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« Vous avez toutes les cartes en main pour réussir. Regardez ces mecs qui se sont faits tout seuls, ils ont mis leur volonté au service d’un destin. Prenez-vous en main. Vous avez les clés. »

Des récits de destinées exceptionnelles, « de véritables leçons de vie », des portraits de réussite industrielle, accompagnée d’ascension sociale, gratinée d’un destin politique ou saupoudrée d’une carrière artistique. Un vrai un buffet à volonté de belles histoires. Ces discours reviennent sans cesse au travers des récits de vie que nous proposent des journalistes, romanciers, cinéastes et artistes de tout poil. On a bien de la chance de les avoir ceux-là : ils se décarcassent pour nous permettre de vivre les aventures de ceux de la haute, pour nous redonner le moral comme on rassure les enfants avant de dormir en leur racontant une belle histoire : avec un héros, une princesse et de vilains méchants. On en a bien besoin dans ce « matérialisme ambiant » décrié par les penseurs, dans cette « France dépressive » décrite par les économistes, non ?

On nous sert alors de la star, du grand patron, du souverain, du politique, de l’artiste, ou un méli-mélo du tout à la Bernard Tapie qui « monte sur les planches ». De l’arriviste récompensé présenté comme un bosseur à la Matthieu Gallet, du fils à papa en fait self made man à la Sarkozy, du Marie-Antoinette mère-courage, du Dassault innocent, du Strauss-Kahn rien qu’un petit troussage, du Kerviel, itinéraire de celui qui a failli détruire le système financier mondial mais ouf.
Allez, enivrons-nous au vin capiteux de la réussite tourmentée d’Yves Saint-Laurent, engloutissons une belle tranche de vie de François Hollande et, pour finir, soyons gloutons, dégustons la succulente tablette de la famille Dassault carré après carré… jusqu’au bout. Ces histoires nous racontent chaque fois la même chose : c’est la fable de l’égalité des chances, de la réussite par le mérite, de la possibilité de s’en sortir par soi-même. Tout un programme. Prenons un peu exemple et rêvons nous aussi de devenir grands parmi les grands.

Passons sur l’indigestion, vous me direz que rien ne m’oblige à regarder ces films, à lire ces livres et ces journaux. D’ailleurs j’essaie de les éviter mais c’est matériellement impossible. Il y a les invités des plateaux de télé et de radio, romanciers, cinéastes, journalistes, qui tous viennent pour nous soutirer une larme et quelques billets en nous vendant un bouquin ou une place de ciné. L’étal de marché remballé, il y a encore les commentaires dithyrambiques qui accompagnent ces œuvres souvent financées par les mêmes médias.

Confronté à cette « orgie » de biographies, on ne peut pas se contenter de picorer à droite à gauche pour faire bonne figure. Déjà, c’est pas poli, hein. Et puis on n’échappe pas au Festival de Cannes ou à la dernière sortie média du président de la République. On en bâfre jusqu’à la colique de la violence de toute cette production culturelle et médiatique. Oui, de la violence. Car elle nous montre un monde de luxe réservé à des élus, un monde où les seules questions sont psychologiques, où le « nervous breakdown » est érigé en valeur cool, où les riches ont un destin, une vie romanesque, passionnante et émouvante.

Nous ? On a des tronches de cake qu’on gardera toute notre vie, empêtré dans notre quotidien banal et soucieux, car, vraiment, on ne pense qu’à finir le mois.
Déjà dans notre vie de tous les jours, on est confronté à l’opulence. On voit passer des voitures avec chauffeur et des convois ministériels quand on habite ou travaille à Paris. Et quand on habite ailleurs, on sait que « tout se passe à Paris » parce que la France est… Centralisée, bravo ! On sait donc tous qu’il existe deux mondes. Alors pourquoi nous raconter ces histoires ?

Justement, pour nous démontrer que leur monde n’est pas inaccessible, que chacun peut arriver en haut de l’affiche. Ces récits ont une valeur d’exemple à suivre : le modèle de celui qui a réussi et, si possible, réussi par ses propres moyens – on n’hésitera pas à entortiller l’histoire pour le prouver. Voilà l’ultime rempart de l’ordre social : maintenir l’illusion d’ascension.  Tant que des récits mettent en valeur ceux qui auraient gravi les sphères sociales, a priori sans le capital de papa et sans les appuis du salon de maman, aucune raison de gueuler contre la domination de l’élite. Au contraire, il faut travailler pour en faire partie, « saisir la balle au bond » et tout peut enfin « sourire ». Et « si ça ne rigole pas », ce sera de notre faute. On n’aura pas su faire monter la mayonnaise.

