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Reprenant les références à la crise de 29 pour parler de la crise actuelle liée à l’épidémie de coronavirus, des médias en profitent pour rappeler la dangerosité des idées protectionnistes afin de protéger le système économique libéral.

L’épidémie de coronavirus a mis à l’arrêt de nombreuses entreprises en France et dans le reste du monde. Quelques semaines après le début du confinement, on nous prévenait des difficultés à venir. Kristalina Georgieva, directrice générale du fonds monétaire international (FMI), entrevoit le 9 avril « les pires retombées économiques depuis la Grande Dépression ».

Un discours qui fait écho aux propos de Bruno Le Maire, notre ministre de l’Economie, le 24 mars dernier: « Ce que nous vivons n’a pas d’autre comparaison que la Grande Dépression de 1929. »

Invoquant les images alarmantes de familles sur les routes en quête de travail, tout droit sorties des Raisins de la colère, les médias se sont saisis de l’analogie : vivons-nous un épisode similaire à celui de la crise de 29 ? 

Des crises de nature différente, mais aux effets similaires

Il semble que la métaphore ne soit pas si bien choisie car la nature des deux crises est différente. En 1929, l’effondrement a pour origine un krach boursier. Aujourd’hui, la crise vient d’un virus, exogène au secteur économique. La maladie réduit l’activité, en contraignant les salariés au confinement. Dans cette configuration, c’est l’économie réelle qui pourrait contaminer le monde de la finance.

Cependant, les interlocuteurs choisis par les médias y voient bien des similitudes. « Nous entrons dans une crise de proportion considérable, comparable à 2008, voire 1929 », lit-on dans un article du Monde citant l’économiste Daniel Cohen. Les effets ressentis par la population sont similaires, précise le journaliste : « Entre 1929 et 1932, le commerce et la production industrielle ont baissé de 30 % aux Etats-Unis, puis un peu partout dans le monde. Les estimations actuelles font état d’une perte de produit intérieur brut, qui définit la richesse produite, de l’ordre de 30 % dans la zone euro au deuxième trimestre par rapport au premier trimestre 2020. »

En 1929, « les dirigeants ont multiplié les erreurs »

Les ressentis étant comparables, les journalistes se font fort d’analyser les moyens employés pour « endiguer » la crise en 1929, mais aussi en 2008, afin de désigner les meilleurs outils à employer dans la période actuelle. Et leur jugement est sans appel : en 1929 « les dirigeants ont multiplié les erreurs », insiste un journaliste de La Croix, dans un article du 20 avril. « Les banques centrales n’ont pas secouru les banques commerciales, ce qui a entraîné des faillites en chaîne, tandis que chaque pays, à commencer par les États-Unis, a pris des mesures protectionnistes, aggravant la crise mondiale », précise l’article citant Éric Monnet, de l’EHESS.

Au contraire, en 2008, les choses semblent avoir été bien gérées selon ces médias qui s’appuient notamment sur le témoignage de Patrick Artus de la banque Natixis. « Les erreurs commises en 1929 sont évitées », assure l’économiste que l’on retrouve également dans le Monde et qui, on l’apprend dans Le Point, figure parmi les experts régulièrement consultés par Bruno Le Maire pour gérer la crise actuelle.

La méthode employée en 2008, soit le recours à la planche à billets pour sauver les banques, est saluée dans La Croix : « De part et d’autre de l’Atlantique, les gouvernements lancent des plans de relance hors normes, les banques reçoivent un puissant soutien public, tandis que la Fed injecte massivement des liquidités sur les marchés afin là aussi de soutenir l’activité. »

Dans un autre article, également publié dans la Croix, le 26 mars, on avait déjà interrogé Daniel Cohen, dont l’opinion allait dans le même sens : « En 1929, on a multiplié les erreurs : en recourant au protectionnisme ; en laissant le système bancaire imploser ; enfin, et surtout, en menant des politiques budgétaires récessives. Ces erreurs ont toutes été évitées en 2008. »

Dans ces articles les journalistes se gardent alors d’épiloguer sur les politiques d’austérité appliquées en échange de l’intervention de l’Union européenne pour enrayer la crise de la dette en 2009. 

« L’enjeu est de garder la machine en route »

Le plus important, au cas où nous ne l’aurions pas compris, est de nous faire comprendre qu’envisager des mesures protectionnistes est du suicide. Le protectionnisme, c’est le repli sur soi, qui entraîne le nationalisme, qui a engendré le nazisme. Et la guerre. CQFD. Comme le rappelle l’article du Monde énumérant les conséquences de la crise de 29 et « son cortège de misère, de morts, et de troubles sociaux et politiques, dont l’avènement du nazisme. »

Les médias encouragent les dépenses oui. Mais dans le seul but d’anticiper la reprise. « L’enjeu est de garder la machine en route », lit-on dans le Monde. Une fois la tempête passée, les objectifs demeurent inchangés : il va falloir lutter pour gagner des parts de marché et faire du profit. La bonne vieille recette libérale et capitaliste. 

Parce qu’on ne peut changer le monde dans lequel on vit 

« Chacun est libre de plaider pour la fermeture des frontières, pour le protectionnisme, pour le retour à une économie administrée, mais la réalité est têtue : les hommes, les entreprises, les nations, les continents sont interdépendants pour le meilleur et pour le pire », tance l’économiste Nicolas Baverez dans un dossier spécial de l’Express, intitulé « Le procès fait à la mondialisation est absurde ». 

« En Europe, aucun pays même l’Allemagne, ne peut développer une industrie compétitive sur son seul marché national et prétendre figurer dans les dix premières puissances mondiales avec une stratégie protectionniste et isolationniste », insiste l’économiste.

Ainsi, rien ne semble ébranler les médias qui persistent dans la défense du système économique libéral. Cependant, ces injonctions relayées par l’Express, à savoir « développer une industrie compétitive », « figurer dans les dix premières puissances mondiales », obéissent à des logiques qui sont à l’origine des restrictions budgétaires dans le secteur de la santé, considéré comme moins profitable. 

Or c’est l’affaiblissement des services de soins qui a contraint le pays à se confiner. Les moyens humains et techniques ne seraient pas à la hauteur si un grand nombre de personnes tombait malade en même temps. Les politiques libérales sont bien à l’origine de la crise sanitaire et par ricochet de la crise économique elle-même. Alors vraiment on ne change rien? 

A contre pied des discours alarmistes sur les conséquences politiques de la crise de 1929, la réaction de certains Etats après cette période pourrait être une source d’inspiration. Les années trente, ce n’est pas seulement la montée du fascisme en Europe, c’est aussi le New Deal mis en place par le président américain Franklin Delano Roosevelt, et ensuite théorisé par l’économiste John Maynard Keynes : grands travaux publics, hausse des prix agricoles, baisse du temps de travail, assistance sociale d’urgence, lois de protection des syndicalistes, régulation du secteur bancaire, etc. Sans oublier la taxation très forte des plus riches au début des années 1940, avec la mise  en place d’une fiscalité sur le revenu avec un taux d’imposition de 94 % sur la tranche la plus haute. Si la crise que nous traversons est similaire à celle de 1929, ne vaut mieux-t-il pas mieux s’inspirer de ce qui s’est fait de meilleur à l’époque, plutôt que de continuer le pire?