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Vous vous rappelez, l’année dernière, des éternels reportages larmoyants des JT et des chaînes d’information sur les petits patrons en difficulté ? On aurait aimé voir le même engouement médiatique au sujet des salariés mis à la porte sous prétexte de l’impact du Covid19 sur la situation économique de leur entreprise. Surtout qu’en réalité, ces prétendues difficultés sont très largement à nuancer.

Le secteur d’activité le plus mis en avant par les médias a sans doute été celui de la restauration. Il semblait être le secteur le plus touché par la crise, et même les plus anticapitalistes d’entre nous pouvaient se sentir un peu solidaires du gérant qui n’avait plus le droit d’ouvrir sa brasserie et donc de nous vendre ses bouteilles de vin quatre fois le prix qu’il les avait achetées. 

Les restaurants ont augmenté leurs bénéfices de 6,6% en 2020

Les appels à la solidarité vis-à-vis des restaurateurs se sont multipliés pendant des semaines. On était même sommés de s’apitoyer sur le sort des grands chefs, genre Philippe Etchebest qui a touché 85 000 euros rien que pour bosser 12 jours lors du tournage de Top Chef.

Déjà en 2020, les entreprises s’étaient gavés sur le dos de l’État et des habitants. C’est parti pour une rebelote en 2021.

Le regard sur les performances économiques des restaurants en 2020 laisse pantois. Leur chiffre d’affaires a certes baissé de 33,7% entre 2019 et 2020, mais leur bénéfice, soit le profit qui reste à l’entreprise une fois qu’elle a payé toutes ses charges, a augmenté de 6,6%.  

La raison ? Les aides que l’État leur versait faisaient souvent bien plus que compenser les pertes et n’étaient évidemment pas imposables. Laurent Benoudiz, président de l’Ordre des experts-comptables d’Île-de-France, qui a  800 clients, dont la majorité dans le secteur du commerce et de la restauration, indique aux Échos qu’« aucun n’est en situation de défaillance ». Un point de vue qui est confirmé par  les analyses de la Banque de France. L’institution estime que seulement 6 à 7% des entreprises françaises pourraient rencontrer des difficultés quand les aides publiques s’arrêteront.

En France, entre décembre 2019 et décembre 2020, 284 000 emplois salariés ont été détruits.

Plus globalement, la majorité des petites et moyennes entreprises (PME) s’en est  bien sortie pendant la crise. En moyenne, leur bénéfice a augmenté de 2% en 2020. Les milliards déversés par le gouvernement sur les entreprises (activité partielle, report des charges, etc.) leur ont donc permis de générer plus de profit qu’avant la crise.

Si on regarde la performance de l’ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille, le constat est le même : les profits se sont solidement tenus. D’après l’INSEE, le taux de marge des sociétés non financières s’est établi en 2020 au même niveau qu’en 2018. Il était supérieur en 2019, mais c’était uniquement à cause de l’effet du « double versement » du CICE (crédit d’impôt compétitivité emploi) cette année-là. Ce double versement était dû au fait que le CICE a été supprimé depuis le 1er janvier 2019 et remplacé par un allègement de cotisations patronales. Pendant l’année 2019, les entreprises ont bénéficié des deux dispositifs.

Si les entreprises ont généré de tels niveaux de marge, tandis que leur chiffre d’affaires chutait, c’est à la fois grâce aux dispositifs d’aides publiques (au global, la masse salariale des entreprises non financières a baissé de 50 milliards d’euros en 2020, grâce aux indemnités d’activité partielle), mais aussi parce qu’elles ont détruit énormément d’emplois. La note de conjoncture de l’INSEE publié en mars dernier en donne le détail : en France, entre décembre 2019 et décembre 2020, 284 000 emplois salariés ont été détruits.

Les actionnaires ont continué à se rémunérer grassement

Les grands profiteurs de cette situation sont les actionnaires des entreprises. Rappelons que le  recours à l’activité partielle n’est aucunement conditionné à une limitation du versement de dividendes. Le gouvernement avait uniquement interdit aux grands groupes (au moins 5000 salariés et 1,5 milliard de chiffre d’affaires en France) qui bénéficient du PGE (prêt garanti par l’État) de verser des dividendes pendant l’année 2020. Mais de nombreuses entreprises ont attendu 2021 pour verser des dividendes sur leurs bénéfices réalisés en 2020, parfois constitués principalement des aides publiques.  

Les groupes du CAC 40 (indice boursier qui mesure la performance des 40 plus grosses entreprises de la bourse de Paris) ont tous bénéficié d’aides publiques l’année dernière (chômage partiel, plans d’urgence, plan de relance, soutien de la Banque centrale européenne (BCE), etc.) et la plupart vont verser des dividendes cette année au titre de l’exercice 2020 pour un total qui va atteindre plus de 43,7 milliards d’euros, auxquels vont s’ajouter 7,3 milliards de rachats d’actions. L’observatoire des multinationales précise à ce sujet qu’au global les groupes du CAC 40 vont verser cette année en dividendes l’équivalent de 140% de leurs profits annuels. On atteint ainsi les niveaux records de l’année 2019. Seules les banques ont vraiment limité leur versement de dividendes, car la BCE le leur a imposé.

Ce catastrophisme économique a servi à justifier des plans de licenciements.

Le cours des actions des grandes entreprises montre la même euphorie : le CAC 40 a atteint 6 500 points mardi 1er juin, un niveau qui n’avait été atteint que deux fois depuis la création de cet indice à la fin des années 1980. Et il ne semble pas s’arrêter là : il pourrait bientôt dépasser son  record absolu datant de septembre 2000, soit 6 922 points.

Bref, il semble bien loin le temps où on nous parlait d’une nouvelle crise de 1929. Tout ce catastrophisme économique a surtout servi à justifier des plans de licenciements. Aujourd’hui, le principal risque économique identifié est que la reprise économique soit tellement rapide et forte que cela entraîne trop d’inflation. Car la demande de matières premières devient plus forte que l’offre, et leurs prix augmentent.

Pas de panique cela dit, la hausse des prix restera sans doute contenue, car les salaires ne vont pas suivre. Comme l’indique William de Vijlder, chef économiste chez BNP Paribas, le risque que l’inflation soit trop forte et de longue durée est limité, car le « sous-emploi sur le marché du travail ne va pas favoriser une augmentation des salaires ». Et les profits vont continuer à exploser, car comme l’a relevé l’économiste Michel Husson, la forte reprise économique qui s’annonce ne sera pas accompagnée d’une reprise de l’emploi d’après les prévisions de la Banque de France. 

Le capitalisme est décidément une mécanique bien rôdée. Même une pandémie mondiale qui a jusqu’à présent fait quasiment 4 millions de morts ne peut pas atteindre sa toute puissance. Nous ne nous en sortirons qu’en démolissant sa source : l’exploitation du travail permise par la propriété privée des entreprises.


Guillaume Etiévant