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Alors que l’élection présidentielle de 2022 approche, tous ceux qui ont participé à la catastrophe du quinquennat Hollande, et donc à celle du quinquennat Macron, réapparaissent et essaient d’organiser leur candidature. Il en est ainsi d’Arnaud Monteboug, de Christiane Taubira, de Ségolène Royal, de Yannick Jadot, de Benoît Hamon (avec sa chaîne de streaming relou…). Incroyable mais vrai, même Hollande et Valls semblent encore y croire ! Mais parmi tous ceux-là, une protagoniste a déjà bien avancé ses pions pour être la future “Mme 6%” de la bourgeoisie de gauche : l’inénarrable Anne Hidalgo, présentée comme un rempart à Macron et à Le Pen… Vraiment ?

La maire de Paris devrait bientôt lancer sa plateforme pensée par une équipe de marketeurs en baskets blanches, visiblement en panne d’inspiration : “Idées en Commun”. Ce futur lancement de campagne n’intéresse absolument personne… Sauf les médias qui semblent particulièrement enthousiastes : après la “fusée Macron, voilà, pour Le Monde,La Machine Hidalgo” – et ce n’est même pas un hommage à un film de série B ou une blague sur l’aspect robotique des néolibéraux, qui répètent les mêmes lieux communs de manière automatique. Difficile, dans ces conditions, de ne pas voir dans cette candidature une pure campagne médiatique, surtout si l’on en croit les sondages d’opinion dont les journalistes sont d’habitude si friands : donnée à 6%, derrière Nicolas Dupont-Aignan, elle ne fait pas plus que font généralement les candidatures montées de toute pièce par la bourgeoisie “progressiste” de type Raphaël Glucksmann. On notera que les possibles candidats d’autres partis donnés en dessous ou autour de ces niveaux (NPA, Eric Drouet…), ne suscitent généralement pas cet intérêt et ces relais dans la presse. 

Pourtant, tout laisse penser que dans les semaines à venir, et pour un bon bout de temps, Anne Hidalgo incarnera pour la majorité de nos médias la “candidate de gauche” ou de “l’alternance” face à Emmanuel Macron. Mais y-a t’il une vraie différence politique, ne serait-ce que de forme, entre ces deux serviteurs de la bourgeoisie ?

Macron et Hidalgo : deux purs produits du Parti socialiste, la “machine” à bureaucrates

Si ni l’un ni l’autre n’assument plus vraiment l’étiquette PS (justement, assimilée par de larges catégories de la population aux réformes antisociales et à la traîtrise), l’un en créant un nouveau parti pour 2017 (LREM) et l’autre, en effaçant les logos de ses affiches de campagne, tous deux viennent pourtant du même espace politique – le “hollandisme” : Emmanuel Macron, qui s’est fait connaître comme ministre de l’economie du gouvernement Valls, et Anne Hidalgo, comme maire PS de Paris. 

Le parcours politique, ou plutôt la carrière politique d’Anne Hidalgo est celle, très classique, des notables socialistes, comme on en a trouvé des tas dans les gouvernements de la présidence Macron (Castaner, Schiappa, Collomb…pour ne citer qu’eux), avec sa collection de participations à des cabinets ministériels et de mandats (elle fut première adjointe à la Mairie de Paris, présidente du conseil d’administration de l’Atelier Parisien d’Urbanisme, élue au conseil régional d’Ile-de-France, présidente de Ile-de-France Europe…). C’est son rôle de première adjointe auprès de Bertrand Delanoë, maire de Paris, de l’époque, qui lui donne une plus grande envergure politique et une relative notoriété. 

En 2004, visiblement sans attache particulière pour Paris, elle envisage, autre pratique très courante des bureaucrates macronistes, de se parachuter à l’élection municipale de Toulouse


Les années suivantes, de la même façon que ceux qui rejoindraient bientôt LREM, Anne Hidalgo s’aligne systématiquement avec les franges les plus réactionnaires de son parti, que ce soit sur l’économie et l’Europe, où elle affiche des positions très anti-sociales, ou sur les questions antiracistes. 

