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« Il ont fait une soirée et ils ont réveillé tout le monde avec une alarme incendie. Ils ont jeté des fumigènes et ont simulé une fusillade », raconte à France Info l’un des encadrants du SNU, dans un de ses camp du Val d’Oise. C’est pas génial ça ? Des enfants « de tout milieu social » qui viennent s’endurcir au contact d’une connerie d’inspiration militaire, faite d’humour potache et de références subtiles à l’attentat du Bataclan ? Finis les téléphones portables, snap chat et instagram, vous allez rampez dans la boue les drôles, et on va vous apprendre le partage et la so-li-da-ri-té. Tout ça pour un coût de pour 1,5 milliards d’euros par an. 1,5 milliards par an ça permettrait de recruter environ 30 000 profs de plus, mais ce n’est pas prioritaire, si ?

Le coté grand brassage social dans la boue et autour de plats de betterave en inox, c’est globalement ce qui plaît à la majeure partie des forces politiques françaises, qui soutiennent l’esprit du projet (mais en critiquent la durée ou les modalités). A droite, c’est l’impression de retour à l’ordre moral qui est bien apprécié : tous ces ptits rebeus et pédés marchant au pas, n’est-ce pas très satisfaisant quand on est de droite ? Les bobos qui ont voté Macron « pour faire barrage au FN » doivent se sentir un peu con, mais vu comme ils sont doués pour contourner la carte scolaire, ils sauront certainement obtenir un certificat de dispense pour Prudence et Philibert. Experts dans l’art de souhaiter pour les autres ce qu’ils ne veulent pas pour leur propre progéniture (ce sont les premiers à dire qu’il faut épargner l’enseignement général aux enfants de classe populaire, qu’il faut arrêter de dévaloriser les formations techniques mais par contre Prudence est priée de faire une prépa HEC et Philibert de rentrer à Science po Paris), les bourgeois de toute obédience aiment l’idée d’envoyer des petits gars de cité dans des camps où on leur apprendra à marcher au pas, se tenir des heures au soleil sur les marches d’un bâtiment officiel (au risque de tomber dans les pommes, les ptites natures) : ne sont-ils pas trop choupi avec leurs polos bleus blancs rouges et leurs petites casquettes ?

A gauche aussi on soutient l’initiative, la France Insoumise allant même jusqu’à déplorer qu’elle soit si courte : 9 mois ça serait tellement mieux pour « favoriser la mixité sociale ». Incroyable argument. On vit dans une société où dans les villes se creusent les écarts entre quartiers riches et quartiers pauvres, sont massivement excluent ceux qui n’ont pas le bon goût de gagner 5 SMIC, un monde politique qui renforce les exonérations fiscales des riches, rabote les prestations sociales des pauvres, adopte une réforme du Bac qui va durablement et sans retour possible creuser les inégalités dite « de destin »…. Mais on pense pouvoir créer, au milieu de ce carnage, de la « mixité sociale » en envoyant les jeunes « de tout milieu » se faire emmerder dans des camps.

Mais au fait, ça sert à quoi la mixité sociale ? A aider les bourgeois à se sentir mieux. Tandis qu’ils écrasent la société sous leurs diktats et leur recherche de profits, ils ont besoin de se raconter autre chose que la vérité sur eux-même. Il y a le « mérite » bien sûr, pour s’assurer qu’ils sont universitaires ou patrons pour une bonne raison (même quand ils sont enfants d’universitaires ou enfants de patrons ils arrivent à se convaincre que c’est par mérite qu’ils sont ici, chapeaux les artistes). Il y a « les marchés » et « la mondialisation » pour assurer qu’un ordre plus juste relèverait du fantasme. Il y a le « barrage au FN » pour s’assurer la mainmise électorale sur notre vie politique. Et puis il y a la « mixité sociale » pour se montrer et montrer qu’ils ne sont pas sectaires. La « mixité sociale », un véritable argument de vente pour la gentrification des centres-villes : venez vous installez dans le nord du Paris, « faire de la mixité sociale », et quand il ne restera plus que vous parce que vous et vos semblables auront trop fait monter les loyers, alors ça sera la faute du « marché de l’immobilier », créature divine aux lois implacables.

La mixité sociale de l’ancien service militaire, on en a entendu de belles sur celle-ci : Pendant plus d’un an, des futurs avocats ont pu fréquenter de futurs ouvriers. Pour quel résultat ? Les inégalités sociales et le mépris de classe de la bourgeoisie se sont démultipliées ces trente dernières années. Nous qui sommes gouvernés par des gens qui ont fait leur service militaire, « avec des fils de profs, d’ouvriers, de préfet », nous n’avons guère bénéficié de leur belle expérience issue de la mixité sociale. Nulle franche générosité sociale, nulle envie de favoriser un « vivre ensemble » plus solidaire et paisible. Parce que ça a donné quoi pour vous Pierre-Louis, de côtoyer Gérard pendant votre service ? ça vous a rendu moins méprisant envers la classe ouvrière ? ça vous a fait voter communiste ? Non. ça permet juste à Pierre-Louis de raconter à qui veut l’entendre que lui les ouvriers, les arabes, les loubards, il connaît. Qu’en 76 quand il était à la caserne de Saint-Etienne il s’est bien pochtroné avec des prolos, donc le procès en mépris de classe, non merci hein.

Dernier argument de tout bord en faveur du SNU : sans portable, bouffant tous à la même cantine, les jeunes vont être « moins individualistes ». On se pince. Vous croyez que c’est Instagram qui rend les gens individualistes ? Non, ça c’est juste un refuge, le reflet d’une société compétitive, parce que depuis 30 ans on brise la solidarité syndicale, partisane, de classe. On raconte aux gens des fadaises sur eux-mêmes, on les évalue individuellement, on les oppose au travail et dans le débat public. Dès le collège, on leur impose de faire des « choix individuels » comme s’ils l’avaient, ce choix.

Nous n’avons pas besoin d’un mois forcé de mixité sociale. 
Nous avons besoin d’une vie de justice sociale.