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Le constat est difficile mais partagé : à moins de trois mois des présidentielles, peu d’idées parviennent à émerger dans cette campagne… A part, peut-être, chez Eric Zemmour dont le projet, limpide, tient globalement en une ligne : « virer les musulmans ».

Cette situation est évidemment malsaine puisqu’elle signifie que la compétition se fait essentiellement sur des questions de personnes, ce qui permet d’ailleurs d’expliquer l’important décalage, voire même la franche contradiction, entre les mesures souhaitées par les Français (augmentation du SMIC, limitation des écarts de salaires…) et les programmes des candidats en tête des sondages. En témoignent par exemple, ceux et celles qui attendent Christiane Taubira comme d’autres attendent le Messie, peu importe son absence de sérieux, d’idées et de mesures…

Au milieu de tout ça, le cas Jadot/Europe Ecologie Les Verts est un peu particulier. Si aucune mesure lisible ne se distingue, les électeurs EELV ne votent évidemment pas EELV pour la personnalité de Jadot (il n’y a vraiment que lui sur Terre pour le penser) mais pour ce qu’incarne, à tort ou à raison, le parti qu’il représente : l’écologie politique. Ce n’est donc pas à la personne de Jadot que nous nous attaquerons ici, ni au malaise qu’il instaure quand, en meeting, il se prend pour un chauffeur de salles pour vacanciers du 3ème âge à Ibiza, ni de l’antipathie générale qu’il dégage, mais bien de la question qui se pose à travers lui : pourquoi le programme d’un parti s’identifiant à l’écologie comme EELV n’aurait en réalité que très peu d’impact sur la lutte contre la destruction de notre environnement ?

La raison est simple et tient en une phrase, Yannick Jadot et son parti refusent catégoriquement les 2 ruptures essentielles et préalables à tout programme écologique conséquent : la rupture avec le capitalisme et la rupture avec l’Union Européenne.

1- Une écologie sérieuse est une écologie antibourgeoise

En effet, une écologie digne de ce nom implique de changer radicalement, c’est-à-dire profondément, nos manières de produire et de consommer, nos manières de vivre (de travailler, de manger, de penser, de se déplacer, d’habiter…). Ces changements impliquent eux-mêmes de rompre avec le capitalisme et en particulier avec ses penchants les plus libéraux : libéraux au sens de facilitation du commerce, et encore davantage, de facilitation du commerce international. Concrètement, un programme écologique demande des investissements massifs pour la transition énergétique, qui ne peuvent avoir lieu dans une pure logique de rentabilité et encore moins de rentabilité à court terme. Ils impliquent donc une action très forte de l’Etat et le recours probable au déficit budgétaire.

De la même façon, il induit d’entraver durement la libre circulation des marchandises, c’est-à-dire de mettre en place des mesures protectionnistes aux frontières nationales, afin de ne plus importer des produits polluants, depuis l’autre bout de la planète, alors qu’ils pourraient être produits ici-même. Il implique de nationaliser ou de collectiviser un certain nombre d’industries stratégiques pour les orienter vers les besoins écologiques, en dehors des logiques de rentabilité du capital. Il implique aussi de planifier, c’est-à-dire de fixer des objectifs sur plusieurs années, et donc de ne pas laisser les seuls intérêts du marché décider de notre avenir.

Il implique enfin des impôts et des taxes écologiques en particulier sur les secteurs polluants. Autant de mesures en rupture directe avec le libéralisme débridé promu par la bourgeoisie défendant ses intérêts.

2 – L’Union Européenne et l’euro : une chance pour Yannick Jadot, un blocage pour l’écologie

Problème : est-il réellement possible de rompre avec ce libéralisme tout en restant dans l’Union Européenne (à penser que cela soit souhaitable) ? La réponse ne peut être très optimiste. Les traités européens, qui engagent chaque pays membre, ont énormément contraint les possibilités des Etats d’agir sur l’économie, c’est-à-dire sur la réalité matérielle. Raison pour laquelle les débats depuis 15 ans portent essentiellement sur d’autres sujets… Yannick Jadot s’en donne d’ailleurs aussi à cœur joie en ramenant dans le débat public des polémiques aussi puantes que le burkini. En effet, les Etats de l’Union Européenne ne peuvent plus disposer librement de leur budget et faire du déficit si besoin. Les Etats de la zone euro ne peuvent pas non plus dévaluer leur monnaie dans ces cas-là, limitant leurs possibilités à des politiques d’austérité.

