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Nous avons ouvert une nouvelle rubrique de notre magazine, “Vos Frustrations”, destinée à toutes celles et ceux qui ont quelque chose sur le coeur concernant le monde dans lequel on vit, le métier qu’ils font, les expériences qu’ils traversent, et envie de l’écrire dans un format court. Pour nous raconter vos frustrations, écrivez-nous à redaction@frustrationlarevue.fr ! De notre coté, on laisse Paul inaugurer la rubrique :

“Bonjour Frustration. Je m’appelle Paul, j’ai 24 ans, et j’adore ce que vous faites, vos analyses de l’actualité résonnent avec force en moi, et c’est avec plaisir que je découvre l’ouverture de votre rubrique “Vos frustrations”. Je ne sais pas si ce que je vais dire sera pertinent, ni intéressant pour votre équipe, mais j’ai néanmoins envie de m’exprimer, avec le peu de mots et de talent littéraire dont je dispose. Je parlerai à coeur ouvert et écrirai tels quels mes états d’âmes.

Ainsi, j’ai 24 ans. Je suis français, de classe moyenne, de parents fonctionnaires, blanc et hétéro. Et le monde me terrifie. Il m’a terrifié très tôt, et continuera sûrement de le faire. Enfant, j’ai toujours eu le sentiment qu’on m’en demandait trop, et de classes en classes, d’années en années, ce sentiment ne m’a jamais quitté. Qui sont ces gens qui veulent me faire travailler ? Pour quelles raisons ? Ces interrogations, qui peuvent paraître stupides, et auxquelles quiconque pourra facilement répondre “tu le fais pour toi, pour avoir un salaire, et une vie tranquille, et pour la société, et pour les autres, pour la bonne marche du monde”, m’habitent encore aujourd’hui.

Vous l’avez compris, je déteste travailler. Entendez par là que je déteste l’idée du travail, et tout ce qui y est associé. La subordination, l’asservissement, l’effort pour l’enrichissement d’un patron, les gens horribles qu’on peut croiser dans le monde du travail. 

Au lycée, ayant eu comme un pressentiment de ce qui m’attendait après le bac, c’est à dire toujours plus de travail, je me suis saboté en toute connaissance de cause (enfin je le croyais), et ce malgré des facilités (ainsi parlèrent les professeurs) qui auraient pu m’ouvrir de nombreuses portes. 

Cet échec volontaire me fermant d’office l’accès à l’enseignement supérieur, je me suis retrouvé à enchaîner petits boulots les uns après les autres, dans l’espoir de trouver un jour un petit job qui me donnerait le loisir d’exprimer ma paresse à son plein potentiel. Service civique payé au lance pierre dans le milieu associatif, service volontaire européen en maison de retraite en Espagne, restauration rapide, travailleur social en intérim, croque mort, rien ne m’allait. Face à la nécessité de stabiliser ma situation, m’est venu à l’idée de me former pour ne plus être en détresse à chaque période de fin de droits de chômage, et je suis aujourd’hui apprenti menuisier. Mais rien n’a changé, et rien de ce que j’ai fait ne m’a fait me sentir mieux. Et que dire de plus ? J’en ai marre. Marre marre marre. C’est quoi ce monde dans lequel je suis venu sans rien demander, et dans lequel on m’annonce brutalement, dès le plus jeune âge : marche ou crève ! Le travail ou la misère !

La sidération ne s’arrête jamais. L’espoir est infime et malheureusement tenace. Où sont les gens comme moi, qui fatigués de la charge qu’on leur impose, finiront un jour par brûler ce monde et ces gens qui nous demandent toujours plus, ces politiques qui se vautrent dans le luxe et la bêtise, ces patrons tyranniques et toujours plus riches, et ces collègues serviles qui trouvent que c’est normal et que le monde marche de cette manière ? Où sont mes frères ? Où est l’Internationale des tire-au-flancs ? Où sont les anarchistes qui s’ignorent ? Un monde où nous travaillerions moins est il seulement possible ? Est il seulement possible de vivre tranquillement sans cet ordre des choses abject ? 

Je suis Paul, ceci est une bouteille à la mer. S’il vous plaît réveillez vous. Et faites qu’un jour nous renversions la table de manière si violente qu’aucun retour à cet état actuel des choses ne soit possible.”