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En juillet dernier, le Royaume-Uni a été le théâtre de violentes émeutes racistes lancées par l’extrême-droite, quelques semaines après l’entrée en fonction du nouveau gouvernement travailliste (la “gauche” britannique). Parallèlement, le parti de Nigel Farage, Reform UK, a pris son envol, faisant entrer l’extrême-droite dans le champ politique institutionnel. Comment cette nouvelle donne est-elle advenue dans un pays plutôt épargné par les mouvements fascistes, contrairement au reste de l’Europe ? Olly Haynes nous raconte cette inquiétante dynamique.

Jusqu’en juillet dernier, le Royaume-Uni était une exception en Europe, car l’extrême droite n’y disposait encore d’aucune représentation parlementaire à l’échelle nationale.

Il est vrai qu’il arrivait ponctuellement qu’un député conservateur s’emporte.  En temps normal, cela  se soldait par une expulsion du parti et la perte de son siège lors des élections suivantes. Il est vrai aussi que le DUP, parti évangéliste de droite radicale, faisait partie du paysage politique en Irlande du nord, mais ce dernier a vu son pouvoir politique s’affaiblir au fil des années et se concentrer localement.

Jusqu’en juillet dernier, le Royaume-Uni était une exception en Europe car l’extrême droite n’y disposait encore d’aucune représentation parlementaire à l’échelle nationale.

Mais c’est bien l’élection générale de 2024 qui marque un important tournant avec l’arrivée de Reform UK, le parti d’extrême droite dirigé par Nigel Farage. Il obtient 4 circonscriptions (avec un pourcentage de vote qui équivaut à 94 sièges dans un système proportionnel). Il est rejoint à Belfast par Jim Alister, dirigeant de TUV, un parti à la droite du DUP.

En dehors du parlement, l’extrême-droite s’était déjà réunie après l’assassinat de citoyen.nes blanc.hes, de la même manière que les groupuscules fascistes avaient instrumentalisé le meurtre de Lola en France. Toutefois, des émeutes à travers le pays se sont révélées d’une importance et d’une gravité sans précédent après le meurtre brutal d’un groupe d’enfants dans la ville de Southport, l’été dernier. 

Le drame de Southport et sa violente récupération raciste

Le 29 Juillet 2024, un jeune homme âgé de 17 ans s’est rendu dans une école de danse  et a poignardé élèves et personnel. Au total, Il aura tué trois jeunes filles, et mutilé 8 autres, ainsi que deux membres du personnel qui tentaient de l’arrêter. Il est arrêté par la police sur les lieux du drame, et ses motivations restent à ce jour méconnues. 

Après tout, le suspect est un homme noir de parents immigrés, ce qui, dans l’imaginaire ethno-nationaliste de l’extrême droite britannique, revient à la même chose qu’être musulman.

La loi sur la restriction de la presse au Royaume Uni prévoit que les médias ne peuvent pas identifier publiquement un suspect de moins de 18 ans. Mais cela n’a pas empêché l’extrême droite de spéculer sur la confession musulmane du suspect. Des influenceurs fascistes comme Tommy Robinson, David Atherton ou encore Andrew Tate ont participé à propager des rumeurs sur l’appartenance religieuse du meurtrier. Certains lui ont même attribué une fausse identité, le présentant sans fondement comme un homme palestinien arrivé en Grande Bretagne par bateau. Ces rumeurs ont participé au déclenchement d’émeutes, tout d’abord à l’encontre de la mosquée de Southport.

Le parquet a donc décidé de révéler l’identité du suspect de 17 ans afin de mettre fin à ces troubles. Bien qu’il se soit avéré que le coupable soit un chrétien né au pays de Galles de parents Rwandais, les émeutes ont continué à se propager à travers le pays. Après tout, le suspect est un homme noir de parents immigrés, ce qui, dans l’imaginaire ethno-nationaliste de l’extrême droite britannique, revient à la même chose qu’être musulman.

Un pogrom raciste et une riposte antifasciste de grande ampleur

Les évènements qui ont suivi sont particulièrement choquants et intolérables et ne peuvent être qualifiés autrement qu’un pogrom. Des militant.es fascistes et racistes, souvent issus des classes populaires précaires, se sont mis à tenter d’attaquer et expulser toute personne musulmane et racisée de leur communauté, allant jusqu’à des tentatives de meurtre. 

