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Un mois et demi après l’apparition des premiers cas de coronavirus dans le Nord de l’Italie, la machine européenne a tardé à réagir. Impuissante face à la gestion de la crise sanitaire, l’UE s’est concentrée à faire ce qu’elle fait de mieux : protéger son marché. Le 9 avril, un accord de 540 milliards d’euros a été trouvé entre les membres de l’Eurogroupe. Derrière ce chiffre exorbitant se cache encore une fois les stigmates d’une fracture Nord/Sud et les dikats d’une Europe néo-libérale. 

Clap clap clap !! Jeudi 9 avril, après 45 minutes de réunion en ligne, les ministres des finances de la zone euro auraient terminé leur rencontre en s’applaudissant mutuellement. Ils seraient parvenus à trouver un accord avec un plan permettant de débloquer 540 milliards d’euros. BIM !

Leur plan à trois volets est un faux plan

1/ Le mécanisme de stabilité européen (MES)

240 milliards d’euros de prêts du fonds de secours de la zone euro, le Mécanisme européen de stabilité (MES). Ce fonds créé en 2012 après la crise économique de 2008 pèse 700 milliards d’euros.

C’est probablement le point de l’accord qui aura demandé le plus de négociations. En effet, l’Italie exigeait le déblocage de cette aide sans conditions au vu des circonstances exceptionnelles. Mais le déblocage de ce fonds est soumis, normalement, à des règles strictes, comme ce fut le cas pour la Grèce dès 2012. Chaque Etat bénéficiaire d’une aide du MES doit entreprendre certaines réformes dictées par la Banque centrale européenne (BCE), la Commission européenne ou le Fonds monétaire international (FMI). La Grèce par exemple a dû entreprendre des réformes de son code du travail, des retraites ou d’ouvrir à la concurrence certaines professions comme les conducteurs de Ferrys.

Au départ, pas question pour les Pays-Bas de remettre en cause ces critères. Mais les néerlandais ont dû revoir leur copie, car l’accord prévoit finalement que l’argent débloqué dans le cadre du MES soit uniquement conditionné à des dépenses de santé liées à la lutte contre le coronavirus

2/ 200 milliards d’euros de la Banque européenne d’investissement. Cet argent, encore une fois sous forme de prêts, vise à anticiper la relance économique.  

3/ 100 milliards pour soutenir le chômage partiel.

Malgré tous ces chiffres impressionnants, il ne s’agit jamais de dons, mais de prêts. La charité européenne a ses limites et cet accord a été obtenu après de longues négociations entre les partisans de l’austérité budgétaire et des Etats du Sud qui doivent en premier lieu sauver leurs malades.

C’est ici que commence le récit-fiction d’une Europe solidaire face au Coronavirus. Promettre d’injecter de l’argent en masse dans la machine européenne ne vise pas à répondre à l’urgence sanitaire mais à rassurer les “marchés” et les investisseurs pour espérer une reprise économique. Mais derrière ce pseudo consensus économique, les divisions politiques sont bien présentes. 

Le club des « pays au temps pourri »

Le 26 mars les discussions sont dans l’impasse, le ministre des finances néerlandais Wopke Hoekstra (démocrate-chrétien), soutenu par ses homologues autrichien, finlandais et danois s’opposait à faire plus d’efforts, considérant  “avoir beaucoup fait en acceptant que l’orthodoxie budgétaire soit mise entre parenthèses”. Depuis l’éclatement de la crise, l’UE a accordé la suspension de la sacro-sainte règle de stabilité et de croissance qui impose notamment un déficit public inférieur à 3% du PIB.

Les Pays-Bas, à l’instar de leurs voisins nordiques, sont présentés comme les grands princes qui tirent les ficelles de l’UE. Hoekstra cherche à devenir le leader d’un groupe de pays gardiens de l’orthodoxie budgétaire.On les appelle le « club des pays au temps pourri ».  

Mais l’attitude du jeune ministre des finances néerlandais fait réagir les dirigeants des pays au climat plus clément.

« Le Premier ministre portugais, le socialiste António Costa, l’a mis à sa place, qualifiant les déclarations de dégoûtantes. L’inconscience absolue, la mesquinerie récurrente, a ajouté Costa, avertissant que la survie de l’UE est en danger avec ces attitudes. », rapporte le quotidien espagnol Publico.

Partager la dette, pour l’Allemagne, c’est “nein” !

Un  point est cependant évincé de l’accord :  celui des « coronabonds », ou « eurobonds liés au coronavirus ». Un néologisme européen qui fait référence à des titres de dettes mutualisés. L’idée est de partager au niveau européen les dettes souveraines, après tout on partage bien le même marché.

« L’idée est d’envoyer aux marchés le signal que l’Union est solidaire et qu’elle aidera tous ses Etats à se financer à bon compte, quel que soit le montant de leur dette publique », écrit Jean Quatremer, correspondant de Libération à Bruxelles.