De la même façon, pris dans « le marché commun », la mise en place de mesures protectionnistes aux frontières du pays est devenue pratiquement impossible. Le sujet n’est donc jamais de sortir de l’euro ou de l’UE pour le plaisir d’en sortir, par goût pour l’apocalypse que nous promettent les économistes bourgeois, ou par nationalisme chevronné. Cette sortie ne doit jamais être une finalité en soi (même si certains souverainistes confus semblent le penser) mais poursuivre un objectif. En l’occurrence : la rupture avec le libéralisme économique en vue d’une politique écologique et sociale ne peut pas se faire dans le cadre de l’Union Européenne. Car pour modifier les traités qui nous enferment dans des politiques libérales anti-écologiques, il faudrait avoir l’accord de la totalité des 26 autres États membres : concrètement convaincre les 26 autres gouvernements libéraux de la nécessité d’un changement de modèle vers… un socialisme écologique. Bon courage !

3 – EELV : un combo de nullité politique et de nullité stratégique

Alors pourquoi pas ? Pourquoi ne pas essayer ? Qu’est-ce que cela coûte à part de l’énergie inutilement dépensée et du temps perdu ? C’est généralement ce que proposent a minima les candidats sociaux démocrates depuis François Hollande et dont fait partie Yannick Jadot. Mais la vraie divergence implique la suite de la stratégie : que fait-on une fois que les autres gouvernements bourgeois nous auront ri au nez, ce qui ne manquera pas d’arriver ? Que met-on en priorité : notre programme de rupture écologique et sociale, ou l’appartenance à une Europe de marché, bourgeoise et bureaucratique ? C’est bien là que le bât blesse. Il ne s’agit en aucun cas d’une différence de nuance mais bien d’une divergence politique totale, qui conditionne la possibilité même de tout ce qui est promis lors de la campagne électorale.

Sur le libéralisme, le choix est clair, celui de l’écologie de marché

C’est d’ailleurs cette divergence qui rend vain le souhait d’une « union de la gauche » entre des forces politiques en désaccord sur ce point. Car un candidat qui promettrait une politique écologique, donc de rupture avec le libéralisme économique, mais qui n’assumerait aucun scénario de sortie de l’UE en cas d’échec de négociations qu’il est impossible de gagner, est un farceur. Il ne nous prépare qu’à ce qu’on appelle dans le jargon « faire une Tsipras », c’est-à-dire trahir lamentablement toutes les aspirations que portait notre programme en se soumettant à la bourgeoisie européenne. Ou pire « faire une Hollande », c’est-à-dire renoncer sans même avoir essayé, car il n’a jamais véritablement été question d’essayer.

Contrairement à ce que pensent Jadot et EELV , une coordination internationale pour le climat ne passe ni par l’Union Européenne ni par le libéralisme

Il va sans dire que l’écologie, problème mondial causé avant tout par les pays riches, nécessite inévitablement une coordination internationale et probablement européenne. Simplement, elle ne peut pas avoir lieu dans le cadre actuel de l’Union Européenne. Faire une politique sociale et écologique à l’échelle d’un pays c’est aussi parier sur un effet domino : créer une impulsion qui contaminera les autres pays, à la manière de ce qui a pu se passer avec le capitalisme néolibéral ou le bolchévisme en son temps, c’est-à-dire parier sur le fait qu’un modèle original ne se cantonnera pas in fine aux frontières nationales, quand bien même il prendrait naissance en leur sein dans un premier temps.