À Southport, on a pu donc observer la foule jeter des briques sur la mosquée. A Middlesbrough, des groupuscules fascistes ont tenté de créer des « No go Zone » dans le centre-ville en y refusant l’accès aux personnes non blanches. À Belfast, on a pu observer une femme voilée se faire frapper au visage alors qu’elle portait son bébé dans les bras.

Mais le pic de cette violence s’est sûrement déroulé à Tamworth où une foule hilare a enfermé des demandeurs d’asiles dans l’hôtel où ils résidaient avant d’y mettre le feu. Bien que l’incendie ait été heureusement maîtrisé, l’intention de la foule était claire : tenter de tuer les résidents enfermés à l’intérieur du bâtiment. Une liste des centres d’immigration à cibler a par ailleurs été partagée sur Telegram, à destination des émeutiers.

À Southport, on a pu donc observer la foule jeter des briques sur la mosquée. A Middlesbrough, des groupuscules fascistes ont tenté de créer des « No go Zone » dans le centre-ville en y refusant l’accès aux personnes non blanches. À Belfast, on a pu observer une femme voilée se faire frapper au visage alors qu’elle portait son bébé dans les bras.

D’autres actes violents ont été commis à travers le pays contre des hommes et femmes racisés ou de confession musulmane, les poussant parfois à s’armer pour se défendre face à une violence croissante.  Des images d’hommes noirs et arabes masqués et armés pour se protéger contre leurs agresseurs, qui ont, selon les médias, conforté les émeutiers et leurs alliés dans leur croyance du Grand remplacement et du « Two tier policing », une théorie complotiste selon laquelle les blancs seraient traités plus durement par la police que les personnes racisées.

Pendants les jours qui ont suivi  les émeutes,  une liste des centres d’aide à l’immigration circula sur Telegram. Ces centres furent la cible  de mobilisations fascistes prévues pour le 7 Août, soit 9 jours après la première émeute. 

Ce même jour, des milliers de militant.es antifascistes se sont mobilisés à travers le pays pour s’opposer à cette violence, décourageant ainsi les émeutiers en infériorité numérique.  La manifestation la plus grande a eu lieu à Walthamstow, dans le Nord-Est de Londres, où j’ai rencontré le député LFI Raphaël Arnault. Aucun fasciste ne s’est manifesté, probablement découragé par la taille de la foule. La député locale du parti travailliste, Stella Creasy a seulement découragé les manifestations contre l’extrême droite, mais après avoir  vu la taille de la foule, a tenté de donner l’impression qu’elle participait à la manifestation. Dans la plupart des contre-manifestations , les antifascistes ont largement dépassé en nombre  les fascistes. Une victoire idéologique saluée par les médias, pompiers-pyromanes de cette escalade de violence. Dans quelques endroits périurbains et plus pauvres, des affrontements furent observés entre les deux factions. Quelques interpellations sans blessé grave ont eu lieu en Hampshire, à Northampton et à Blackpool. 

Tommy Robinson, un influenceur fasciste

Ces émeutes ont démontré plusieurs tendances de l’extrême droite britannique. Tout d’abord, les mouvements fascistes et néonazi n’opèrent plus à travers des structures à proprement parler mais s’organisent plutôt en ligne. En effet, après l’effondrement du BNP (Parti National Britannique), et la dissolution de EDL (League de La Défense des anglais) dans les années 2010, la pensée ethnonationaliste a peiné à construire un nouveau parti, et ce malgré les tentatives de Homeland ou Patriotic Alternative. Les influenceurs d’extrême droite, partageant leurs théories du complot via leurs plateformes, ont quant à eux un pouvoir non négligeable pour rassembler les gens dans la rue. 

Sociologiquement parlant, les émeutiers se divisent en deux grandes catégories. Un noyau dur petit bourgeois d’abord, et un groupement prolétaire ensuite, majoritairement issu d’une classe ouvrière précarisée. 

