Le gouvernement sortant au pouvoir depuis 7 ans ne manque pas d’hyperboles pour qualifier le programme économique du Nouveau Front Populaire : « Projet délirant », « saut en parachute sans parachute », « chaos économique », « dangereux pour les finances publiques ». Une bonne partie de la presse, à commencer par les Echos, le quotidien économique possédé par Bernard Arnault, s’inquiète des risques d’explosion des déficits publics et de la dette, et l’organisation patronale MEDEF a aussi exposé ses craintes. Il ne faudrait pas “raser gratis”, ce cliché associé à la gauche au pouvoir et sacrifier la stabilité budgétaire sur l’autel des “promesses”. Mais qui creuse vraiment la dette ? Pas ceux que l’on croit.
Les macronistes ont dégradé les finances publiques comme jamais
Il n’aura pas fallu attendre quinze jours après que Bruno Le Maire ait déclaré avoir «sauvé l’économie française » pour que la France soit menacée d’une procédure disciplinaire pour déficit excessif par la Commission européenne. Concrètement, une sanction financière de 0,1% du PIB peut-être appliquée à l’encontre d’un État-membre (2,5 milliards d’euros par an dans notre cas) lorsque celui-ci dépasse les 3% de déficit public prévus par les traités. C’est un peu l’équivalent des AGIOS version pacte de stabilité européen : quand vous n’avez plus de tunes, on vous sanctionne en en prélevant encore plus. Nous voilà donc alignés au pilori aux côtés de la Belgique, l’Italie, la Pologne, la Hongrie, Malte et la Slovaquie, sommés de prendre des « mesures correctrices » pour réduire le déficit public largement aggravé par un septennat de mesures d’enrichissement du capital prises par les gouvernements macronistes car pour que le capital improductif puisse prospérer, il faut méthodiquement amputer l’État de ses recettes fiscales et sociales.
Les politiques économiques et fiscales des blocs bourgeois relèvent toujours du même schéma : allègements d’impôts et de cotisations sociales pour soi-disant « redonner du pouvoir d’achat » (suppressions de la taxe d’habitation et des cotisations chômage et maladie pour les salariés du privé par exemple…), abaissement massif de la taxation du capital et des cotisations patronales (flat-tax, baisse de l’impôt sur les sociétés, suppressions de l’exit-tax et de l’ISF, réduction générale des cotisations), et coupes dans les services publics pour compenser les pertes colossales de recettes pour l’Etat et les caisses de sécurité sociale. Résultat des courses : l’Etat est appauvri, le capital se gave, le déficit plonge et les macronistes continuent de donner leurs leçons sur « la bonne gestion des finances publiques ».
Mais patatras, en pleine campagne électorale, les blocs bourgeois, Renaissance d’un côté et Rassemblement National de l’autre, se retrouvent piégés au bout de leur logique : l’Etat n’a plus suffisamment de recettes à mobiliser et aucun de ces blocs ne voulant s’attaquer aux profits du capital ou remettre en cause les réductions de cotisations, ils se retrouvent sans programme économique à moins de 10 jours d’une élection législative anticipée et le peu de mesures qui sont toujours présentées sont encore de nature à appauvrir l’Etat sans contrepartie.
Le RN préserve le capital et fera payer le travail
Ainsi ne reste au Rassemblement National, après avoir renoncé à plusieurs de ses mesures phares, qu’une proposition de baisse de la TVA sur les énergies et le carburant (coût pour l’Etat avoisinant les 17 milliards d’euros) et une énième proposition d’exonération de cotisations patronales en cas de hausse de salaire (mesure non chiffrée mais autant de recettes en moins pour les caisses de sécurité sociale). Belote : baisses de recettes fiscales,baisses de recettes sociales, le capital est préservé et l’Etat (nous, donc.) passons à la caisse.
Côté macronien, l’affaire est vite entendue puisqu’ils n’avancent jusque là que deux mesures de pouvoir d’achat : la suppression des frais de notaire (dont 80% sont des impôts à destination de l’Etat et des collectivités) pour des achats inférieurs à 250 000 euros (coût pour l’Etat : 2 milliards d’euros que Gabriel Attal a bien précisé « avoir mis de côté » pour financer la mesure) et l’augmentation du plafond de la « prime Macron » jusqu’à 10 000€, toujours exonérée de cotisations sociales (encore une fois, les caisses de la sécu n’en verront pas un centime). Rebelote : baisses de recettes fiscales, baisse de recettes sociales, le capital n’a pas versé un centime et nous passons à la caisse en rémunérant au passage les notaires qui ne vont tout de même pas travailler gratuitement.
