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Les enseignants des zones d’éducation prioritaires de Marseille et de région parisienne mènent en ce moment un mouvement de grève et de manifestations, soutenus par les parents d’élèves. Regroupés autour du collectif Touche Pas à Ma ZEP, ils réclament la prise en compte des difficultés qui touchent leurs établissements et l’obtention d’un statut unique et clair pour l’éducation prioritaire. Qui sont ces profs qui amputent leur salaire en poursuivant cette grève depuis la rentrée de janvier ? Pour bien saisir les difficultés considérables et les contradictions auxquelles ils sont soumis, nous republions une analyse en forme de témoignage, réalisé pour notre n°3 par un de nos contributeurs, professeur à Marseille.

Il est à craindre que, dans les endroits où elle serait la plus utile, notre École soit impuissante, et ce de plus en plus, à exercer une quelconque influence sur les inégalités sociales et culturelles. « L’égalité des chances », expression à la mode il y a quelques années, est une vaste illusion. L’École, en l’état actuel des choses, joue un rôle de pansement, de plus en plus usé, sur des plaies sociales qui dépassent largement son champ d’action. On attendrait d’elle qu’elle compense les inégalités d’accès à la culture, de logement, de salaire, qu’elle supprime l’extrémisme religieux et le racisme qui résultent de ces inégalités. Elle empêche pour l’instant l’hémorragie, mais guère plus. Et ce n’est pas l’enseignement ou pas d’une deuxième langue en classe de cinquième qui changera quoi que ce soit à la question.

Je suis enseignant, j’ai débuté dans le métier il y a trois ans maintenant. J’enseigne actuellement dans un collège des quartiers nord de Marseille, un établissement classé REP+ par le ministère de l’Éducation nationale. Ces questions sur l’École, je me les pose tous les jours, avec d’autant plus d’urgence que c’est dans les quartiers les plus en difficulté socialement que l’action de l’École est la plus importante, mais aussi la plus imparfaite. Et l’impuissance de l’École, je suis aux premières loges pour l’observer. J’y contribue même malgré moi.

Je parle de « REP + », les classifications changeant très fréquemment (celle-ci n’a même pas un an), voici concrètement ce que cela signifie : les Réseaux d’Éducation Prioritairee + (successivement nommés ces dix dernières années ZEP, puis RAR, puis CLAIR, puis ECLAIR) sont des établissements qui reçoivent plus de moyens du ministère pour mener leur action, et ces réseaux d’établissements sont définis en fonction de quatre critères :
– le taux d’élèves ayant redoublé en entrant en sixième (22,3 % dans mon collège)
– le taux d’élèves boursiers (73,2 %)
– le taux d’élèves issus de Zones Urbaines Sensibles (74,9 %)
– le taux d’élèves dont les familles relèvent de Catégories Socioprofessionnelles Défavorisées (85,7 %)
Autant dire que nous avons là la parfaite définition INSEE d’un ghetto social : chômage élevé, délinquance, pauvreté, échec scolaire. Ce dernier pourrait d’ailleurs être mesuré par de nombreux autres critères : faible taux de réussite au brevet des collèges (67 % des élèves dans mon collège, contre un taux national de 86 %, écart qui est amoindri par le contrôle continu), très faible taux d’orientation en lycée général, très faible taux de réussite en lycée pour les élèves orientés, très fort taux de décrochage scolaire.

Autant le dire, pas exactement le type de collège qui vous fait sauter de joie lorsque vous apprenez votre nomination, mais l’important bien sûr n’est pas là. Il n’est pas question de détailler ici toutes les difficultés qui se posent à un enseignant qui travaille dans les quartiers nord de Marseille, un livre y suffirait à peine. En revanche il y a une question qu’il faut se poser : quel est le rôle de l’École dans un quartier comme celui-ci ? Les notices et directives du ministère foisonnent de formulations plus ou moins folkloriques et jargonneuses, mais globalement la réponse de la République est celle-ci : l’École, dans les quartiers défavorisés, doit assurer l’égalité des chances. Autrement dit, un élève des quartiers nord doit avoir, grâce à l’École, autant de chances, d’atouts dans la vie, qu’un élève des quartiers sud favorisés. Je n’entretiendrai pas le suspense plus longtemps : ce n’est pas le cas. Un enfant qui grandit dans une cité dans le 13ème arrondissement de Marseille n’a pas autant de chances de « réussir » qu’un élève d’un quartier bourgeois du 8ème. Si « réussir » est trop vague, contentons-nous de « éviter le chômage » : dans le quartier, le taux de chômage dépasse les 28 %. Dans le quartier de l’établissement dans lequel j’enseignais l’année dernière, qui se trouve dans le 8ème arrondissement, le taux de chômage est de 7 %.

