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Il y a quelques semaines, j’ai terminé un contrat de travail et j’ai donc décidé de faire valoir mon droit au chômage. A première vue, rien de très compliqué, il faut aller sur le site de Pôle emploi et s’inscrire en ligne, ça prend une trentaine de minutes. Nom, prénom, numéro de sécurité sociale, date de fin du contrat…etc. Le site demande différentes infos assez basiques. Jusque-là, tout va bien. 

Pôle emploi demande ensuite la liste de mes différents employeurs et mes périodes de travail chez eux. Je remplis les champs comme sur un CV : 2012-2014 : salariée chez X – 2014-2018 : employée chez Y. Sauf qu’à la fenêtre suivante, les ennuis commencent déjà : le site exige que j’envoie une, et une seule, attestation employeur (ce document qu’on vous donne à la fin d’un contrat) par période de travail mentionnée. Je suis journaliste en début de carrière, j’ai donc plusieurs CDD à mon actif chez X et chez Y, et plusieurs attestations à fournir. Inutile de dire qu’à aucun moment en amont de cette étape, on ne précise qu’il fallait lister les contrats un par un. Et il est impossible de revenir en arrière. 

Autre information délivrée par Pôle emploi à ce stade de l’inscription : “Il n’est pas possible d’envoyer plusieurs documents pour une même période de travail” indique le site en rouge. Et dans le cas où le document fait plusieurs pages, il n’a pas le droit de dépasser… 5000 Ko. Ce qui veut dire qu’un PDF de 6 pages est déjà trop lourd. Mes documents sont rejetés plusieurs fois. A au moins deux reprises, quand je clique sur le bouton “Envoyer le document”, je me retrouve au point de départ de mon inscription, sans raison apparente. Je dois tout recommencer. 

Pour tenter de gruger, je regroupe mes attestations en un seul document, que je compresse pour respecter le format. C’est flou, quasiment illisible, les pages ne sont pas dans le bon ordre (le logiciel que j’utilise refuse de respecter la pagination), mais tout est là. 

En parallèle, on me notifie que je dois me rendre à un rendez-vous obligatoire pour “faire le point sur ma situation” avec un conseiller, dans l’agence Pôle emploi la plus proche de chez moi. Je m’inscris en ligne le 8 juillet : le rendez-vous est programmé le 24. Impossible d’en obtenir un plus tôt. De façon très infantilisante, la procédure précise plusieurs fois que, sans rendez-vous, pas d’allocation, et qu’une absence non justifiée vaut un avertissement et, si cela se reproduit, une radiation. 

Je décide de téléphoner pour obtenir des conseils et aller au bout de mon inscription sans envoyer valser mon ordinateur contre un mur. Il n’existe qu’un seul numéro pour joindre Pôle emploi : le 39 49. Pendant plus de 10 minutes, j’écoute une voix électronique qui me demande de choisir entre plusieurs services : “Actualisation mensuelle” ; “Service indemnisation” ; “Formations”. Aucun ne renvoie vers quelqu’un qui pourrait simplement m’aider. Je finis par choisir celui qui me semble le plus général. La voix électronique m’annonce que mon temps d’attente est estimé à 10 minutes. 

C’est long, mais c’est un soulagement de tomber enfin sur un conseiller en chair et en os au téléphone à qui expliquer mon problème. Sauf que la première fois, je ne suis pas dans le bon service, me répond-on. La deuxième, même chose, mais cette fois-ci la conseillère me “transfère” vers la bonne personne. Après quelques tonalités, je tombe sur un répondeur, puis la voix électronique du début me remercie pour mon appel sur fond de petite musique et raccroche automatiquement. Je rappelle, me retape la voix, la petite musique et les 10 minutes d’attente qui sont devenues 15 minutes, entre temps. Comme c’est plus long, la voix me propose “d’être rappelée, si je le souhaite, dans les deux heures”, mais je ne lui fais pas confiance et préfère attendre. La musique tourne en boucle. 

Je tente un autre service cette fois-ci : ce n’est pas le bon non plus, mais on me “transfère” enfin vers quelqu’un de compétent, qui dit s’occuper spécifiquement des journalistes. Il répond à mes questions, puis me demande si j’ai envoyé une photocopie de ma carte de presse. Non, puisqu’à aucun moment, on ne me l’a demandé.

