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Il y a quelques semaines, Luc Ferry se situait à l’avant-garde de la bourgeoisie paniquée par le mouvement des gilets jaunes. Il appelait à tirer sur les foules factieuses, before it was cool. Depuis Ferry est mainstream chez les bourgeois : depuis samedi, “la manif de trop”, le gouvernement lui-même a fait appel à l’armée.

Pardon, on exagère, il s’agit seulement des soldats de l’opération “Sentinelle” (comme ce nom est doux et rassurant) et ils ne seront pas envoyés “au contact” des manifestants de samedi prochain, ils seront déployés sur des “points fixes” autour des bâtiments publics, pour laisser à leurs collègues gendarmes et policiers le loisir d’avoir la main plus légère sur le Lanceur de Balle de Défense, comme le premier ministre leur a demandé lundi soir.

Un plan bien rôdé ? Pas sûr, mercredi soir le JT de 2 laissait 3 secondes de parole à un syndicaliste policier mitigé, qui expliquait, plein de bons sens, que les soldats n’étaient pas équipés pour faire face aux manifestants qui s’approcheraient trop près de leurs “points fixes”, qu’ils n’avaient qu’un FAMAS sur eux (selon Google, un FAMAS est “un fusil d’assaut français de calibre 5,56 × 45 mm Otan de type bullpup”) et rien de non-létal pour repousser la foule. Le JT en restait là, comme s’il s’agissait d’un détail. Et pourtant, on est en droit de se demander ce que vont faire les soldats face à une foule qui s’approcherait trop près de l’Assemblée Nationale ou d’un ministère (ça arrive à chaque fois) ? Coup de crosse ? tirs de sommation ? Paniquer et tirer dans le tas ?

Un risque qui ne semble pas déranger grand monde : le petit train-train des rédactions médias parisiennes continue, aucune de ces belles âmes ne panique ou ne s’étonne, et Ségolène Royal a dit qu’elle trouvait ça chouette que ça arrive enfin.

La bourgeoisie se prépare à son premier mort par balle. Elle évoque maintenant sérieusement des foules arrêtées et enfermées dans des stades. Et avec l’assurance que confère aux fascistes en herbe l’idée qu’après tout les gens peuvent aussi rester chez eux devant Stéphane Plaza et foutre la paix sociale. Le journaliste Yves Calvi déclarait ainsi mardi dernier :

“Si, en effet, les périmètres sont franchis, on doit procéder à des arrestations. Et ces gens-là, à un moment, l’acte de police, et des policiers, il consiste à mettre des gens… La seule solution, c’est dans un stade, avec tout ce que sur le plan historique et imaginaire, ça provoque. Après, on pourrait dire qu’aujourd’hui, ils sont prévenus.”

Ahh, “ils sont prévenus”. La population a été intimidée, donc maintenant elle doit cesser sa rébellion. Car les bourgeois sont fatigués de tout ça. Ils avaient des projets grandioses pour nous (et pour eux surtout) : réduire notre assurance-chômage, augmenter l’âge de départ à la retraite, continuer à démolir le service public de la santé, privatiser à tout va, nous faire travailler gratos un jour de plus… Et toute cette histoire perturbe la bonne marche des “réformes” pour lequel ils ont tous soutenu Macron.

Tout ça, c’est de la bonne grosse dérive autoritaire, mais les bourgeois sont comme OSS 117 : “une dictature c’est quand il y a des communistes, qu’il fait froid et que les gens portent des chapeaux gris et des chaussures à fermeture éclair”. Ils voient et crient à la dictature chez les autres (pas quand on leur vend des armes et des avions hein!) mais chez nous ils fermeront toujours les yeux, sourire tranquille aux lèvres.

Les bourgeois nous dominent depuis au moins deux siècles et ils ont donc de glorieux ancêtres qui n’ont pas eu la main légère sur la gâchette. En 1871, Paris a été reprise par l’armée, sous le regard bienveillant de l’élite intellectuelle de l’époque : Zola disait à ce sujet que “le bain de sang qu’il [le peuple] vient de prendre était peut-être d’une horrible nécessité, pour calmer certaines de ses fièvres” tandis que Flaubert écrivait à George Sand “le peuple est un éternel mineur. Je hais la démocratie. (…) Le premier remède serait d’en finir avec le suffrage universel, la honte de l’esprit humain”. Humanistes, nos élites ? Seulement en temps de paix sociale, quand le peuple courbe l’échine.

Mais quand les classes populaires se battent pour la justice sociale, c’est la panique générale, et tous les moyens sont bons pour sauver son petit pouvoir et son gros portefeuille, les principes attendront. Aujourd’hui le nouveau préfet de police de Paris a été nommé. Durant son discours d’intronisation Castaner lui a dit : “je vous demande l’impunité zéro“. Ils sont où les artistes, “intellectuels”, humanistes qui s’opposent habituellement aux “surenchères sécuritaires”, aux “dérives totalitaires” et au “risque fasciste” ?

Ils attendant sagement que leur Fouquet’s rouvre ses portes.