Dans tous ces parcours, le personnage principal a un trait distinctif, une saveur particulière : un destin. On ne va pas nous raconter l’histoire de monsieur Tout-le-monde qui mène une vie sobre, ou alcoolisée, qui travaille, mange, dort, se marie avec sa voisine, fait des enfants, etc., etc. Au lieu de parler à tout le monde en parlant de chacun, le récit de vie des puissants assaisonné à toutes les sauces nous met en position de spectateurs d’un destin qui nous dévalorise en comparaison de nos propres perspectives. Le héros, le vrai, vient d’un autre milieu que celui dans lequel il se retrouve. C’est encore mieux s’il vient d’un milieu qui sera dit « défavorisé », c’est-à-dire non millionnaire. Mais il a pour lui une volonté hors du commun (le commun, c’est nous), et, très important, un physique de rêve. Il est l’élu des dieux ou le produit de la méritocratie républicaine, selon que l’histoire est racontée dans Le Figaro ou dans la page portait de Libération. Ouvrons plutôt le journal impartial par excellence, le modèle de vertu neutre, Le Monde, à la date du 10 mai et savourons ce mets.

 

Le dernier de la série, c’est Matthieu Gallet, nominé, pardon, nommé « à la tête » de Radio France, le groupement de radios publiques. Selon Frédéric Mitterrand, l’un de ses protecteurs qui s’est battu « comme un beau diable » pour qu’il obtienne son précédent poste à la direction de l’Institut national de l’audiovisuel, il est « beau comme un dieu ». Selon moi, il a une mâchoire carrée d’acteur de série américaine, un sourire que je n’aimerais pas avoir dans le dos, un œil qui se fait plus gros que l’autre pour donner à l’ensemble un air pensivement mystérieux. Bref, il est glissant comme le savon dont il porte le nom et qu’on trouve aux Galeries Lafayette. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre. Mais avec quoi, demanderez-vous ?

En étant comme Matthieu Gallet, enfin ! C’est le sujet de son portrait « brossé », ou plutôt ciré, dans Le Monde. Volonté, travail (on suppose car il n’en est pas question un instant), charisme et sex appeal, les ingrédients d’une belle histoire sont réunis. Matthieu Gallet y est qualifié – c’est le titre de l’article – d’« ambitieux moderne ». Et non de connard arriviste comme il y en a toujours eu.
Sur un ton « dépassionné », sans l’ombre d’une critique, on nous explique qu’il est arrivé à Paris à 22 ans pour un stage au Centre Pompidou. Puis il a gravi les échelons dans des ministères non grâce à ses diplômes ou à ses capacités hors-norme mais grâce à sa belle gueule, à son ambition, à son réseau, et, c’est ce qui est dit sans équivoque possible, à ses coucheries.

Puisqu’on nous y invite, soyons un peu smarts. Comprenons et acceptons tels qu’ils sont les rouages de l’élite. Comme Matthieu Gallet, adoptons « les réflexes de la bourgeoisie parisienne ». Comme lui, qui viendrait de la classe moyenne (« une famille d’employés », nous dit-on, mais employés où ? par qui ? Ça ne veut rien dire à la fin « employé »), contournons la reproduction sociale poussiéreuse de l’ENA. Faisons en sorte que notre réseau passe pour de la méritocratie 2.0. Suivons cet « ambitieux moderne », exemple pour les « jeunes loups » de l’administration.

La France est dirigée par une élite parisienne ? Qu’à cela ne tienne. Les nominations dans la haute fonction publique ne sont pas réglementées ? Voyons le bon côté des choses, ça ouvre des possibilités. Donc l’alternative c’est d’être déjà du sérail ou un ambitieux prêt à tout ? Il faut ce qu’il faut.