Alors non, l’École ne suffit pas à compenser les inégalités sociales, elle ne parvient pas à combler non plus les inégalités culturelles. J’irai même plus loin : dans les quartiers défavorisés et violents comme celui dans lequel je travaille, l’École n’est souvent qu’un moyen de pacification, d’apaisement, elle empêche certains enfants (pas tous, loin de là) de traîner dans la rue, voire de se lancer joyeusement dans l’économie parallèle, guère plus. Et seulement pour un temps. Non seulement l’École n’a pas les moyens matériels de jouer le rôle qu’elle se fixe (celui d’éduquer et d’assurer l’égalité entre les futurs citoyens), mais elle n’en a même plus les moyens théoriques et politiques, l’École elle même (et en particulier ceux qui la font, ceux qui travaillent pour elle) est incapable de définir le rôle qu’elle entend jouer et le rapport qu’elle doit avoir à ses élèves dans les quartiers défavorisés. Les enseignants constatent chaque jour l’insuffisance des moyens qu’on leur donne pour assurer leur mission, alors il faut se poser la question : pourquoi continuer à mentir sur l’égalité des chances que l’École assurerait ?

« Un élève, ça doit rester à sa place »

C’est un discours qui nous entoure sans jamais s’avouer quand on entre dans l’Éducation nationale. Voici un cas dans lequel j’ai entendu cette pensée formulée à voix haute : c’était lors d’un conseil de discipline. Ce conseil rassemble le chef d’établissement et son adjoint, les délégués élus des parents d’élèves, des élèves et des enseignants (dont moi en l’occurrence) et se réunit en cas d’incident grave pour décider de sanctions à prendre à l’encontre d’un élève. En gros, c’est là que l’on décide si un élève est exclu du collège. L’élève dont nous examinions le cas avait insulté et menacé l’une de ses enseignantes, mais il avait au cours des mois précédents frappé plusieurs camarades et insulté d’autres professeurs. Il s’agissait d’un élève de SEGPA, une section spéciale réservée aux élèves présentant de gros problèmes d’apprentissage et un quotient intellectuel très inférieur à la moyenne ne leur permettant pas de suivre les enseignements d’une classe normale. Lors d’un conseil de discipline, l’élève est la plupart du temps présent avec sa famille, c’est un moment qui se veut solennel, et assez impressionnant. Le chef d’établissement tient toujours un discours très ferme et tient à rappeler les règles de vie dans un collège, voire à s’étendre sur les règles de citoyenneté et de vie en société.

En s’adressant à cet élève, ma principale a donc eu ces mots : « Un élève, ça doit rester à sa place, ça n’a pas de droits, ça a des devoirs avant tout. » Cette dame est de la vieille école, certes, mais je ne lui jette pas la pierre, car ce discours, toute l’institution le tient sans le tenir : personne ne vous aidera jamais à « tenir vos classes » (on préfère d’ailleurs, signe des temps, l’expression « gestion de classe »), mais c’est la seule chose qui peut faire qu’on refuse, à la fin de votre année de stage, votre entrée dans la « grande maison » de l’Éducation nationale. L’incompétence et la méchanceté ne sont pas rédhibitoires, le « bordel » dans votre cours, si, et ce quelle qu’en soit la raison. Car dans l’Éducation nationale, actuellement, on est avant tout dans la gestion de l’urgence, et c’est un sentiment qui vous prend très rapidement à la gorge, que ce soit dans le rapport aux élèves ou dans les moyens qui vous sont alloués.