Cette logique économique motivée par la préservation du capital et la volonté politique de n’afficher « aucun impôt supplémentaire » ne peut nous conduire qu’à deux choses : plus de malheur pour la population et… un déficit public excessif. Car côté chiffres, les masses accordées en aides aux entreprises sont tout simplement vertigineuses : avec plus de 2 000 dispositifs d’aide (subventions, facilités de prêts, exonérations de cotisations, aides à l’innovation, crédits d’impôts et niches fiscales etc), ce sont, selon les estimations, entre 150 et 170 milliards d’euros qui sortent des caisses de l’Etat chaque année. Si certaines de ces dépenses peuvent être vertueuses sur le plan macroéconomique, il en est certaines dont le coût est exorbitant et l’inefficacité sociale sans appel. Ainsi les exonérations de cotisations sociales qui ont atteint 73,6 milliards d’euros en 2022 (chiffre URSSAF) et les niches fiscales 81,3 milliards d’euros (exécution des comptes de l’Etat 2023) dont certaines comme la niche fiscale des armateurs (dispositif de taxation au tonnage : les groupes de transport maritime sont taxés sur le poids des navires et non plus à l’impôt sur les sociétés) a permis au groupe CMA-CGM, du milliardaire Monsieur Saadé, d’échapper à 10 milliards d’impôts sur les bénéfices en trois ans.
Dans ce contexte d’appauvrissement méthodique de l’Etat et d’enrichissement du capital, il est rigoureusement impossible de mener une politique de réduction du déficit public. La logique des deux blocs bourgeois, réputés bien à tort « bons gestionnaires de l’Etat », a atteint son extrême limite dans un contexte économique de croissance molle.
Mais il n’en a pas toujours été ainsi, l’alternance des gouvernements offrant de temps en temps des temps (aussi brefs qu’imparfaits) de respiration pour les comptes publics, et pour la population. Ainsi furent les premières années du gouvernement de Lionel Jospin (avec tous les défauts que l’on pourrait, et à juste titre, lui trouver). Lorsque la gauche remporte les élections législatives de 1997, l’économie est déprimée, le déficit public s’établit à 3,7% et la dette publique brute à 61,8% du PIB. Dans un contexte européen où le Pacte de stabilité prévoyait de ramener à terme les déficits autour de 1% du PIB en 1999, le gouvernement Jospin a fait le choix de rompre et de miser sur un cercle vertueux qui serait impulsé par la dynamisation de la consommation populaire, notamment grâce à une hausse du SMIC décidée dès le milieu de l’année 1997. Dans le même temps, toutes les politiques de réductions d’impôts entamées par le gouvernement Juppé sont stoppées et l’impôt sur les sociétés est relevé de 15%.
Un parti pro-bourgeois ne peut pas maîtriser les finances publiques
Si le résultat social du gouvernement Jospin peut-être largement critiqué, comme nous l’avons fait ici, le résultat des comptes publics, lui, est sans appel : le déficit public est réduit à 1,4% en 2001, la dette contenue à 59% du PIB, la croissance à 3% dès la troisième année a rempli les caisses de l’Etat et de la sécurité sociale et les travailleurs ont bénéficié d’avancées non-négligeables. Évidemment, tout n’est pas rose au PS et quelques incartades libérales se sont glissées ici ou là dans la politique budgétaire des socialistes (baisse des cotisations maladie, extension de la CSG…) mais au total, la volonté politique d’impulser une dynamique économique en laissant quelques temps au placard la réduction des déficits a fonctionné et…a ramené le déficit à des niveaux acceptables.
La « bonne maîtrise des finances publiques » dont le gouvernement se réclame de manière éhontée depuis 7 longues année nécessite d’activer des leviers qu’aucun bloc bourgeois n’a jamais été en capacité de mobiliser pour la bonne raison que parmi leurs objectifs figure le maintien des sur-profits et des rentes improductives et toxiques. En bref, la politique consistant à garantir le capital est intrinsèquement désastreuse pour les finances publiques. A une encablure du premier tour des élections législatives, les blocs bourgeois de Renaissance et du Rassemblement National sont paralysés par leur logiciel : réduire le déficit, garantir une rente et des profits maximums pour le capital et les milliardaires, et améliorer la vie des gens sont des objectifs incompatibles. Les propositions ridicules qu’ils avancent traduisent la situation de blocage dans laquelle ils se trouvent. Les impératifs sociaux et écologiques que nous connaissons n’ont aucune chance de trouver un débouché positif dans ce schéma économique.
Nous vivons dans un pays où, alors que l’extrême-droite est en mesure de remporter des législatives anticipées, la majorité sortante qui les a amenés jusque-là devrait proposer comme mesure économique phare la suppression de frais de notaire (??) alors que la France compte 9 millions de pauvres, 4,2 millions de mal-logés et des revenus maintenus volontairement bien trop bas. Alors, qui sont les mauvais gestionnaires ?
Hugo Hanry
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