Au référendum de 2005, déjà du côté des plus libéraux du PS, elle prend position pour le “oui” derrière François Hollande – la population en décidera autrement en votant “non” à 54,68% . En 2013, alors que Manuel Valls lance une immonde polémique sur les Roms, Anne Hidalgo lui apporte son soutien : “Paris ne peut pas être un campement géant et je soutiens la politique de M.Valls qui consiste à démanteler ces camps”, camps qui n’ont donc pour autre destinée que de se reformer plus loin… des centres-villes privilégiés. Huit ans plus tard, le gouvernement Macron saura lui aussi montrer tout son humanisme en matière de démantèlements de camps. En 2014, elle est élue maire de Paris. 

Une écologie de façade, inefficace et antisociale

Macron et Hidalgo partagent également la même vision de l’écologie. Alors qu’elle invite à une remise en cause radicale de nos façons de travailler, produire et consommer – et donc, du système capitaliste – elle est réduite chez eux à un argument marketing. La “cible” ? Les jeunes urbains CSP+, qui trient leurs déchets mais polluent beaucoup plus que le reste de la population.

Pire, chez eux l’écologie est souvent une arme antisociale. Ce fut le cas de la fameuse “taxe carbone” d’Emmanuel Macron, par laquelle est née le mouvement des Gilets Jaunes : contraints de vivre en périphéries des villes et obligés d’utiliser leurs véhicules pour se rendre à leur travail, la taxe ne les rendait pas moins polluants, juste plus pauvres. 

Concernant Hidalgo, sa politique écologique à la mairie de Paris, symbolisée par la piétonnisation des voies sur berge, constitue un premier exemple de sa politique favorable à la bourgeoisie et à l’exclusion de la classe laborieuse, et pourrait se résumer ainsi : de l’air un peu plus sain pour les riches, un peu plus de pollution pour les pauvres. Non pas qu’il faille toujours prendre le parti d’un puissant lobby automobiliste, mais une étude d’AirParif a démontré que cette mesure n’avait fait que déplacer les zones de pollution plutôt que de les réduire. Vers où ? Vers la périphérie… Là où se trouvent les populations aux revenus les plus bas. Mais la pollution a effectivement baissé au niveau des Tuileries, ou dans le IVe arrondissement de Paris. Bref, pour les habitants bourgeois de l’hyper-centre parisien. 

Une politique au service des bourgeois urbains au détriment de la classe laborieuse, priée de quitter Paris

La raison pour laquelle la classe laborieuse se trouve essentiellement dans les quartiers périphériques et en banlieue plutôt que dans le centre ville n’est pas le fruit d’une répartition aléatoire de la population, ni d’un phénomène naturel. C’est un processus historique du capitalisme que l’on retrouve dans la plupart des métropoles mondiales. Il a notamment été analysé par Anne Clerval dans Paris sans le Peuple : on nomme “gentrification” le phénomène par lequel les quartiers populaires des centres-villes sont envahis par la bourgeoisie et qui contraint les habitants de ces derniers à les quitter, faute de pouvoir faire face à la hausse du coût de la vie, particulièrement des loyers, qui y fait suite.

Alors que contrecarrer ce phénomène devrait être la priorité absolue de n’importe quel candidat à la mairie de Paris, ville qui fait fasse à une hausse délirante des prix des loyers  et du nombre de SDF, force est de constater que ce dernier a été relégué au second plan lors de la dernière campagne électorale, et qu’il ne fait que s’aggraver sous les mandats d’Anne Hidalgo. 

Paris se trouve donc être désormais une des villes les plus chères au monde juste derrière New York et Londres. La crise de l’immobilier ne fait que s’accroître en défaveur des plus pauvres, y compris en raison de “l’uberisation” de ce marché via Airbnb, sans qu’aucune politique ambitieuse ne soit imaginée et mise en place pour lutter contre cela. Comme toujours pour comprendre l’inertie politique, il faut se poser la question “à qui cette dernière profite ?” Elle profite à ceux qui tirent des revenus très élevés de la spéculation immobilière et de leurs propriétés, qui se trouvent être l’électorat commun d’Emmanuel Macron et d’Anne Hidalgo : la bourgeoisie, donc.

Une obsession commune : “l’attractivité capitaliste”

Anne Hidalgo partage avec le macronisme son obsession de “l’attractivité”. Pour Emmanuel Macron, cela passe, entre mille autres choses, par un sommet grotesque “Choose France”, à Versailles (tout un symbole), où il réunit une centaine de patrons pour “vendre” la France, avec des arguments de taille : toutes ses réformes antisociales de baisse d’impôts pour les bourgeois (baisse d’impôts sur les sociétés, suppression de l’ISF…).

