En 2017, le candidat Macron, sourire de start upper aux lèvres, parlait de l’une de ses mesures phares : l’indemnisation des démissionnaires. Il s’agissait pour lui de faire en sorte de favoriser les changements de métiers, d’entreprise, de poste, et de permettre à la société de devenir plus fluide, plus flexible. La flexibilité du travail a été le mot d’ordre des libéraux comme lui depuis une quinzaine d’années : la loi travail de Myriam El Khomri, ministre socialiste du travail, se réclamait aussi de cette flexibilité. Avec l’idée sous-jacente que les patrons comme les salariés en seraient gagnants. Les premiers en ayant plus de facilités à ajuster leur masse salariale à leurs besoins, en licenciant plus facilement et en ayant moyen de recourir à de multiples contrats courts, les seconds en étant moins soumis à une carrière longue et laborieuse dans la même entreprise, pouvant “saisir des opportunités” et se reconvertir si besoin était.
Le premier volet de la flexibilité a été tout à fait rempli : désormais, il est facile et très peu coûteux pour un employeur de licencier, même s’il le fait sans cause réelle ou sérieuse. Les indemnités prud’homales sont définies par avance dans un barème, de telle sorte qu’il est possible pour Jean-Eudes, PDG d’une PME de 240 salariés, de savoir combien il paiera en licenciant Nathalie, assistante de direction, sans motif valable. Jean-Eudes peut également faire plus facilement un plan de licenciement collectif. Les lois El Khomri (2016) et Pénicaud (2017) lui permettent de ne plus avoir à justifier le motif économique de son plan social devant l’administration. Pratique. Jean-Eudes a beaucoup moins de problèmes, depuis ces deux lois, avec ses syndicalistes et représentants du personnel. Ces derniers sont moins nombreux (33% de représentants du personnel en moins en France, au niveau national) et leurs prérogatives ont été réduites. Avec le CICE transformé en baisse de cotisations patronales, et la réduction Fillon sur les bas salaires, Jean-Eudes ne paye quasiment plus de “charges”, comme il dit, sur les bas salaires. Ce qui est un argument de plus pour mal payer ses salariés. Il n’embauche quasiment plus en CDI : il multiplie les contrats de chantier, dispositif voté en 2017 qui permet d’embaucher juste le temps de la réalisation d’une mission. Il multiplie encore plus facilement qu’avant les CDD et profite même d’une main-d’œuvre quasi gratuite : les apprentis, pour lequel il reçoit une aide de 8000€ de l’État par embauche (versée sans conditions aux entreprises de moins de 250 salariés et avec quelques conditions pour les autres).
Bref, comme Jean-Eudes était en plus soumis à l’ISF en raison de son patrimoine financier conséquent et que cet impôt a été supprimé dès 2017, l’ère Macron lui a décidément formidablement réussi. Il se sent plus libre, moins stressé, plus flexible dans sa façon de traiter son personnel. Un vrai bonheur.
Pour Nathalie, la vie a pris une tournure bien différente. Elle a contesté son licenciement par Jean-Eudes au prud’hommes, cela a pris 18 mois en raison des délais de traitement de cette institution aux effectifs réduits, et gagné une somme définie d’avance par les ordonnances Pénicaud donc. Par chance, elle a rapidement retrouvé un emploi dans une autre entreprise, qui lui semblait prometteuse. Les premiers mois se sont bien déroulés, puis les choses se sont dégradées : sa supérieure hiérarchique a changé radicalement d’attitude à son égard en quelques mois. Désormais elle ne lui dit plus bonjour, ne lui adresse la parole qu’en réunion, ses mails sont des ordres secs, sans bonjour ni merci. Marginalisée dans son équipe, sans comprendre pourquoi, Nathalie a fait une dépression et a été arrêtée trois semaines par son médecin généraliste. De retour à son poste, les choses ont empiré pour elle : sa supérieure lui parle désormais sèchement, la dénigre devant ses collègues, l’appelant “ma pauvre Nathalie” ou “bécassine”. Nathalie a obtenu au bout de plusieurs semaines un rendez-vous avec la médecine du travail, dont les praticiens lui ont dit qu’il était compliqué d’attester d’un harcèlement moral et qu’il fallait qu’elle prenne les choses moins à cœur. Elle est sortie du cabinet avec une brochure sur comment bien positionner son écran.