Mais ne pensons pas que l’élite est devenue brusquement immorale. Gallet est comparé à Bel-Ami, personnage de Maupassant, mais le jeune provincial désargenté arriviste appuyé par un réseau rappelle plutôt ceux de Balzac il y a 180 ans. Si le type humain n’a donc rien de nouveau, c’est la façon de raconter qui a changé : Rastignac est l’amant de la femme du plus gros banquier de Paris et d’Europe ; Lucien Chardon, lui, veut devenir Lucien de Rubempré et ainsi reprendre le nom de sa mère. Lucien est ambitieux car poussé par Vautrin, un bagnard évadé à qui il plaît et qui deviendra chef de la police (comme l’autre a été poussé par Mitterrand devenu ministre). Il est dévot pour être soutenu par les royalistes (comme l’autre a été dans des cabinets ministériels de droite et nommé par des conseils de gauche sans discrimination parce qu’ils évoluent dans les mêmes sphères). Mais on n’a envie de ressembler ni à l’un ni à l’autre. Là, cet article nous lance : « Vous voyez, ce n’est pas compliqué. Si vous n’avez pas fait l’ENA, que vous n’êtes pas de “l’intelligentsia” parisienne, vous pouvez quand même percer. On vous donne même la recette. Mettez de l’eau dans votre vin. »

 

En plus du message aux jeunes ambitieux sur ce qu’il est de bon ton de faire pour réussir de nos jours, il y a un deuxième message, la cerise sur le gâteau, destiné à l’élite elle-même. Ce n’est pas par hasard que Le Monde est d’abord disponible à Paris. C’est que « la bourgeoisie parisienne » dont il est question dans l’article veut avoir la primeur pour se regarder nous truander dans le journal intègre par excellence.

Les belles histoires, l’élite se les raconte aussi à elle-même. Au point d’utiliser Le Monde pour s’envoyer des lettres en famille. En février dernier, au moment où le Sénat refusait de lever l’immunité de Serge Dassault, le fiston Olivier, lui-même député, se fendait d’une « Lettre ouverte à mon père, un honnête homme » où il blanchit papa : « “Vêtu de probité candide et de lin blanc”, sont les mots de Victor Hugo mais ils décrivent bien l’entrée en politique en 1974 de mon père, Serge Dassault. « Issu d’une famille où l’intérêt national et le bien commun nous nourrissent dès le berceau, il t’aura fallu trente ans pour conquérir la mairie de Corbeil mettant ainsi fin à des décennies de clientélisme communiste. »
À l’heure du dessert, le journal arrive tout frais à la table de l’élite qui s’en pourlèche les babines. On voit déjà le petit Dassault se délectant de l’article rédigé par un de ses collaborateurs. Fiston sait bien que papa est un salaud. Mais face à l’adversité, il le défend en racontant la fable d’une lignée honnête et méritante qui ne veut qu’une chose : le bien de son pays. C’est sans doute ça l’esprit de famille ou l’esprit de corps. À moins qu’il ne cherche à défendre que sa propre carrière en préservant son nom de trop vilaines taches de gras. Car Petit Dassault a même soin de préserver l’indépendance de la presse en s’exprimant dans Le Monde et non dans le journal de papa, Le Figaro.
Brûlez-vous la gueule en vous jetant sur les « coulisses » dévoilées de votre propre fonctionnement, la vengeance est un plat qui se mange froid.

Mais qui met la main à la pâte ? Quel nécessaire sous-fifre relaie la domination pour mieux complaire aux personnages importants ? Qui nous raconte avec dédain cette fable de l’ambitieux récompensé ? Quel est ce journaliste qui exerce un métier si noble qu’on croirait que dans cette profession on finit forcément otage ? Raphaëlle Bacqué. Après le savon, la lessive, décidément… Parce que les petites mains du pouvoir ne sont pas forcément cinéastes ou romancières. Elles peuvent très bien être « journalistes-écrivains ». Et elles sont quand même tout le temps invitées sur les plateaux télé.
Je vous vois venir : vous pensez que j’exagère, que « sous-fifre », c’est un peu violent et que les journalistes sont plus bêtes que complaisants. Certes ils sont bêtes, mais regardons un peu les titres des livres de Raphaëlle Bacqué, c’est éloquent.