Je photocopie donc ma carte de presse et l’envoie sur mon espace personnel. Problème : pour chaque document envoyé, il faut préciser la raison dans un menu déroulant. Dans mon cas, seule l’option “Actualisation mensuelle” est disponible. Tant pis, c’est le seul moyen d’envoyer ma carte de presse et d’espérer finaliser mon inscription. Pour bien faire, je précise, dans l’objet d’envoi : “comme demandé par le conseiller Pôle emploi au téléphone”.

Quelques jours plus tard, je reçois un mail : “Le document que vous avez envoyé a été refusé”. Découragée, je rappelle le 39 49. Après plusieurs tentatives, trois réorientations et une bonne demie-heure d’attente, je tombe sur une conseillère qui m’explique que c’est normal, car la carte de presse n’est pas un document pris en compte par la plateforme en ligne de Pôle emploi. Il faut donc l’envoyer par courrier. Tout comme le RIB d’ailleurs, document essentiel pour espérer toucher le chômage, mais qui ne peut pas être envoyé sur l’espace personnel. Mais “envoyer un RIB par courrier, je ne vous conseille pas”, précise la conseillère au téléphone. Autre solution possible : venir scanner son RIB directement dans une agence Pôle Emploi, sur une machine spécifique dédiée à ça. Bon à savoir : les agences ne sont ouvertes sans rendez-vous que le matin, et il faut alors se préparer à faire la queue. 

Entre-temps, j’honore mon rendez-vous “pour faire le point”. En tête-à-tête avec une conseillère, pendant une heure, je “mets en avant mes compétences” sur mon profil en ligne et valide avec elle plusieurs points de mon CV, comme les langues étrangères ou le permis. J’ai l’impression d’être revenue au collège, à l’époque où on commence à faire nos premiers CV en cours. J’en profite pour lui poser des questions concernant les documents que j’ai envoyés : je ne peux pas vous répondre, me dit-elle. C’est le service indemnisation qui gère ça, moi je suis là uniquement pour gérer votre projet professionnel. C’est la conséquence de la séparation entre l’ANPE et les Assedic, précise t-elle en levant les yeux au ciel, l’air de dire qu’elle n’y comprend pas grand-chose elle non plus. 

Durant le rendez-vous la conseillère me dit que ce qu’elle m’explique me sera répété plus en détails à l’atelier. L’atelier ? Oui, l’atelier obligatoire, celui auquel je suis inscrite pour mieux connaître le site de Pôle emploi. Ah. Et quand a t-il lieu cet atelier ? Le 7 août. Il n’y a pas de date avant. Et, bien sûr, la présence à l’atelier conditionne le versement de l’allocation. 

A l’heure où j’écris ce coup de gueule, je n’en ai toujours pas fini avec Pôle emploi. Mon dossier en ligne n’est toujours pas complet, et je n’ai pas encore reçu de réponse à mon courrier. Je n’ai pas touché d’allocation.

Ce récit est fastidieux, mais il sert justement à montrer à quel point la procédure imposée par Pôle emploi est éprouvante. Elle est faite pour que les gens abandonnent, ne comprennent pas ce qu’on leur demande. Les conseillers eux-mêmes ne semblent rien comprendre. Au téléphone, vous ne tomberez jamais sur la même personne et pour une même question, on vous donnera souvent plusieurs réponses différentes. 

Je suis née dans les années 1990, j’ai grandi avec Internet. Je sais donc compresser un document, créer un PDF, ce genre de trucs. Je n’ose même pas imaginer comment l’inscription peut se dérouler pour quelqu’un qui ne maîtrise pas ces outils. La “dématérialisation” des administrations, tellement vantée par Macron qui veut la généraliser en 2022, créé des “oubliés”, des gens qui n’ont pas d’ordinateur et personne pour les aider à s’inscrire. Chaque année, l’Etat économise environ 10 milliards d’euros comme ça (5 milliards rien que pour le RSA, et 5 milliards pour les autres prestations sociales), sur le dos des gens qui renoncent à leurs droits.

L’une de mes connaissances a renoncé à toucher le chômage : elle a préféré se serrer la ceinture un mois ou deux. Pourtant, on parle bien d’un droit. Un droit, oui. Mais on connaît désormais la pensée profonde de notre cher président à ce sujet, qui lui a échappé quelquefois : les chômeurs sont des fainéants, à leur place, il trouverait du travail juste en traversant la rue. Et cette croyance odieuse infuse jusque dans le fonctionnement de Pôle emploi : rappels infantilisants, avertissements, absence d’informations précises. A la moindre incartade, vous êtes radié et il faut tout reprendre depuis le début. Le message est clair : toucher le chômage en France, ça se mérite.