Mais nous sommes dans une société fluide n’est-ce pas, flexible non ? Nathalie, encouragée par le livre de psychologie positive offert par son mari à Noël, a “décidé” d’arrêter de souffrir. Elle ne peut de toute façon pas se battre, car il n’y a pas de représentant du personnel ou de section syndicale dans son entreprise, une structure où la direction tient à ce qu’”on se fasse confiance” et que “chacun se sente libre de s’exprimer” : elle n’est pas la seule dans ce cas, depuis la dernière réforme du Code du travail le nombre d’entreprises dépourvues de représentants du personnel a augmenté. Elle tente donc de négocier une rupture conventionnelle. Refusée. Elle se sent coincée à ce poste où elle souffre et se sent de trop, tout en n’ayant pas le temps de chercher un emploi tant ses horaires sont contraints… En cherchant sur internet, elle tombe sur ce dispositif d’indemnisation des démissionnaires, promis par Macron en 2017 et effectivement voté au Parlement en 2018. Mais les critères sont extrêmement restrictifs : il faut avoir un projet de création d’entreprise ou de reconversion avec formation financée pour y parvenir. Ce n’est pas pour rien que depuis l’entrée en vigueur de ce dispositif, seules 25 000 personnes en ont bénéficié, moins de 7000 par an. Or, il n’est pas question pour Nathalie de démissionner sans toucher la moindre indemnité chômage. Son mari vient tout juste de sortir d’une période de chômage, les enfants ont certes quitté la maison mais font des études, ils ne peuvent pas se permettre de perdre l’intégralité de ses revenus, surtout dans cette période d’inflation. A mesure que sa santé se dégrade, Nathalie, qui regarde, accablée, une députée LREM décrétant, sur un plateau TV, qu’il est faux de dire que le travail est aliénant, reçoit un conseil précieux de son amie Sylvie. Elle s’est sortie d’une situation similaire il y a quelques années en faisant un abandon de poste. Elle n’en est pas fière, mais ça lui a permis de forcer son employeur à la licencier et ainsi de toucher Pôle Emploi. “Tu as vu comment ils te traitent ? Tu n’as pas à culpabiliser de leur faire ça, crois moi !”
Mais cette semaine, les députés LREM, LR et RN ont voté un amendement à la nouvelle réforme de l’assurance-chômage : il supprime l’indemnisation chômage des personnes qui ont fait un abandon de poste. Cela pénaliserait trop les TPE-PME, selon les députés. Elles ont bon dos, les TPE-PME, au nom desquelles toutes les régressions du droit du travail sont prises : dans les faits, plus de la la moitié des salariés du secteur privé travaillent dans une entreprise de plus de 250 salariés, et 60% des PME (- de 500 salariés) sont des filiales de groupes. C’est pour eux, mais c’est fait au nom de votre coiffeuse ou de votre boulanger qui n’ont rien demandé.
Le reste de la réforme continue d’appauvrir les chômeurs. L’objectif ? Qu’ils prennent le premier poste de merde venu; parce que le patronat est inquiet : le phénomène de la “grande démission” et la difficulté d’embauche pour les secteurs maltraitants comme la restauration les angoissent. Eux voulaient la flexibilité pour eux : le choix du contrat précaire, des conditions de travail, du licenciement… Mais ils ne veulent surtout pas la flexibilité pour les salariés : pouvoir choisir son entreprise, comparer les rémunérations proposées, se sortir d’une situation de harcèlement moral ou simplement se casser parce qu’on se sent trop peu considéré et rémunéré. Ils veulent que nous soyons esclaves de nos boulots et c’est pourquoi l’existence de l’assurance-chômage leur est aussi insupportable. L’idée que nous puissions prendre un peu de temps pour choisir les débecte. Le gouvernement et la majorité des partis politiques excepté la NUPES ont voté le durcissement des conditions dans lequel on peut percevoir le chômage et on le vit. Le RN a poussé le zèle jusqu’à faire voter un amendement qui retire l’indemnisation chômage aux salariés qui refuseraient un CDI proposé par l’employeur à la suite de leur CDD : vous avez eu une expérience merdique et vous attendez que votre CDD se termine pour partir ailleurs ? On vous sucrera le chômage si votre patron veut vous garder. C’est lui le boss ok ? Et le RN, la droite et les macronistes sont là pour que cela soit tout le temps le cas.
Mais le pire reste à venir : le parlement a voté la possibilité pour le gouvernement de moduler l’assurance–chômage afin qu’elle soit “plus stricte quand trop d’emplois sont non pourvus, plus généreuse quand le chômage est élevé” comme l’annonçait Macron il y a quelques semaines. Concrètement, il s’agit de baisser les indemnités pour forcer les chômeurs à aller bosser pour la restauration et le BTP, dont les conditions de travail sont tellement mauvaises que plus personne ne veut y aller.
La flexibilité pour eux, le travail forcé par la faim pour nous.
Nicolas Framont
Le cas de Nathalie est inspirée d’une histoire vraie. Celle de Jean-Eudes également.