Alors qu’Israël profite de l’arrivée des djihadistes au pouvoir en Syrie pour grignoter davantage de territoires et annihiler les capacités militaires de l’Etat syrien dans un silence médiatique et politique assez ahurissant, celui-ci a également pris la décision de fermer son ambassade en Irlande, une décision extrêmement hostile qui répond à l’immense solidarité, historique, du peuple irlandais vis-à-vis du peuple palestinien. Explications
La solidarité du peuple irlandais avec le peuple palestinien
« Lorsque je voyage à travers le monde, les dirigeants me demandent souvent pourquoi les Irlandais éprouvent tant d’empathie pour le peuple palestinien. Et la réponse est simple. Nous voyons notre histoire dans leurs yeux. Une histoire de déplacement, de dépossession, une identité nationale dont les questions sont niées, d’émigration forcée, de discrimination et maintenant… de famine. » Ces propos, c’est le Premier ministre de centre droit de l’Irlande, Leo Varadkar (qui a démissionné depuis), qui les a tenus face à Joe Biden lors de la dernière Saint Patrick, le 17 mars 2024.
Les dirigeants irlandais comparent la famine utilisée comme “méthode de guerre” (pour reprendre les termes du procureur de Cour Pénale Internationale) à Gaza et la Grande Famine irlandaise (1845-1852), peu connue aujourd’hui et généralement attribuée à une sorte d’accident de l’histoire alors qu’elle fut le résultat de décisions conscientes de l’oppresseur britannique. C’est pourquoi la famine irlandaise fait aujourd’hui écho à la situation en Palestine. Comme dénoncée très régulièrement par António Guterres, chef de l’ONU, la famine menace Gaza où la faim fait déjà rage. Il s’agit d’une situation directement voulue, souhaitée et organisée par l’agresseur israélien qui l’incorpore dans sa méthode de guerre, et qui explique pourquoi certains vont jusqu’à parler de génocide ou de risque de génocide. Ce lien est d’autant plus évident qu’il est fait par les Irlandais eux mêmes. Dans un article du Monde qui s’interroge sur pourquoi l’Irlande est le pays le plus pro-palestinien d’Europe, la journaliste cite Cerian Perry, conseiller municipal de Dublin, qui déclare “Nous aussi, nous avons connu l’oppression et la famine”.
Par ailleurs, autre point commun, le Royaume-Uni a une responsabilité particulière dans la situation à Gaza. C’est le ministre britannique des Affaires étrangères, Arthur Balfour, qui fit en 1917 une déclaration annonçant le soutien britannique à l’établissement d’un “foyer national du peuple juif” en Palestine. L’Empire britannique obtint à la fin de la Première Guerre mondiale un mandat pour administrer la Palestine (une des formes du colonialisme). Après avoir fait de nombreuses promesses contradictoires et joué des tensions entre les communautés juives et arabes, le Royaume-Uni s’est retiré de la Palestine en 1948 en laissant l’ONU régler la question. Encore aujourd’hui, l’ancien colonisateur continue de livrer des armes à Israël malgré les massacres de civils gazaouis et bien que 56% des Britanniques soient en faveur d’un boycott de ces ventes.
La compassion irlandaise pour le peuple palestinien trouve ses racines dans une histoire commune de souffrance et d’oppression.
L’Irlande : un modèle à suivre dans le soutien à la Palestine et au Liban
L’Irlande ne s’est pas contentée d’exprimer cette empathie qui s’explique par l’histoire nationale, elle a aussi posé un certain nombre d’actes, qui donnent un exemple à suivre pour un Etat soucieux du respect du droit international et de la survie du peuple palestinien.
Aux côtés de l’Espagne et de la Norvège, l’Irlande a reconnu unilatéralement l’Etat palestinien. Cette décision avait déjà conduit au rappel de l’ambassadrice d’Israël à Dublin. On l’oublierait souvent avec la propagande médiatique et sa question stupide qui renvient en boucle : “l’Etat d’Israël a-t-il le droit d’exister ?”, la réponse est simple : l’Etat d’Israël existe. En revanche, c’est bien la constitution du peuple palestinien en tant que nation, en tant qu’Etat, qui est déniée par l’Occident. Ce sont désormais 139 pays sur les 193 États membres de l’ONU qui reconnaissent la Palestine comme Etat avec Jérusalem-Est comme capitale.
L’Irlande a annoncé se joindre à la procédure lancée par l’Afrique du Sud – un autre pays qui, pour des raisons historiques, se sent très lié au peuple palestinien – devant la Cour de justice internationale. L’Afrique du Sud accuse, en effet, Israël de commettre un génocide dans la bande de Gaza. Il y a un an, d’autres pays avaient déjà rejoint la procédure, dont la Bolivie, la Colombie, la Libye, l’Espagne et le Mexique. Micheal Martin, ministre des Affaires étrangères irlandais, a rappelé que l’Irlande « était engagée à défendre et promouvoir une interprétation stricte de la convention sur le génocide, pour assurer le plus haut niveau de protection possible pour les civils ».
Lors de son invasion barbare et illégale du Liban, Israël s’en est pris aux soldats de la FINUL, des soldats “casques bleus” de l’ONU en provenance du monde entier. Il a exigé de la FINUL que ses troupes se déplacent. L’Irlande, qui compte 347 soldats irlandais au sein de cette force, a refusé. Le président irlandais, Michael Higgins, avait qualifié cette demande de “scandaleuse” et qualifié cette requête d’insulte à la plus importante institution mondiale ainsi qu’aux soldats qui risquent leurs vies et à leurs familles.
Israël a évidemment réagi avec son discours habituel et usé jusqu’à la moelle, qualifiant le souci de paix, de respect des droits de l’homme et du droit international de l’Irlande de “rhétorique antisémite” et pris la décision de fermer son ambassade à Dublin, une des mesures les plus hostiles possibles en diplomatie. Le Premier ministre irlandais, Simon Harris, a déclaré qu’il s’agissait d’“une décision très malheureuse de la part du gouvernement Netanyahou “
L’Irlande incarne un modèle de solidarité envers le peuple palestinien. Son engagement s’enracine dans une histoire partagée de souffrance et de lutte contre l’oppression. À travers ses actions courageuses – la reconnaissance de l’État palestinien, son soutien à la procédure de la Cour de justice internationale ou encore son refus des injonctions israéliennes lors de l’invasion du Liban – l’Irlande montre les marges de manoeuvre dont disposent les Etats européens s’agissant d’Israël.
Rob Grams
Crédit Photo : Banderole pro-palestinienne par le Celtic Football Club, club écossais mais fondé par la diaspora irlandaise. Photo prise au Celtic Park (stade à Glasgow en Ecosse) le 18 septembre 2024 lors d’un match de la Ligue des Champions.
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