De fait, « tenir ses élèves » est une question de survie lorsqu’on enseigne. À un moment donné, il faudra soit que vous fassiez taire vos élèves, soit que vous renonciez, vous, à leur parler et à enseigner. Je ne peux pas vraiment reprocher sa phrase à ma chef d’établissement, car cet élève, j’ai voté moi-même son exclusion définitive du collège, parce qu’il avait insulté et menacé une de mes collègues à plusieurs reprises et que je savais, nous savions, que nous étions incapables de nous occuper de lui, de le calmer, tout simplement d’éviter qu’il soit un danger pour les autres élèves et pour nous. J’ai donc voté l’exclusion, tout en sachant que cette sanction, vitale pour le fonctionnement du collège, était un aveu flagrant d’échec, de la part de l’institution à laquelle j’appartiens.

Les conseils de discipline – je commence à en avoir fait un certain nombre – reviennent la plupart du temps à dire : « Nous sommes incapables de nous occuper de vous, l’École ne peut rien, alors en attendant la fin de votre scolarité obligatoire nous allons refiler le problème à un autre collège. » Lequel d’ailleurs nous « échangera » notre « cas difficile » contre l’un des siens.

Le problème c’est que l’Éducation nationale, du ministère jusqu’aux syndicats, n’a aucune conception, aucune position théorique concernant la question de l’autorité à l’École. Je ne définirais jamais mon métier comme consistant à « faire rester à leur place » des enfants. Et pourtant c’est une grande part de mon travail quotidien.

Or, un enfant des quartiers nord ne peut pas « rester à sa place », et ce pour de nombreuses raisons, dont deux me semblent fondamentales : l’omniprésence de la violence dans sa vie, et l’impossibilité dans laquelle il se trouve de se construire et de se définir, que ce soit par méconnaissance de son histoire personnelle ou par mise en retrait sociale et économique en raison de son appartenance à son quartier.

« Ouais mais m’sieur, la Castellane c’est le bled »

Commençons par la question de la violence. Elle est difficile à appréhender de façon objective, car la violence vécue au quotidien ne se mesure pas par le taux de criminalité. Elle est pourtant bien présente. Lorsqu’on arrive dans une cité des quartiers nord, en bon enseignant tout juste sorti de l’université, qui plus est issu d’un département rural tranquille, on a l’impression d’entrer dans un autre monde. On comprend vite qu’il y a des règles qui nous échappent.

Sur le trajet que je fais chaque jour entre mon collège et le métro il y a deux points de vente de drogue. Ce n’est pas une façon de parler : il y a des tables et des fauteuils, avec des vendeurs qui attendent le client toute la journée, avec ou sans musique, en jouant souvent aux cartes, en pleine rue. L’un se situe au milieu du trottoir de l’unique avenue qui traverse la cité et l’autre à la sortie du métro. La première fois on m’a regardé de travers, j’ai eu droit à quelques « mais il est fou lui, il va où comme ça ? » et à une petite filature ostensible en scooter pour voir où j’allais. Maintenant on se dit bonjour.

Souvent, quand je fais le trajet avec des collègues plus expérimentés, ils croisent d’anciens élèves qui tiennent les tables, et ils discutent un peu. Nous ne sommes pas des flics, on nous laisse passer. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’on nous respecte, mais on nous tolère. J’ai déjà vu quelqu’un, venu acheter de la drogue mais identifié, à tort ou à raison je l’ignore, comme « un flic en civil », se faire rouer de coups sur cinquante mètres par ces mêmes anciens élèves qui tiennent les tables. Lorsque des voitures sont arrivées en faisant des dérapages, j’ai cru qu’il s’agissait en effet d’un policier en civil et que la cavalerie arrivait. Mais non, il s’agissait de « patrouilles » de dealers. J’ai compris depuis qu’une partie des marchandises proposées à la vente circulait en permanence, pour éviter la police justement. Alors certes la violence vécue est une chose difficile à estimer, mais je pense pouvoir dire que le niveau de violence ambiant est largement supérieur au seuil acceptable dans ce quartier. Et pourtant, ce n’est pas ce qui ressort quand j’interroge mes élèves.