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Chirac président, les coulisses d’une victoire
Seul comme Chirac
Chirac ou le démon du pouvoir
La Femme fatale [à propos de Ségolène Royal]
L’Enfer de Matignon : Ce sont eux qui en parlent le mieux
Le dernier Mort de Mitterrand
Les Strauss-Kahn

Autrement dit, son travail – de journaliste toujours – consiste à attendrir la viande, non, à romancer la politique politicienne, pour que des glandus arrivistes aient l’air de produits de la méritocratie. Elle nous parle d’hommes faillibles mais beaux, de psychologies complexes, de tourments, de non-dits. Des histoires bien faisandées. Et ce serait de la fascination stupide ? Je maintiens qu’elle sait ce qu’elle fait. Car sa complaisance lui ouvre les portes d’un milieu qui la fait rêver. Le renard flatte le corbeau pour le fromage qu’il a dans le bec. Raphaëlle Bacqué se satisfait des miettes qu’elle lèche par terre. Elle fait partie des intermédiaires qui prennent en charge la communication politique des puissants en faisant de l’émotion. Aujourd’hui on appelle storytelling la communication sous forme de récit mais ce n’est jamais qu’une manière de créer des mythes à bon marché et de faire pleurer dans les chaumières sur le sort de ceux qui ne seront jamais sur la paille. Pas besoin d’être un foudre de guerre pour se rendre compte que raconter une histoire peut émouvoir un public et que le conteur assoit alors plus facilement sa domination.
Et ne nous y trompons pas. Ces intermédiaires compatissent vraiment aux histoires qu’ils racontent. Pire, ils s’en sentent investis. C’est ce que racontait dans une interview une romancière qui s’était « mise dans la peau » de Joséphine de Beauharnais, la femme de Napoléon : « Parfois, je ressentais sa peine au point d’en être déstabilisée. Mais je persévérais, chargée d’une autre vie que la mienne. » Car, vous le croirez ou pas, cette Joséphine a connu des épreuves terriblement douloureuses et, quand Napoléon l’a répudiée, ça a été le coup de grâce. Voilà, toutes les femmes, pardon toutes les petites bourgeoises éplorées, pourront elles aussi se mettre à sa place. Question du journaliste : « Quand même, ça doit être difficile de se mettre dans la peau de… [là il peine un peu car lui-même ne sait pas comment la définir] de… [il a envie de dire « une star » mais elle est impératrice, première dame quoi, y a-t-il un terme générique ? il sèche…] d’une grande dame, non ? »

Cette fois, ce n’est pas un modèle d’élévation sociale qu’on propose à tout le monde. On ne deviendra pas impératrice, c’est évident. Joséphine était l’épouse de Napoléon, tout cela se passe dans les hautes sphères dont on ne connaît pas le premier bout de chaussette, ou plutôt de bas de soie. Ainsi va la vie. Ces histoires de rois-stars qui ont vécu des souffrances au cours d’une existence tout miel et tout sucre intéressent la bourgeoisie pour imposer sa propre vision de l’histoire. C’est donc pour nous édifier qu’on nous raconte ces événements historiques vus depuis la chambre à coucher. Les vies personnelles des « grands de ce monde » font l’Histoire, voyons. Elles en sont le sel. Un peu d’empathie permet de partager les torts voire de nous culpabiliser sur le rôle du peuple. Par exemple cette pauvre princesse étrangère, Marie-Antoinette, si mal acceptée à la cour de France et qui en plus est arrivée au mauvais moment, oui, juste avant la Révolution : elle sera emportée par la barbarie des foules.

