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La Compagnie maritime d’affrètement – Compagnie générale maritime, troisième armateur mondial, installée à Marseille depuis 1978, poursuit sa dynamique de croissance externe, grâce aux résultats exceptionnels des deux dernières années, liés à la pandémie de COVID-19 et à un marché plus concentré que jamais.

En 2022, elle a réalisé le chiffre d’affaires impressionnant de 74,5 milliards de dollars, en hausse de 33% par rapport à l’année 2021, déjà historique pour le groupe. Cela lui a permis d’éponger ses dettes massives et de se diversifier, dans la logistique notamment, en absorbant par exemple Colis Privé, afin de suivre les biens du premier au dernier kilomètre. Le groupe nourrit des ambitions qui, désormais, semblent sans limites.

Une success-story logique, écrite d’avance, en lettres d’or.

Les informations du sénateur communiste Jérémy Bacchi étaient donc vraies, le patron de la CMA CGM, ne rachètera pas l’Olympique de Marseille : « il a plutôt démontré qu’il souhaitait apparaître comme étant mécène, un personnage important de l’économie de notre pays, mais surtout de notre territoire et un acteur qui semble jouer les premiers rôles tout en essayant d’être utile au territoire. Le rachat de l’OM c’est risqué » avait-il analysé à Football Club Marseille. Ce que n’avait pas prévu l’édile rouge bucco-rhodanien, c’était que le mécène utile au territoire, logisticien patriote et armateur visionnaire, Rodolphe Saadé, ourdissait en réalité un projet bien plus ambitieux : le rachat de l’ensemble de la ville de Marseille.

C’est sur les conseils d’un ami de longue date de la famille, le French winner Jean-Marie Messier, que Rodolphe Saadé s’est laissé convaincre. Le patron de la bien nommée holding familiale des Saadé, Merit, ne pouvait se contenter du club, il lui fallait la ville. Hors de question pour le tycoon phocéen, habitué aux fusions/acquisitions rapides, d’attendre les élections municipales de 2026. Les périodes électorales sont anxiogènes pour les marchés, réticents par nature à l’incertitude du vote. La solution était toute trouvée : racheter 75 des 101 sièges du conseil municipal de Marseille, afin d’en devenir le propriétaire.

Un exécutif municipal qui ne correspondait plus aux exigences de croissance du groupe

Jean-Marie Miossec, universitaire spécialiste du transport maritime et auteur d’un ouvrage de référence sur la CMA CGM, analysait déjà en 2016 : « plusieurs villes-ports ne sont, actuellement, pas au niveau : la minceur ou/et l’ankylose des élites locales, la rigidité des structures étatiques et administratives, la faiblesse des réseaux de transports terrestres, sont des entraves discriminantes ». Il a certainement été lu par Rodolphe Saadé, qui ne pouvait souffrir de voir ses vues bornées un exécutif municipal.

Premier conseil municipal de la mandature : la bonne humeur est générale

Premier employeur privé de la ville, la CMA CGM a toujours entretenu des rapports privilégiés avec la mairie de Marseille. Le premier adjoint, devenu premier magistrat communal en décembre 2020, Benoît Payan, ne constituait d’ailleurs pas une menace pour le groupe. Il s’était contenté de lancer une pétition contre la pollution maritime, pas de quoi inquiéter la CMA CGM, qui limite ses émissions de soufre dans l’air en les rejetant dans l’eau, grâce à l’astucieux système des scrubbers. L’armateur vise par ailleurs un objectif zéro carbone d’ici à 2050, au moyen du GPL, énergie fossile issue des gaz de schistes.

Craignant que le maire de Marseille ne fut gagné aux idées des décroissants et des obsédés de la régulation, Rodolphe Saadé, Grand maître international du jeu d’échec à 5 ans, fit le choix de défendre son acquisition, son industrie, sa région et la France, en remerciant le potentiel gêneur.

Marseille 2050 : better, smarter, greener !

Si la ville devrait être renommée Marseille-CMA CGM d’ici à 2024, il ne s’agit pas là d’une simple opération de naming, parrainage en bon français. Certes, le Palais Omnisports de Paris Bercy est devenu l’Accord Arena et la Ligue 1 successivement Ligue 1 Orange (2008-2012), Conforama (2017-2020) et enfin Uber Eats depuis 2020. Mais pour la CMA CGM, la vraie performance, c’est de se rendre utile aux Marseillaises et Marseillais, ce qui suppose une série de mesures énergiques.

« Nos profits d’aujourd’hui sont le résultat de nos investissements d’hier et nos investissements d’aujourd’hui garantissent la pérennité de nos activités. Cette acquisition prolonge nos actions pour la ville de Marseille » déclarait Rodolphe Saadé depuis la tour CMA CGM, qui surplombe la cité et hébergera dorénavant l’Hôtel de ville. Les activités de l’entreprise seront quant à elles dispersées entre la nouvelle tour du groupe, située à Euroméditerranée, et l’ancien Hôtel de ville sur le Vieux-Port. Les services communication et marketing de la mairie seront pour leur part regroupés avec les activités de presse du journal La Provence, au sein des 8 500 m² de Grand Central, l’ancien siège de La Poste, racheté par la CMA CGM.

Au second plan, la tour CMA-CGM, nouvel Hôtel de ville

Le centre d’excellence Tangram, véritable campus universitaire dédié à la formation et à l’excellence du transport et de la logistique, qui ouvre cette année à la Pointe-Rouge, verra tant sa surface que son périmètre d’action augmentés. En effet, le site de 6 000 m² pilotera l’ensemble des activités scolaires de la ville, monitorant directement les écoles maternelles et primaires. Le progiciel Pronote de gestion de la vie scolaire sera pluggé sur les supercomputers du centre, afin d’assurer un suivi granulaire et continu de performance de nos chères têtes blondes.

Dès la rentrée 2024, l’apprentissage du système métrique sera abandonné dans les programmes scolaires, au profit d’une unité moins jacobine et plus proche des réalités du terrain, l’Équivalent Vingt Pieds. Un système intuitif pour le citoyen marseillais, l’EVP mesure environ 6 mètres, soit la taille d’un conteneur standard. Renaud Muselier, président de la Région Sud Provence-Alpes-Côte d’Azur et passé de la droite à la majorité présidentielle, reconnaît l’ampleur du changement qui s’annonce : « ce sont eux les disrupteurs [CMA CGM]. Saadé ne s’est pas contenté de débrancher Payan, il nous a tous ringardisé. Je dis, bravo et banco Rodolphe, mais j’attends de voir les résultats pour juger ».

Consciente des attentes et des enjeux, la CMA CGM s’était préparée en incubant, via le Phare, l’incubateur social de sa fondation, l’association à vocation citoyenne À l’Unisson pour le futur, créée en 2021. Celle-ci a participé à la création du premier Conseil Municipal des Jeunes de Marseille. Il s’agit pour l’armateur d’ajuster la scalabilité de ce soutien à la hauteur des enjeux, via l’acquisition de la municipalité dans son ensemble. Le remplacement de la navette se rendant aux îles du Frioul par le porte-conteneurs Jacques Saadé, de près de 400 mètres de long et propulsé au GNL, la nomination de Franck Chais, directeur de la sécurité-sûreté du groupe et ancien numéro 2 du GIGN, à la tête de la police municipale, ou encore l’extension de l’avantageuse « taxe au tonnage » à l’ensemble des activités opérées par la Mairie de Marseille sauront certainement marquer les esprits. Bon vent à l’équipage municipal !


Hugo Roëls


Pour savoir qui est Rodolphe Saadé, patron de la puissante CMA-CGM, hors 1er avril, voir notre article :