries des coupables, tout en exonérant les seconds du moindre effort, commence un peu à se voir et à agacer. 

Les riches polluent avec leurs loisirs, mais surtout en tant que bourgeois par la production

Toutefois, ne nous y trompons pas. Si les riches polluent de manière colossale avec leurs loisirs, ils le font bien davantage en tant que bourgeois, c’est-à-dire en tant que propriétaires des moyens de production, par les décisions qu’ils prennent et par le système qu’ils défendent, celui de la croissance infinie, de l’accaparement illimité de ressources limitées et des échanges mondialisés polluants sans entrave. 

Ainsi, 100 multinationales fossiles sont responsables, à elles seules, de 71% des émissions globales de carbone. Parmi elles, Aramco, plus gros producteur mondial de pétrole et 1er émetteur de CO2 au monde, annonçait un bénéfice trimestriel record de 48,4 milliards de dollars

Cette aberration est la raison pour laquelle le secrétaire général de l’ONU appelait à taxer les “surprofits des groupes pétroliers”, mesure qui passe pour follement d’extrême gauche dans notre pays où la bourgeoisie est toute puissante et où notre gouvernement préfère signer des accords pétroliers avec les Emirats Arabes unis.  Comme l’expliquait Oxfam dans son étude, le patrimoine financier de 63 milliardaires émet autant de CO2 que 50% des Français. 

S’en prendre aux loisirs indécents des riches ne suffira pas. C’est bien au mode de production, d’échange et de consommation, contrôlé par ces derniers, auquel il va falloir s’attaquer.

Concrètement, comment cela se manifeste-t-il ? Par tout un ensemble de décisions dans la production qui vont toujours favoriser le profit et l’expansion au détriment de l’environnement, mais aussi des travailleuses et travailleurs et des consommateurs. Prenons un exemple connu de tous, car il appartient à notre quotidien : l’industrie agroalimentaire, et plus précisément la production de viande, sujet sensible qui est revenu médiatiquement cet été via des polémiques peu intéressantes. Sous sa forme dominante en régime capitaliste, c’est-à-dire l’élevage intensif et industriel, cette production est responsable de 14% des gaz à effet de serre, soit environ autant que l’entièreté du secteur des transports.

L’élevage participe également grandement à la déforestation, comme en Amazonie où des forêts sont rasées pour y mettre des céréales, notamment à destination de l’élevage européen. D’une manière générale, 75% des terres agricoles dans le monde servent à élever du bétail et consomment d’énormes quantités d’eau. Tant que ces productions seront possédées par la même classe, nos moyens d’actions pour réduire l’impact environnemental de ce type d’activités seront très faibles, se limitant à agir à des niveaux individuels (agir sur notre consommation, le “petit-gestisme”…) et souvent isolés, avec peu d’espaces de délibération collectives pour coordonner l’action et des résultats incertains, plutôt symboliques et moraux qu’efficaces. On le comprend donc : faire des petits gestes tout comme s’en prendre aux loisirs indécents des riches ne suffira pas. C’est bien au mode de production, d’échange et de consommation, contrôlé par ces derniers, auquel il va falloir s’attaquer. Et ce dernier porte un nom que malheureusement beaucoup de militants écologistes peinent encore à prononcer : le capitalisme. 

Cet été, la responsabilité particulière des riches et des bourgeois dans le dérèglement climatique et les passe-droits qui leur permettent d’échapper à toutes formes d’efforts collectifs sont apparus plus clairement que jamais au plus grand nombre. Toutefois leur mode de vie insolent ne doit pas masquer la cause première de la destruction de l’environnement, dont ils sont aussi responsables, c’est-à-dire notre système de production, d’échanges et de consommation, qu’ils possèdent, contrôlent et dirigent.

Nombreux sont ceux qui, pour éviter l’ostracisation politique et médiatique, s’astreignent à ne pas dire trop fort le mot qui existe déjà pour désigner ce système : le capitalisme. A Frustration, nous pensons néanmoins que bien nommer les choses permet de donner une direction aux actions de luttes contre le changement climatique : plutôt que de pisser sous la douche, exproprions la bourgeoisie des moyens de production pour entamer une transformation radicale de nos modes de vies et de travail, plus respectueuses de nos besoins, de nos vies et de notre écosystème. 

Autrement dit : la crise écologique est un produit du capitalisme, il faut donc en finir avec lui, de toute urgence.


Rob Grams