La mode du moment compatit surtout aux malheurs des femmes de rois, les reines donc, tant délaissées, les pauvres biches. Après le « biopic » du roi bègue, un jeune homme fragile destiné à devenir un des « grands de ce monde » [toujours préciser « de ce monde », parce que nous ne vivons pas la même réalité], George VI, roi de l’empire britannique, qui surmonte son handicap et finit par faire un beau discours, après le biopic de Marie-Antoinette, cette année le cinéma nous offre un nouvel épisode de sa série de portraits de rois-stars : le biopic de la princesse de Monaco, Grace Kelly.  C’est censé nous faire verser une petite larme le malheur dans des draps de satin ? C’est censé avoir le charme de l’ancien, les princes du passé ? En tout cas, leur prestige rejaillit sur la classe dominante d’aujourd’hui. Car au box-office, les tourments des riches ont plus de gueule que ceux des pauvres. Chacun a ses souffrances, ses névroses, ses inhibitions et « l’art se doit d’en parler ». Et Les cinéastes se sont donc jetés sur le bout de gras suivis par la meute de la « presse spécialisée » qui ronge les os. Présenté au Festival de Cannes, le film « Grace » a fait « grincer des dents sur la Croisette » : « le Rocher » n’a pas apprécié et les journalistes ont sifflé la projection. Autrefois, la « couronne monégasque » aurait dû engager et payer une partie du public, la claque, pour qu’elle hue ou qu’elle applaudisse à tout rompre. Aujourd’hui, la presse spécialisée se prétend indépendante. En effet, elle bouffe au râtelier des puissants gratis, parce qu’elle est d’accord avec eux.

Maintenant, il est temps de concocter nous-mêmes une alléchante fable qu’on présentera à tous les Français. Préparons-leur un président de la République. Comme les contes pour enfants ont leur folklore, les fées, les princesses, et tout le toutim, le récit de vie de politicien repose sur des codes et des images d’Épinal. Voici donc la recette du Hollande, la recette d’un bon récit du destin d’un puissant (et non un bon rôti d’intestin d’impuissant). À vos fourneaux.

Préparons d’abord notre plan de travail en embellissant la réalité. Pour que la fiction crée l’envie, il faut du glamour, des tapis rouges et des ors de la République. Comme on ne le verra jamais qu’à la télé, dans les journaux ou entouré d’un important « dispositif policier », on n’aura pas l’occasion de se rendre compte que la réalité est bien plus laide, qu’elle ressemble désespérément à celle de tout le monde. Les dorures s’écaillent et le caviar, je suis sûr que c’est dégueulasse.

Sur le même principe, présentons le réseau du parti avec ses éléphants (Fabius) et ses « jeunes loups » comme la suite logique de collaborations fructueuses, d’intenses séances de travail en commun à l’ENA, et non comme la reproduction d’une élite qui ne bouge pas d’un iota depuis des dizaines si ce n’est des centaines d’années. Là encore la réalité est moins belle mais on ne la verra jamais, un point c’est tout. Car elle diffère trop de celle du tout-venant. Ce qui se partage dans les grandes écoles, ce ne sont pas des séances de travail, mais des week-ends dans la maison de campagne des uns et des autres, quand ce n’est pas sur des yachts. Ah si, on l’a vue cette réalité grâce à Sarkozy et sa clique. Voilà ce que donne une fiction ratée, on voit toutes les ficelles. Ne reproduisons donc pas cet exemple un peu cramé sur les bords.

Une fois que tout est prêt pour commencer, beurrons un moule du concept d’homme providentiel. Utilisons pour cela un livre d’Histoire avec De Gaulle. Le président de la Ve République est toujours l’homme providentiel, un père tutélaire républicain. Il a un rapport spécial aux Français, à ses Français, qui sont un peu ses enfants – à qui raconte-t-on des histoires sinon aux enfants ? – et qui l’ont investi d’une mission au moyen du suffrage universel. N’hésitons pas à en faire un christ sorti des urnes.

Ensuite, prenons un président beau. Comment ça c’est râpé ? Ah. Et en plus il est président par hasard ? Bon, ça ne se présente pas bien pour fricasser un beau destin. Faisons les fonds de placards alors. Ça y est : en fait, si on le connaissait un peu dans l’intimité et comme on est Français et qu’il est notre président, c’est comme s’il était notre colocataire en caleçon ou notre patron au déjeuner, on pourrait s’apercevoir qu’il est marrant en plus d’être super intelligent !
Poursuivons. Rendons-le héroïque. Pour cela, il doit être bien individualisé : un homme avec une appellation, un label « bien de chez nous » : par exemple le « président normal », comme ça il sera populaire parce qu’on s’identifiera à lui, et… disons le « président de la jeunesse », comme ça on croira en lui et en l’avenir. Montons encore un peu l’individualisation. Il a une responsabilité dont il doit répondre devant son peuple. S’il n’atteint pas ses objectifs, que lui seul se fixe mais qu’on est censé avoir agréés par contrat lors de son élection, c’est qu’il est un « nul » et que, par conséquent, nous avons fait le mauvais choix. En tant que tronches de cake, pas étonnant. Mais le discrédit ne peut pas retomber sur toute la classe politique. Il faut voir. Le karma de Valls, Fillon, Le Pen ou Copé – ah non, plus Copé – sera peut-être meilleur.