Lors de la visite de Manuel Valls dans la cité de la Castellane le 9 février 2015, des tirs d’arme automatique ont attiré l’attention des médias. J’en ai un peu parlé avec mes élèves, curieux de savoir ce qu’ils en avaient pensé. Ils n’en ont pas pensé grand-chose dans l’ensemble. Une intervention, cependant, m’a marqué : une élève m’a déclaré « Ouais mais c’est normal monsieur, la Castellane c’est le bled. »

Les mots ont leur importance. « C’est le bled », dans ce cas précis, signifie « c’est le bordel comme au bled », « les gens sont des sauvages comme au bled. » C’est une expression qui peut être selon les cas positive ou négative, mais ici elle était très clairement négative, voire méprisante. La Castellane c’est pas comme ici, nous on n’est pas des tarés, voilà ce qu’elle voulait dire. Si j’en crois les chiffres, la situation des élèves du collège que fréquentent les habitants de la cité de la Castellane est comparable point pour point à celle des miens.

Si je regarde la petite fille (elle est en sixième) qui m’a fait cette réflexion, je vois une élève sans père, dont la mère est émigrée comorienne sans emploi, et dont le frère vient de sortir de prison. La violence, je pense qu’elle connaît ça mieux que moi. Et pourtant, elle ne l’identifie pas dans son cas personnel, elle ne la voit pas sur elle. Chez les autres, ça oui. Ailleurs, c’est vraiment le bordel.

Moi, j’aimerais bien qu’elle comprenne que c’est dans son intérêt de rester assise et d’écouter mon cours. Que grâce à ça, au moins, elle pourrait mieux comprendre le monde. Mais elle elle n’y arrive pas. Elle ne comprend pas que quand elle parle elle crie et que quand elle joue elle agresse. Alors je dois faire en sorte qu’elle « reste à sa place » elle aussi. Parce que je ne sais pas faire autrement. Parce que je crois encore que lui apprendre à lire ça pourra lui servir. Parce que je n’ai aucune prise sur ce qui fait réellement sa vie et celle de ses camarades. Bien entendu, elle ne sait toujours pas lire.

« Ma mère elle est tunisienne »

La violence n’est pas que physique, elle est aussi symbolique. Grandir dans un quartier comme celui dans lequel je travaille, c’est être dans l’impossibilité de se construire et de se définir de façon saine, tant le rapport au monde et à la société est biaisé, tant la violence symbolique est forte.

C’est facile à dire peut-être, voire un peu naïf, mais je ne peux m’empêcher de remarquer que les espaces qui longent les barres d’immeubles ne sont pas des rues. D’ailleurs, elles ne portent pas de nom. Dans toute la cité, qui abrite plus de 6 000 habitants, il n’y a qu’une rue répertoriée au cadastre. Plusieurs milliers de personnes vivent au 54, avenue de Frais Vallon. Si vous leur écrivez, pensez à préciser l’immeuble, vous avez le choix, ça va de A à O. Les écoles primaires elle-mêmes s’appellent « Frais Vallon nord », « Frais Vallon sud », « Frais Vallon centre ». Elles sont collées, et j’ai du mal à repérer les points cardinaux. Je veux bien qu’on me dise que j’accorde de l’importance à des symboles quand le matériel fait déjà défaut. Mais mes élèves, quand ils vont sur le port, disent : « Je vais en ville. » C’est donc qu’ils n’y vivent pas. Les mots ont leur importance.

Autres symboles : ceux de la République. Pour mes élèves, la présence de la République c’est un collège et une descente de CRS toutes les deux semaines. Je me suis amusé à faire la moyenne depuis le début de l’année. Ils arrivent en fourgons, j’en ai compté jusqu’à 25, mais généralement c’est plutôt une quinzaine, et ils investissent les lieux pour la journée. Après les attentats des 7 et 9 janvier, ils arboraient même leurs fusils à lunette. En temps normal ils évitent. Ils plantent le drapeau de la République, parfois ils jettent aux ordures les fauteuils et les tables des dealers. Et le lendemain, tout redevient comme avant. Pour un enfant de ce quartier la République c’est une centaine de mecs casqués et armés devant sa porte. Et moi. On est vraiment dans le même camp ?