4 – Yannick Jadot : l’eurobéat libéral au service du greenwashing

Mais alors comment se sont positionnés Jadot et EELV ? Sur le libéralisme, le choix est clair, celui de l’écologie de marché. “L’économie de marché ? Tout le monde est pour l’économie de marché ! Vous voulez que les paysans bio vendent dans les sovkhozes ? Vous voulez l’économie de Maduro ?”  s’est-il écrié avec sa finesse habituelle de macroniste bas de gamme. L’écologie de marché, c’est l’autre mot pour le “greenwashing”, c’est-à-dire la tendance qu’ont les capitalistes à faire semblant d’intégrer l’enjeu écologique pour le transformer en intérêt marchand et en faire un argument marketing tout en ne changeant quasiment rien à leurs pratiques. Cela donne des mesures complètement absurdes comme le marché des droits à polluer (une plateforme en Europe sur laquelle les entreprises s’échangent des autorisations de pollution…). Une écologie de posture, sans aucun impact sur la catastrophe en cours (les pailles en carton, le tri des poubelles pour faire économiser de l’argent à Veolia…) qui correspond en partie à l’électorat petit-bourgeois d’EELV : la fierté de la prise de conscience écologique, mais sans la radicalité des actions qu’elle nécessiterait. 

5 – Déserter les mesures sociales c’est aussi déserter l’écologie 

Il y a une chose qu’il est important d’admettre, et à laquelle Yannick Jadot adhère, c’est qu’une politique écologique réelle augmentera le coût de la vie (le coût des transports, d’une alimentation saine, de l’énergie…).
Elle ne peut donc pas se faire dans les conditions de précarité actuelles de l’emploi, d’inégalités dans la répartition des richesses, de bas salaires, de pauvreté… Sauf à assumer une politique écologique véritablement antisociale, véritablement bourgeoise, c’est-à-dire visant à faire payer les conséquences des actions des capitalistes avant tout à leurs victimes (logique que l’on retrouve d’ailleurs aussi à l’échelle internationale). Mais c’est dans cette dernière que semble s’inscrire Yannick Jadot, qui, avec une certaine cohérence, beuglait à propos des Gilets Jaunes : “ça suffit ! les manifestations en centre-ville le week-end ça suffit !”, s’inquiétant, comme toujours chez les bourgeois, bien davantage des “dégradations pour les petits commerces” que des pieds arrachés, des yeux crevés et de nos morts. Il allait même vanter comme débouché à cette quasi-insurrection populaire…”le Grand Débat”, ce nom donné à cette entreprise de propagande macroniste. “De quoi il se mêle ?” (ou “qui est-ce ?”) avaient dû penser les quelques-uns l’ayant entendu. Il y a toutefois des manifestations que Jadot apprécie, comme la manif d’extrême droite des policiers, où il s’était rendu, aux côtés du RN, d’Eric Zemmour et de Gérald Darmanin.

Sans mesures sociales fortes, l’écologie n’est que punitive et injuste, et ne peut coaliser que ceux qui y perdent le moins, ceux dont le quotidien n’est pas réellement impacté, c’est-à-dire la bourgeoisie. 

Autrement dit : pour être électoralement possible (et politiquement souhaitable), une politique écologique ne se construit pas seulement sur des contraintes mais s’accompagne, aussi, d’une transformation totale de l’emploi, de la répartition de valeur produite entre le capital et le travail, d’une augmentation massive des revenus pour la classe laborieuse – seule manière pour cette dernière d’assimiler la hausse des coûts de la vie quotidienne.
De la même façon, dans une société où la consommation en tant que telle est un des rares plaisirs tolérés (de moins en moins) pour une partie des travailleurs, si celle-ci est amenée à décroître, elle doit, pour être acceptable, être compensée. C’est aussi le sens d’une réduction nette du temps de travail (les 32 heures, la semaine de 4 jours, la retraite à 60 ans…) : pouvoir dégager du temps pour soi et pour les autres, pour sa famille, pour les loisirs, pour le sport, pour l’amour, pour la vie associative, pour son jardin, pour sa pratique artistique ou quoi que ce soit d’autre qui nous anime.  Sans tout cela, l’écologie n’est que punitive et injuste, et ne peut coaliser que ceux qui y perdent le moins, ceux dont le quotidien n’est pas réellement impacté, c’est-à-dire la bourgeoisie. 