Il poursuit : « Si la solidarité européenne ne va pas au-delà de la gestion du choc initial, les populistes empocheront la mise », comme si la pire inquiétude pour les européistes n’était pas la récession économique mais de voir les gouvernements nationaux basculer dans les dangereuses mains des partisans du protectionnisme.

Jean Quatremer signe et persiste avec le dernier poncif des partisans de l’UE : « La clé est allemande, comme toujours : si Berlin dit à nouveau non, les eurobonds resteront à jamais le monstre du Loch Ness du marais européen ». Sauf que patatra, Angela Merkel et Mark Rutte, le premier ministre néerlandais, ont exprimé leur veto face à cette idée des « coronabonds ». Tandis que de nombreux commentateurs applaudissent la bonne gestion allemande de la crise et un déconfinement planifié pour le 3 mai, n’oublions pas que l’Allemagne a contribué à affaiblir les systèmes de santé des pays du du Sud de l’Europe en imposant une baisse des dépenses publiques. Les années austéritaires imposées ont en effet obligé ces pays à faire des économies dans la santé ayant pour conséquence concrète moins de lits en réanimation, de masques ou de tests disponibles pour anticiper une telle crise. 

Par ailleurs, même si le groupe de 9 pays (France, Italie et Espagne en tête) parvenait à faire basculer la balance, l’effet des « Eurobonds » serait minime face à l’ampleur de la crise. En fin d’année 2019, la dette publique française atteignait 2 380 milliards d’euros, soit 98% du PIB français, un chiffre qui devrait exploser cette année.  Une annulation pure et simple des dettes souveraines serait plus efficace. C’est d’ailleurs ce que préconisent certains chantres du libéralisme, comme l’ancien président de la BCE Mario Draghi ou l’ancien patron du FMI, Dominique Strauss-Kahn.

Réponse sanitaire : Etats 1, UE 0

Un mois jour pour jour avant cet accord, l’Italie est le premier pays européen à décréter le confinement national sur son territoire. A l’époque, 9000 italiens étaient contaminés par le coronavirus. Quatre jours plus tard, l’Espagne entreprend la même mesure, puis la France le 17 mars. Rapidement, la plupart des pays européens se confinent et s’engage une course contre la montre pour trouver masques, solutions hydroalcooliques, lits de réanimation, médicaments, respirateurs. Dans un communiqué de presse la Commission européenne se targue d’avoir organisé la solidarité européenne sur la plan logistique.

On peut y lire : « La France a fait don à l’Italie de 1 million de masques et de 20 000 tenues de protection » ou « L’Allemagne a livré 300 respirateurs à l’Italie ». Des chiffres absolus qui ne parlent pas beaucoup. Le 28 mars, la France réalisait une « commande record » d’un milliard de masques à la Chine. Et c’est sur ce premier point que le récit de la solidarité européenne s’effrite.

Le 4 mars, la France adopte un décret de réquisition et Paris et Berlin interdisent leur exportations de masques. Ces décisions unilatérales vont à l’encontre du  principe de libre circulation des marchandises dans l’Union. Un jour plus tard, quatre millions de masques appartenant à une entreprise suédoise sont saisis à Lyon par l’Etat Français. L’Allemagne et la France se font alors taper sur les doigts par la commission, et doivent lever leur interdiction d’exporter des masques, mais trop tard, le mal est fait. Autre exemple de cette “solidarité européenne” : la République tchèque a détourné et saisi à Prague 650 000 masques partis de Chine vers l’Italie.

Le récit solidaire européen se poursuit également avec des transferts de malades entre Etats, une dizaine de patients français envoyés dans des hôpitaux allemands, 6 au Luxembourg ou en Suisse. Dans ce cas de figure, les pays moins touchés accueillent effectivement des patients des pays les plus touchés, mais il s’agit d’accords bilatéraux entre Etats ou région, et non d’une coordination au niveau européen.

L’UE, comme toujours en période de crise vacille car elle n’a ni les armes, ni la légitimité pour agir. Alors que les gardiens de l’Europe libérale, comme Christine Lagarde ont mené pendant quarante ans des réformes néolibérales, la présidente de la BCE défend aujourd’hui « une maîtrise des chaînes de production au niveau européen », ce retournement de veste ne passera pas inaperçu. L’Union européenne apparaît plus que jamais comme une coquille vide, dont il faudrait se passer.

Q.D

Quand les Pays-Bas conjurent les pays du Sud à plus d’orthodoxie budgétaire, ils ont la mémoire bien courte …. 

Depuis les révélations des Paradise Papers en 2015, les Pays-Bas figurent parmi les cinq pays de l’UE champions de l’évasion fiscale. De nombreux géants américains hébergent leurs siègent européens dans ce pays pour échapper à l’impôt. Mais depuis le lancement d’une directive contre l’évasion fiscale, le gouvernement de Mark Rutte tente de changer cette mauvaise image. Il aurait engagé une série de mesures pour lutter contre cette fiscalité avantageuse. Des réformes sources de recettes fiscales qui pourraient permettre aussi de financer l’effort de guerre.