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[Cet article peut comporter de nombreux spoilers sur la série ou le roman graphique, donc si vous ne voulez pas briser le suspens…]

Adaptation du roman graphique et du webcomic (accessible gratuitement notamment sur Tapas) d’Alice Oseman, Heartstopper est la nouvelle série phare de Netflix depuis deux semaines. Sur les réseaux sociaux, on échappe difficilement à l’engouement généré par cette nouvelle série qui offre une vision de l’homosexualité qui n’est ni tragique, ni sursexualisée, ni bourgeoise.

De quoi ça parle ?

Heartstopper, c’est une histoire d’adolescent·es dans un lycée anglais. Charlie Spring (joué par Joe Locke), jeune homosexuel timide qui a connu le harcèlement scolaire et l’homophobie quelques mois auparavant, se retrouve côte-à-côte avec Nick Nelson (joué par Kit Connor), populaire joueur de rubgy d’un an son aîné. Charlie et Nick vont apprendre à se connaître, on va les voir s’échanger d’abord de timides « salut » et quelques regards. Puis, on voit les hésitations, les doutes, les tentatives de flirts, les mains qui se frôlent, les messages qu’ils écrivent sans se les envoyer, etc. Évidemment, ils finiront par tomber amoureux, Nick découvrant ainsi qu’il n’est pas hétérosexuel et finissant par se définir comme bisexuel.

Pourquoi c’est cool ? Parce que cette série est habitée de représentations saines, nuancées et heureuses malgré les difficultés

Cette série nous donne à voir deux autres couples, en plus de celui de Nick et Charlie. Darcy et Tara, dont la publicité de leur couple lesbien aidera certainement Nick à s’accepter et avoir des marques d’affection envers Charlie publiquement. Et Tao et Elle, dont on apprend dès le premier épisode qu’elle a changé de lycée parce que l’établissement n’acceptait pas son changement de pronom. La solidarité de tout ce joyeux groupe leur permet de traverser les quelques vagues qui peuvent venir bousculer leurs vies. Ils ne se laissent pas tomber (ou momentanément), se comprennent, s’aident et s’aiment.

Bien évidemment, l’homophobie et la transphobie sont abordées dans l’œuvre, mais ce n’est pas le sujet. Tout ne tourne pas autour. Et ça, déjà, c’est si rare que ça en devient un plaisir. Car, même si la société est violente et que les agressions LGBTQIphobes sont monnaie courante, nos vies ne se résument pas à ça. Et on a besoin de voir que la vie d’homosexuel out peut être belle, heureuse, comme celle des autres.

Le sujet du coming-out aussi est abordé, avec mesure et nuance notamment dans le webcomic. Nos protagonistes sont rassurants, faisant comprendre qu’il ne faut pas hâter son coming-out, que c’est un choix individuel, que cette décision peut prendre du temps à mûrir (alors que Charlie avait souffert de sa précédente relation – toxique – avec Ben, qui est toujours dans le placard). Jusqu’au coming-out que Nick fait à sa mère, où elle lui dit «merci de m’en avoir parlé et pardonne-moi si je t’ai donné l’impression que tu pouvais pas », souriante, émue et heureuse que son fils soit heureux avec quelqu’un et lui ai confié cette nouvelle.

Les deux clichés de l’homosexualité sont balayés : il n’y a pas de type physique attendu et même si ça va sans dire pour nous, ça va quand même mieux en le disant.

À cela, on peut aussi ajouter un élément : nos personnages ont des corps « normaux » et ne sont pas sursexualisés (ce qui est d’ordinaire le cas dans les séries “teenage”). Bien que Nick ait un corps relativement conforme au cliché qu’on a du rugbyman (carré, musclé, fort, un peu pataud…), il n’y a pas de débauche de muscles saillants et sans gras. Ils sont beaux, mignons, mais ne sont pas réduits à des gravures de mode. De plus, on s’épargne l’avalanche de scènes de corps dénudés qu’on peut habituellement voir notamment dans les séries Netflix telles que Elite (ou encore les séries ou films qui laissent la part belle aux agressions sexuelles). L’équilibre est parfait : tandis que Charlie se décrit comme « petit et frêle », il assène également à ses amis « les mecs virils aussi peuvent être gays » à propos de Nick.

Les deux clichés de l’homosexualité sont balayés : il n’y a pas de type physique attendu et même si ça va sans dire pour nous, ça va quand même mieux en le disant. Comme l’exposent différents articles, la question de la perception du corps et l’importance de la musculature est particulièrement importante (et souvent toxique) chez les homosexuels. Pouvoir mettre en images très tôt des figures-références physiques moins “extraordinaires” peut ouvrir un chemin : qu’on en finisse avec cette pression normative.

Des raisons d’espérer

Arrivant bientôt à mes 30 ans, je suis heureux de voir enfin une série où la vie d’homosexuels n’est pas écrite comme seulement et systématiquement violente, faite de rejets et d’agressions, de solitude, de dissimulation de soi, de parents homophobes, de peur du VIH, de rencontre glauques en boîte ou sur des applis de rencontres, d’imposition de normes comportementales ou physiques, etc… 

Les principales représentations gays dans les films ou les séries étaient contenues dans le rôle de l’homosexuel torturé et/ou du second rôle bon-ami et faire-valoir du personnage principal.

Ces nouvelles représentations, positives, saines, nuancées, simples, offrent un nouveau modèle et peuvent ouvrir à une identification chez le spectateur ou le lecteur qui soit rassurante. Le message est clair : on peut avoir une vie « banale », une vie peut-être un peu plus simple que celle que beaucoup d’homosexuels de mon âge (c’est en tout cas l’impression que j’ai) ou plus âgés, où les seules représentations gays dans les films ou les séries étaient dans le rôle de l’homosexuel torturé et/ou du second rôle bon-ami et faire-valoir du personnage principal.

Heartstopper, c’est un récit célébratif : soyez qui vous voulez, soyez heureux, même avec vos blessures, vos failles, vos étrangetés. Ne baissez pas la tête. C’est solaire. Ça donne envie de sourire, de rire, d’être innocemment amoureux comme Nick et Charlie peuvent l’être. Et peut-être que ça aide un peu à l’être, déjà en aidant à croire que c’est possible.

Alors on espère qu’Alice Oseman continuera à faire vivre encore longtemps ces personnages, sur papier et à l’écran. (Punaise, vivement la saison 2.) Et on veut qu’il y ait un avant et un après Heartstopper.


Alexandre Cailleteau