Difficile de définir qui on est dans ces conditions quand on a entre 11 et 16 ans. Le problème n’est pas celui des papiers. Naïvement, j’ai été surpris lors de ma première sortie scolaire de découvrir que seulement 15 % environ de mes élèves n’avaient pas la nationalité française. Si l’on remonte aux parents, bien entendu, c’est autre chose. Mais eux rejettent à la fois l’étiquette de « Français » et celle de « blédard ». Une fois, dans le même cours, un élève s’est fait « traiter » de « Français » parce qu’il soutenait la théorie de l’évolution (enfin plus simplement l’existence des dinosaures) face à celle d’Adam et Ève, et un autre a eu droit au qualificatif de « blédard » parce qu’il avait fait une faute de grammaire.

Je vous laisse alors imaginer le trouble d’un autre élève, qui s’efforçait depuis l’enfance d’affirmer qu’il était arabe, puisque sa mère était née en Tunisie, lorsqu’il a découvert, en faisant un travail sur sa famille pour son professeur d’anglais, que sa mère était née à Tunis, certes, mais était pied-noire et pas arabe. Tout son univers s’effondrait. Non pas qu’il ait eu une quelconque connaissance de la colonisation, mais parce qu’il ne pouvait plus affirmer fièrement à ceux qui le « traitaient » de « Français » : « Je suis pas français, ma mère elle est tunisienne. »

Service après-vente ?

Il se passe des choses dans l’esprit de mes élèves, qui ne sont après-tout que des adolescents en construction, que je ne peux pas imaginer. Mais comment leur en vouloir de rejeter « la France » qu’ils ne savent définir ? (Très peu de mes élèves ont déjà quitté Marseille, un ou deux n’ont même jamais vu la mer.) Car le problème n’est pas celui des papiers, pas même, je pense, celui de la culture, encore moins celui de l’identité nationale. Le problème est social. C’est la vie dans les cités du nord de Marseille et d’ailleurs qui provoque ces effets, c’est la pauvreté, le chômage, la marginalisation, le déracinement et la violence symbolique.

Alors quel est l’effet de mon action à moi, jeune enseignant dans ces quartiers ? J’ai souvent l’impression qu’il est mince. Mon activité réside pour une grande part dans le fait de persuader mes élèves de « rester à leur place ». Parce que je pense que ce que je veux leur apprendre est important, parce que je sais que je veux les aider, que moi je n’abuserai pas de l’autorité que j’ai sur eux. Mais parfois je ne suis pas certain d’avoir raison. Qu’est-ce que je peux faire pour compenser les dégâts du chômage, la pauvreté voire l’inexistence de la politique de la ville ?

L’enseignant de gauche que je suis a donc souvent l’impression de mentir en affirmant aux enfants la bienveillance de l’institution qu’il représente, bienveillance qui n’est en réalité que la mienne et celle de mes pairs, pas celle de l’institution qui nous paie, qui est elle largement dépassée par les événements. L’économie capitaliste fait les dégâts et l’École tente de mettre des pansements, en expliquant par sa voix officielle, son ministère, qu’elle peut guérir tous les maux de la société, ce qui est un mensonge. À qui profite ce mensonge? Aux mêmes qui profitent de la misère qui règne dans ces quartiers, à ceux qui exploitent la main d’œuvre bon marché et qui savent qu’ils n’ont pas besoin que toute la population soit éduquée pour que l’élite se renouvelle.
Quant à nous, nous calmons les victimes du capitalisme, nous leur faisons croire que nous allons aider leurs enfants à vivre mieux qu’elles. Nous assurons, en somme, le service après-vente. J’espère que nous faisons parfois un peu plus, sinon ça n’en vaut pas la peine.