Les deux groupes opèrent dans des secteurs bien différents et pourtant, ils sont représentatifs des méfaits du capitalisme en temps normal et en période épidémique.
Korian est une entreprise française leader dans le secteur des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, le nom contemporain pour “maison de retraites”. Depuis 2011, cette entreprise a doublé le rémunération de ses actionnaires. Jusqu’à hier, elle envisageait de verser plusieurs dizaines de millions d’euros à ses actionnaires, comme chaque année. Indécent, ont jugé des médias macronistes comme l’Obs. En effet, les syndicats CGT, FO et SUD ont dénoncé le 27 avril une “hécatombe de décès parmi les résidents”, et dénoncé le “manque de réaction” de la direction de l’entreprise.
Casino est une entreprise de grande distribution bien connue qui exploite entre autres les marques Leader Price, Franprix ou Monoprix. Leader dans toutes les stratégies marketing visant à pister le consommateur, c’est aussi un groupe qui arnaque ses franchisés et qui a été mêlé à des affaires de corruption au Brésil. Il est également un pionnier de l’ouverture des magasins de nuit et des caisses automatiques. Comme les groupes Leclerc ou Auchan, Casino a réagi en mode “citoyen” au confinement, promettant l’attribution de la “prime Macron” de 1000€ – défiscalisée et nette de charge – à ses salariés… Avant de se rétracter, en faisant le tri entre CDI et CDD, entre certains postes et d’autres. Généreux, mais pas trop.
Outre les pratiques irresponsables en temps d’épidémie, ces deux groupes ont pour point commun d’être dirigés par des gens ayant évolué au sommet de l’Etat avec le statut de haut fonctionnaire.
Des hauts fonctionnaires au service … de leur propre intérêt
Sophie Boissard, PDG de Korian depuis 2012, est conseillère d’Etat, ce corps très prestigieux chargé de rendre des rapports sur les projets de loi. Elle a fait partie du cabinet de Christine Lagarde et de François Fillon avant de rejoindre la SNCF et le conseil de surveillance d’Areva. Elle représente parfaitement ce savant mélange d’ambition et d’arrivisme qui caractérise les hauts fonctionnaires français pantouflards, qui ont donc lancé leur carrière avec nos impôts afin de diriger des groupes qui extorquent nos anciens. Au moment de sa nomination, le Monde nous raconte que “ces dernières années, son nom était régulièrement cité pour prendre la tête d’une grande entreprise, comme Areva ou Veolia. Elle a préféré Korian, un groupe moins prestigieux mais à la croissance plus forte, et dont l’horizon paraît particulièrement dégagé grâce au « papy-boom ».” Une façon polie de dire qu’elle avait anticipé tout le fric à se faire sur le dos des vieux.
Jean-Charles Naouri, le PDG du groupe Casino, a une histoire encore plus symptomatique, que nous vous racontions dans cet article. Énarque, il devient Inspecteur général des finances (comme… Macron), puis directeur de cabinet du ministre de l’économie socialiste Pierre Bérégovoy. A ce poste, il devient l’architecte principal de la dérégulation des marchés financiers. Il ouvre les marchés à tous (actions/obligations – pour les institutionnels comme pour les particuliers), et crée un système de dette de l’État échangeable (l’ “OAT”)… Il lance le mouvement qui aboutira aux fameux produits dérivés à l’origine de la crise de 2008, censés être des produits d’assurance mais qui sont devenus des produits de spéculation pure en permettant de vendre des produits sans les posséder ou de les acheter sans avoir la liquidité pour les payer. Après cette belle oeuvre, qui ouvre la France aux horizons radieux de la financiarisation de l’économie. Il entre à la banque Rothschild (comme… Macron) puis, une fois du fric accumulé (comme… Macron), il crée un fonds d’investissement et place des “cost killer” à la tête d’entreprises comme Moulinex, où 2300 postes sont supprimés Son fond retire plusieurs dizaines de millions sur cette belle participation à la désindustrialisation du pays, ce que désormais tout le monde déplore sans jamais désigner de responsables. Après ce bel exploit, c’est en toute logique qu’il devient PDG du groupe casino, qui a fait de lui un milliardaire.
Un capitalisme d’Etat pas moins prédateur
Le point commun entre ces deux individus c’est donc d’avoir prétendu servi “l’intérêt général”, “l’Etat”, pour ensuite diriger des groupes directement bénéficiaires de la dérégulation financière à laquelle ils ont participé lorsqu’ils étaient hauts fonctionnaires. Ils bénéficient des réseaux du pouvoir et de ceux du secteur privé qui, en France, ne font qu’un. Or, on raconte souvent que les grandes entreprises ont pris le pas sur l’État, trop faible face à ses grands groupes.
Le capitalisme français, pas moins prédateur que les autres parce qu’il serait dirigé par des énarques, est un capitalisme d’Etat. Aussi, il est illusoire d’espérer que l’Etat actuel tape du poing sur la table contre les pratiques des groupes prédateurs : on parle de copains de promo, de conjoints, d’amis d’enfance, de parrains, de marraines. Des années qu’ils font bloc, “socialistes” comme conservateurs, et l’épidémie ne changera rien à cela. Le moment venu, il faudra s’en souvenir.