Surtout, n’oublions jamais notre but : bourrer le mou sur le destin du président qui est là parce qu’il ne pouvait pas en être autrement, la preuve : il est là ! Légitimons-le.

Mais il manque encore un soupçon de quelque chose, un zest de piquant pour faire un vrai destin politique, a real hero. Voilà : lardons-le de terribles adversaires ! Et pas juste l’opposition UMP ou les querelles de chapelles dans son propre parti. Il faut des embûches : le chômage, ou même, ou même, mais alors là c’est osé, un grand méchant, le big boss de la fin du jeu vidéo : la montée du Front national. Là, il pourra avoir du « courage politique » à bon compte – et saupoudrons de poncifs par-ci par-là – car « jamais il ne cédera devant la barbarie ».

Faisons le combattre le chômage qui a encore augmenté le mois dernier alors qu’on croyait qu’il avait commencé à se retirer devant le « ténor » du PS. Il doit chanter dans la poêle. Si les journaux titrent « le pari perdu de Hollande », là, pour nous, c’est gagné. Tout le monde a intégré qu’il a un destin, qu’on est dans un corps-à-corps entre le chômage et lui, avec les Français dans les gradins. Après une défaite électorale, on le laissera se présenter devant son public en ces termes : « Je n’ai rien à perdre », pour en remettre une couche, redire qu’il « gardera le cap » quoi qu’il arrive. Si les éditorialistes expliquent qu’il « lie son destin au chômage », qu’il ne se présentera aux prochaines élections présidentielles que si le chômage régresse, ça veut dire qu’on commence vraiment à croire que le chômage le touche au point d’en faire une affaire personnelle, qu’il ne met pas juste en jeu une place lucrative et honorifique. Nous pouvons le sortir, il est à point. Attention c’est chaud !

Laissons-le reposer un moment : le « recul » du chômage finira bien par arriver comme la pluie après la sécheresse. Car ne croyez pas qu’il est facile de créer un « destin politique » de toute pièce. Cela ne fonctionnera pas si on ne peut vraiment rien faire avec les ingrédients : essayez de faire quelque chose de Xavier Bertrand, assureur franc-maçon de Saint-Quentin, vous verrez. Prions pour que la sécheresse prenne fin d’ici 2017.

Lui n’a « rien à perdre ». Mais nous, qu’avons-nous à perdre dans ses pactes à la con ?

Lui et eux, vivent un conte de fées, nous, la réalité. Réalité qui nous paraît chaque fois plus intenable quand on la confronte à ce modèle d’ascension sociale et à ces récits de rois dont on nous sature, à cette façon de nous rappeler jusqu’au cinéma que nous sommes des inférieurs.

N’oublions donc jamais que les rois, tout souffrants qu’ils sont, s’arrogèrent un pouvoir extraordinaire, que la réussite ce n’est pas le fric et le pouvoir et que l’égalité ce n’est pas la fameuse « égalité des chances ».
Grands de ce monde, nous aimons les histoires, toutes les histoires, même celles d’amour, même les amours perdues qui ne se retrouvent plus, mais vraiment pas les vôtres, celles de pari perdu, du quinquennat de la jeunesse et de la destinée des uns et de la misère sociale des autres, toujours ce sont vos satanées histoires que vous nous crachez à la figure et qui nous feront crever ou renaître, sauf que le cinéma et les écrans tridimensionnels des multiplexes et l’empereur sa femme et le petit prince et les vies de stars avec des chiens ou sans chiens avec des hommes avec des femmes devant la télé dans le journal et vos ambitions et vos traditions et la culture avec un grand C comme Cramer et comme le Cancer que sont les élites pour notre société et comme ces Cons de Français qui vous emmerdent et qui ne veulent pas faire comme il faut et qui manquent d’initiative alors qu’il y en a qui s’en sortent par le haut et…