Tommy Robinson en fait partie : il est le fondateur de la English Defense League, un groupe d’extrême droite, tout droit sorti du milieu hooligan dans le football. Au début de sa carrière, Robinson était constamment encouragé par les pouvoirs dominants, ayant même participé à un débat à l’université d’Oxford. Cependant, sa rhétorique fasciste est jugée trop radicale après son adhésion au média d’extrême droite Rebel News. Ce média comptait parmi ses membres Jack Posobiec qui partageait habituellement des memes néonazis et la théorie du « génocide blanc », Laura Loomer qui se décrit elle-même comme « nationaliste blanche », et Jack Buckby qui a tenu les victimes du massacre homophobe d’Orlando en 2016 de responsables de leur sort car « les LGBTs ont alliés avec l’islamisme ».

Peu avant les émeutes, Robinson avait organisé avec succès un rassemblement à Londres réunissant des milliers de participants. Cette action avait été lancée sur Twitter, après que son compte, qui avait été banni de la plateforme, soit remis en ligne par la nouvelle politique d’Elon Musk sur le réseau social. Tommy Robinson est un influenceur dans le sens premier du terme. Il a quitté le Royaume-Uni pour éviter des ennuis judiciaire et organise depuis des attaques racistes tout en partageant des théories du complot, dans le confort de sa chaise longue à Ayia Napa (à Chypre). 

Sociologiquement parlant, les émeutiers se divisent en deux grandes catégories. Un noyau dur petit bourgeois d’abord, et un groupement prolétaire ensuite, majoritairement issu d’une classe ouvrière précarisée.  Toutefois, si le théoricien Richard Seymour affirme que ces émeutes ne sont catégoriquement pas une forme de lutte des classes dégradée (contrairement à l’idée souvent répété par les médias selon laquelle les émeutiers exprimeraient les préoccupations de la classe ouvrière), l’historien Anton Jaeger quant à lui, souligne que « Derrière le pogromisme britannique se cache encore une grande misère qu’il est de la tâche historique de la gauche de combattre ».

En effet, les régions où les émeutes se sont déroulées sont aussi les régions les plus durement touchées par l’austérité des années 2010.  

Comment Nigel Farage a radicalisé la droite britannique

Autre  personnalité principale et véritable pôle d’attraction de l’extrême droite britannique ces deux dernières décennies : Nigel Farage. Farage est un ancien banquier issu de la haute bourgeoisie, qui, dans sa jeunesse,  s’est dit admiratif d’Oswald Mosley, le dirigeant de l’Union des Fascistes Britannique (BUF, British Union of Fascists, fondé dans les années 30 et allié de Mussolini, interdit en 1940). Depuis, il est devenu dirigeant du parti pro-Brexit UKIP en 2006, se donnant pour mission de faire évoluer  la politique britannique à droite. Réduire l’immigration et déréguler l’économie, cela devait être obtenu par la sortie de L’Union Européenne. Sa ligne actuelle, celle de Reform UK, son nouveau parti, est essentiellement poujadiste (mouvement politique français qui, dans les années 50, a réuni le petit patronat et les commerçants contre l’élite politique, économique et culturelle). Il promet l’austérité dans certains secteurs en dénonçant le  « gaspillage gouvernemental » mais aussi de défendre les petits patrons et producteurs contre le grand capital et l’Etat. 

Bien qu’un parti de masse fasciste n’ait jamais pu s’imposer en Grande Bretagne, la pensée ethnonationaliste y est devenue de plus en plus acceptable dans le paysage politique. Historiquement, Farage s’est positionné à droite du parti conservateur afin de récupérer les votes contestataires. Cela l’a en grande partie conduit à défendre un nationalisme civique ayant pour but de défendre la nation. Une nation qui peut, selon lui,  être multiethnique, mais pas multiculturelle.

Malgré tout, la cohésion au sein du parti conservateur s’effondre depuis 2016. En effet, le parti s’est vu gouverné par 5 premiers ministres en 10 ans et différentes factions se sont rapprochées de l’extrême droite, adoptant sa rhétorique, tout en augmentant pourtant les impôts et l’immigration. C’est en profitant de cette incohérence entre les discours et les actes que Farage a décidé de lancer son propre parti. Pour y parvenir, il a dû se placer à droite des conservateurs, tolérant l’ethnonationalisme dans ses rangs et portant parfois des positions ouvertement ethnonationalistes. 