Chez Anne Hidalgo, cela se traduit par la soumission de l’urbanisme parisien aux impératifs de la métropolisation capitaliste : uniformiser l’architecture, la contraindre aux nouvelles normes de la modernité au profit de la grande bourgeoisie. Sur ce thème, Anne Hidalgo fait preuve d’un zèle assez remarquable. On peut notamment citer la construction de la Tour Triangle, inutile et aberrante sur le plan écologique. Cette tour, on s’en doute, n’abritera pas de HLM, mais un hôtel 4 étoiles de 120 chambres et 2 200 m2 d’espaces de coworking.  C’est toujours sur ce thème de “l’attractivité” qu’est justifiée et soutenue par Anne Hidalgo, la démolition de La Samaritaine, célèbre monument d’Art nouveau, pour en faire un hôtel de luxe au profit de LVMH, le groupe du milliardaire Bernard Arnault. 

On le disait plus haut, Anne Hidalgo a vivement et vocalement soutenu Manuel Valls dans sa politique raciste contre les Roms. Ce dernier a su lui renvoyer l’ascenseur pour soutenir la destruction d’une partie des Serres d’Auteuil pour… y étendre le stade de Roland-Garros

Les bourgeois, dont c’est un des spectacles préférés, se frottent les mains. Cette logique va parfois très loin avec, par exemple, la “modernisation” des kiosques parisiens, remplacés par un “modèle innovant”, c’est-à-dire des kiosques “redisgnés” censés améliorer les ventes de la presse (mais pas les conditions de travail des vendeurs, sans véritables toilettes et avec un système de chauffage mal conçu comme le souligne le syndicat des kiosquiers). Pour paraphraser l’écrivain François Bégaudeau dans son Histoire de ta bêtise à propos de Macron, Anne Hidalgo est donc “moderne au sens ou l’IPhone 8 est moderne par rapport au 7”. 

La “chasse à l’islamo-gauchiste” est ouverte

Très libérale sur le plan économique, conservatrice et répressive sur les autres sujets, les différences entre Anne Hidalgo et Emmanuel Macron portent éventuellement sur le “style”, mais pas sur le fond : c’est ce que l’on peut déduire de ses prises de positions successives au cours des dernières années.

On retrouve chez elle la défense et la promotion des dérives autoritaires actuelles. En décembre dernier, elle prend publiquement la défense du préfet Lallement, pourtant symbole et instigateur de la répression des manifestations à Paris, multipliant les provocations,  et dont Mediapart a enquêté sur les pratiques illégales. 

Elle participe également à la “chasse à l’islamogauchisme” – le nouveau maccarthysme ambiant déclenché conjointement par le pouvoir et l’extrême droite, après l’attentat sordide contre Samuel Paty. Ainsi en novembre dernier, elle profère des attaques d’une bassesse inouïe contre ses propres alliés d’Europe Ecologie Les Verts et contre la France insoumise, en les accusant d’être “ambigüe sur la République” : accusation fourre-tout qui ne veut globalement rien dire, si ce n’est, pour ceux qui voudraient l’entendre ainsi et pour ceux qui savent lire entre les lignes, les associer à une forme de complaisance vis-à-vis… Des islamistes. On comprend donc que, d’après Hidalgo, le clivage n’est évidemment pas entre la bourgeoisie et les travailleurs, mais qu’il n’est plus non plus entre la droite et la gauche. Il est finalement entre les “républicains” et les autres – une reprise sans distance et extrêmement opportuniste de la rhétorique récente de l’extrême droite et du gouvernement Macron.  C’est cette pseudo-intransigeance qui lui fait, en mai 2017, essayer d’interdire un festival afroféministe sur demande du site raciste Fdesouche… 

“Anne Hidalgo : une femme à l’Elysée !”, s’exclament d’avance les médias comme pour souligner la seule différence notable avec Macron

Et si c’était elle ?” rêve, tout haut, le magazine Elle. Invitée, comme Christiane Taubira, dans l’émission “Femmes Puissantes” de Léa Salamé, Anne Hidalgo abonde : “qu’un jour une femme soit élue présidente de la République française (…) ce serait bien”. C’est la ligne qu’adopte une partie du paysage médiatique pour soutenir la candidature d’Anne Hidalgo : son élection serait, en soi, un immense progrès, car elle est une femme. 