Le 21 février, invité par le MEDEF, Yannick Jadot a toutefois défendu une hausse du SMIC de 10%. Mais sur le reste des sujets sociaux, le flou règne. Il propose des “conventions citoyennes” pour “aller vers…” pour le temps de travail, “mettre en place des négociations” s’agissant des “bas salaires”…, ces formules à rallonge qui ne disent rien de concret et que nous avons heureusement appris à traduire, Yannick Jadot a clairement choisi son type d’écologie. Les “grandes conférences” étaient d’ailleurs le hobby favori de François Hollande : on a vu le résultat. Sur les retraites notamment, Jadot ne propose là aussi rien de plus que l’ancien président avec le maintien de la retraite à 62 ans et une “prise en compte de la pénibilité” qui existe déjà et qui ne marche pas

Jadot et ses équipes sont tellement à la pointe de la question sociale qu’ils proposent dans leur programme des mesures… déjà existantes. Ainsi, permettre à “toutes celles et ceux qui ont exercé des métiers pénibles de partir plus tôt à la retraite” (dans le programme d’EELV) est un serpent de mer de notre système de retraite destiné à faire passer la pilule des allongements successifs, depuis Sarkozy, renforcé sous Hollande, Affaibli sous Macron, et avec des effets extrêmement limités vu la complexité d’un tel dispositif. Autre proposition qui existe déjà : l’assurance-maladie et la retraite pour les auto-entrepreneurs. Personne dans son équipe ne lui a dit que ça existait déjà ? Tous les auto-entrepreneurs le savent : ils cotisent déjà pour ces deux assurances collectives. Le niveau d’inculture qu’induit de telles non-propositions est inquiétant pour la suite…

6 – Même provenance, même destin : si EELV recycle vraiment quelque chose, c’est les bureaucrates macronistes

Il est toujours utile de le rappeler, EELV est le parti qui a accouché parmi ce qui se fait de pire en Macronie : Daniel Cohn-Bendit, Nicolas Hulot, François De Rugy, Jean-Vincent Placé… et il serait bien naïf de n’y voir qu’un hasard. Avec sa composition de petits notables libéraux cherchant un marché politique, les divergences avec LREM (libéral, fanatiquement pro-européen…) ne sont que des nuances qui expliquent la grande porosité entre les deux formations politiques.

Loin de servir à la lutte pour le climat, l’élection de Jadot n’aurait comme résultat que du hollandisme 2.0, un libéralisme autoritaire saupoudré de vert, au service de la bourgeoisie pollueuse.

D’ailleurs les positions de Jadot s’avèrent évidemment pro-patronales, ce qui est problématique car une politique écologique sérieuse aura tout pour les contrarier. Dans ce cadre, aucune raison en effet de même souhaiter sortir de l’UE, dont EELV a fait de son appartenance la pierre angulaire de son engagement au point même de l’ancrer dans le nom de son parti.

Avec son incapacité congénitale à toute radicalité, Yannick Jadot n’est pas que le candidat un peu chiant, parfois un peu pathétique, que nous présentent les plateaux de télévision, il est surtout profondément inutile : loin de servir à la lutte pour le climat, son élection n’aurait comme résultat que du hollandisme 2.0, un libéralisme autoritaire saupoudré de vert, au service de la bourgeoisie pollueuse. Alors que le risque de réchauffement d’ici 2030 est estimé à +1,5 degré si nous ne parvenons pas à réduire de 7,6% nos émissions chaque année, ce qui entraînera des conséquences gravissimes sur les populations (16 millions de personnes potentiellement touchées par l’élévation du niveau de la mer, destruction de sources de nourritures, extrêmes chaleurs…), nous ne pouvons plus nous contenter d’abstractions, des “petits gestes” alimentant la bonne conscience bourgeoise, de vote symbolique, de mettre des rustines sur la maison en feu, mais nous devons impérativement et véritablement amorcer la sortie du capitalisme et du système productiviste, la seule voie à la hauteur de l’urgence historique. 


Rob Grams