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Transparence, n.f : terme bourgeois d’usage politique, médiatique et institutionnel visant à démontrer la volonté, de la part des détenteurs du pouvoir, de communiquer au public toutes les informations nécessaires au contrôle du bien fondé de leur action. Ce terme a une fonction performative : dire qu’on est transparent, c’est déjà être transparent. 

Exemple : “L’allocution du président sera un « moment de pédagogie et de transparence pour rassurer et anticiper les prochaines étapes de la crise », selon son entourage. Le choix du gouvernement, c’est d’être transparent dans l’information et déterminé dans l’action”, a affirmé le ministre de la Santé.

Les éditorialistes aiment nous raconter que la Transparence est une Vertu des Démocraties Occidentales. C’est ce qui nous distingue des méchants chinois communistes mangeurs de chauve-souris, qui persécutent des opposants tandis que nous nous contentons de les éborgner, en bon démocrates.

A quoi sert la transparence ? A vaincre la méchante défiance des citoyens, ce « cancer » des démocraties modernes. Un soupçon de corruption ? Vite ! de la transparence ! Pour les bourgeois, la transparence est un peu l’oscillococcinum de la démocratie.

Au point que la transparence est devenue un mot valise du discours politique et institutionnel, le genre de banalité qu’on sort lors d’une cérémonie de vœux où le discours d’ouverture d’un congrès pharmaceutique. Transparence, résilience, participatif, engagement, développement durable… on mélange les cartes et on recommence.

D’ailleurs, il y a une vraie tendance bourgeoise à commencer une phrase par « en toute transparence » pour ensuite mentir effrontément : “En toute transparence, je vous le dit comme je le pense, parce qu’il faut dire la vérité aux Français nous ne faisons pas une politique en faveur des riches / nos hôpitaux ne sont pas débordés / ce n’est pas une photo de ma bite sur votre écran.

Tuto transparence

Mais ne soyons pas injustes : la transparence est, on nous le dit, un “véritable exercice démocratique”. Comment ça se pratique ? 

Il vous faut, pour cela, des “bases de données publiques”. C’est le cas depuis plusieurs années au sujet d’une institution qui génère “peur”, “inquiétude” et “défiance” (et non pas “critique fondée en raison”, nous sommes des grands enfants envers qui il faut faire preuve de “pédagogie“, souvenez-vous) : l’industrie pharmaceutique. Comme de mauvaises langues prétendent que ces glorieuses entreprises sucrent généreusement experts, médecins et organismes de contrôle pour nous vendre leur cam’, un précédent gouvernement a mis en place une base de donnée en ligne, “Transparence Santé », où les médecins déclarent, s’ils le souhaitent, les cadeaux, dîners et congrès payés par un labo.

La même chose a été faite suite à l’affaire Cahuzac : chaque année, les députés et ministres doivent remplir une déclaration de patrimoine ensuite mise en ligne sur le site de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. Concrètement, le “véritable exercice de démocratie” consiste à remplir un formulaire et de le scanner tel quel et sans vérification. La transparence, c’est si le politique le veut, hein. Et s’ils sont pris la main dans le sac, ils diront que c’est un “oubli”, pardon, une “omission”, comme l’avait fait l’actuelle ministre de la justice qui avait « oublié » de déclarer une maison de 184 mètres carrés dans l’Aveyron  et deux appartements de 61 et 32 mètres carrés à Paris. Dur dur d’être riche.

Sinon, certaines entreprises vont “plus loin” : la réseau social TikTok a carrément ouvert un “centre de transparence” à Los Angeles, “dans le but de rassurer les consommateurs sur la collecte de données de l’application. Les experts auront accès à certaines informations et pourront voir comment l’entreprise gère le contenu de la plateforme.” s’enthousiasme le magazine Forbes, estomaqué par tant d’audace. “Certaines informations”, mais lesquelles ? Et quels experts ? On ne sait pas, mais est-ce grave ?

Non, car “En toute transparence”, ils feront bien ce qu’ils voudront. Tant que la transparence sera seulement un exercice consistant à dire les choses en ayant l’air le plus sincère possible, à remplir une déclaration sans vérification ou construire un musée de sa propre vertu, elle restera le privilège bourgeois de donner les informations qu’on aura envie de donner. Nous autres, on ne nous demande pas d’être transparent, on nous demande de remplir cette déclaration d’impôt de façon rigoureuse et sous peine d’amende. Au travail, on ne nous demande pas d’être “transparent” sur nos heures de travail, mais de passer notre badge dans la badgeuse. La transparence, c’est un truc de boss, les blaireaux comme nous n’ont pas à être transparents mais à obéir.

Or, sans contre-pouvoir, pas de véritable transparence. Quand il y avait 20% de députés ouvriers à l’Assemblée Nationale, on ne nous vendait pas la transparence mais le rapport de force. Quand les syndicats étaient forts et offensifs dans des industries, le patronat ne promettait pas la sincérité budgétaire mais des augmentations de salaires.

Plus nos “démocraties” et nos entreprises se disent “transparentes”, plus leurs maîtres règnent sans partage.