Il faut dire que les femmes sont toujours largement exclues des sphères politiques et encore davantage aux plus hautes fonctions de l’Etat : la France n’a connu aucune femme présidente de la République, une seule femme Première ministre (Edith Cresson pendant… moins d’un an) et seules deux femmes ont jusqu’alors réussi à se hisser au second tour de l’élection présidentielle.

De ce point de vue, une femme présidente serait effectivement un progrès, mais serait-ce un progrès suffisant ? Le fait que Marine Le Pen soit, aujourd’hui, la candidate la mieux positionnée pour devenir la première femme à accéder à la fonction devrait suffir à convaincre du contraire. Un progrès de façade peut donc cacher de réelles et graves régressions. Si, pour l’électorat “progressiste” (la bourgeoisie de gauche), la démonstration semble être faite pour Marine Le Pen, figure repoussoir absolue dont la fonction est de toujours faire élire les mêmes par un odieux chantage, elle paraît moins évidente concernant Anne Hidalgo : son élection constituerait-elle vraiment une avancée pour la cause féministe ? 

Ce serait malheureusement méconnaître le passif d’Anne Hidalgo en la matière. En juillet dernier, Christophe Girard, adjoint à la culture de la maire de Paris, est poussé à la démission par le Groupe Écologiste et des associations féministes. En effet, le New York Times a révélé ses profonds liens d’amitié avec l’écrivain pédophile Gabriel Matzneff, et la façon dont il avait financé, pendant 2 ans, les nuits d’hôtel de ce dernier, où il violait Vanessa Springora, alors âgée de 14 ans. Selon elle, ces séjours permettaient à son bourreau d’échapper aux visites des policiers de la brigade des mineurs dans son appartement. En août, Christophe Girard est lui même visé par une enquête pour viol (classée sans suite pour cause de prescription, l’affaire étant trop ancienne pour être jugée).

Anne Hidalgo ne peut évidemment pas être tenue responsable des agissements de ses amis, mais elle doit l’être de ses réactions et soutiens. Elle se déclare alors “écoeurée” par sa démission, et lui apporte “tout son soutien”. Elle accuse celles qui se sont battues pour son départ et contre son impunité de faire preuve d’“hystérie militante” – le terme, atrocement sexiste, n’est pas choisi au hasard. C’est déjà celui qu’on opposait aux suffragettes qui se battaient pour le droit de vote au Royaume-Uni au début du XXème siècle et dont on essayait de faire croire qu’elles étaient victimes de troubles mentaux, dont l’origine aurait été à chercher au niveau…de l’utérus – l’étymologie du mot “hystérie” venant de là). Parler d’ ”hystérie militante”, c’est donc s’associer ouvertement à toute une histoire, extrêmement sexiste et patriarcale, de dénigrement du mouvement féministe. Mais Anne Hidalgo ira encore plus loin en portant plainte contre ses propres alliés pour avoir osé manifester contre Christophe Girard et en participant à l’abjecte standing ovation en son honneur initiée par le préfet Lallement – décidément, toujours dans les bons coups. 

Depuis Christophe Girard est revenu siéger au conseil d’arrondissement du XVIIIe arrondissement : Anne Hidalgo s’est finalement beaucoup énervée pour peu de choses… Car l’impact de ces affaires de viols sur la carrière politique de son ami auront finalement été très faibles. 

D’autres membres de la majorité d’Anne Hidalgo ont été accusés de viols, et c’est le cas dernièrement de l’élu communiste Maxime Cochard. 

Des violeurs, il y en a partout. Ça, Anne Hidalgo n’y est pour rien. Néanmoins, en utilisant sa position de pouvoir pour soutenir les accusés plutôt que les victimes et en initiant des poursuites judiciaires contre les militantes qui luttent pour en finir avec la culture du viol, elle participe activement à un climat d’impunité qui permet à beaucoup d’hommes de se croire intouchables. 

Ces prises de positions nous invitent à dépasser la portée symbolique qu’aurait l’élection d’Anne Hidalgo pour la juger plutôt et avant tout sur sa ligne politique – et de constater alors, qu’y compris sur ce thème, tout laisse à croire que l’on trouverait une continuité avec la présidence actuelle. 

Le Parti socialiste est comme un vieux zombi : mort depuis longtemps, en état de putréfaction avancée, mais toujours debout et nuisible. Chaque fois qu’on imagine en être enfin débarrassé, il trouve le moyen de revenir. Vous avez aimé Emmanuel Macron ? Vous allez adorer Anne Hidalgo.


Rob Grams