On peut donc constater un avant et après Farage. Par exemple, avant sa prise de pouvoir au sein du parti, deux candidats que j’avais révélé dans des articles pour le journal Byline Times comme étant ouvertement racistes et proches de l’extrême droite, avaient été licenciés. Depuis l’arrivée de Farage à la tête du parti, mes nouvelles révélations contre d’autres candidats ont été ignorées. 

Comme en France, les grands médias facilitent la montée de l’extrême-droite

Les médias ont également joué un grand rôle dans la montée de l’islamophobie, qu’ils banalisent ouvertement. Cela fait des années maintenant que les musulmans sont la cible d’attaques et de calomnies dans les médias, si bien que même les manifestations pro-palestiniennes des derniers mois ont été qualifiées injustement d’orgies antisémites, de « manifestations pour la haine » et de djihadisme. En même temps, des oligarques comme Paul Marshall (un équivalent britannique à Bolloré ou Pierre-Edouard Stérin) achètent des chaînes comme GB News et Talk TV pour déplacer encore plus le discours politique à l’extrême droite. Nigel Farage est par ailleurs présentateur sur GB News et la chaîne est un incubateur de carrière pour des idéologues d’extrême droite. Les médias britanniques, à peu d’exception près, propagent ainsi l’idée qu’il est possible de mentir et d’attaquer la communauté musulmane en toute impunité. Aussi, ce que font des personnalités comme Tommy Robinson ne sont finalement que des échos moins « légitimes » de ce qui se fait sur GB News ou The Spectator. 

En même temps, des oligarques comme Paul Marshall (un équivalent britannique à Bolloré ou Pierre-Edouard Stérin) achètent des chaînes comme GB News et Talk TV pour déplacer encore plus le discours politique à l’extrême droite.

Pendant que les émeutes avaient lieu, Keir Starmer, nouveau premier ministre, dormait quant à lui sur ses deux oreilles. Il lui a fallu plusieurs jours pour annuler ses vacances prévues, et quant il a enfin pris la parole, celle-ci est restée très formaliste. Il a présenté les émeutiers comme des « casseurs » d’extrême droite et a promis de rétablir l’ordre. Une proposition de loi de censure en ligne a pourtant été sa seule réponse. Rien n’a été proposé comme réponse au racisme ambiant, et rien n’a été promis pour les communautés touchées par la violence et la haine des dernières semaines.

Les émeutes auront par ailleurs permis aux néonazis comme aux antifascistes de renforcer leurs rangs. Les organisations de gauche ont certes été lentes à réagir, mais ont démontré une grande force d’action une fois en marche. La situation actuelle reste tendue, chaotique et teintée de mensonges. Ce qui est parfaitement clair en revanche, c’est que les slogans antiracistes et les chants de protestation ne suffiront pas. Les émeutes incarnent la peur du déclin qui grandit à travers tout le Royaume Uni. C’est seulement en relevant économiquement le pays et en affrontant l’extrême droite sur toutes les lignes que la gauche peut espérer mettre fin à cette escalade de violence. Une tâche bien trop importante pour être laissée entre les mains du parti travailliste.

Les organisations de gauche ont certes été lentes à réagir, mais ont démontré une grande force d’action une fois en marche.

Deux choses se sont produites depuis les émeutes. La première, c’est que Tommy Robinson a organisé un nouveau rassemblement à la fin d’Octobre, mais il a été interpellé pour ses délits précédents et a été condamné à 18 mois de prison. On peut espérer sans doute une baisse du dynamisme de l’extrême droite pour l’instant. La deuxième est l’élection de Donald Trump aux États-Unis. L’extrême droite Britannique, surtout Tommy Robinson, est proche du monde Trumpiste. Robinson est proche de Steve Bannon (ancien conseiller senior de Trump, admirateur de Charles Maurras et intermédiaire pour l’extrême droite autour du monde), et de plusieurs figures du monde Trumpiste qui inclut le membre du congrès Paul Gosar, l’influencer Alex Jones, et quelques éditorialistes de Fox News. Il est aussi soutenu financièrement par des oligarchies Trumpistes. L’étoile de Robinson montait pendant le premier quinquennat de Trump. On peut craindre que cela s’aggrave lors de celui qui commence maintenant.


Olly Haynes