Depuis hier, Challenges nous gratifie de sa couverture foireuse sur les kiosques à journaux et dans les gares de France : “Francs-maçons, ENA, LGBT : les réseaux du pouvoir aujourd’hui”. Soyons juste avec Challenges, ils ne sont pas les premiers à nous faire ce coup-là. D’ordinaire c’est le Point et l’Express qui s’y collent. Les balais à chiotte du macronisme font dans le complotisme bon chic bon genre, mais pas un complotisme qu’iront dénoncer ses habituels chasseurs (Conspiracy Watch, les Décodeurs du Monde, “le vrai du faux” de France 2…): car là on fait dans le fantasme des minorités qui tire les ficelles pour en protéger une autre : la bourgeoisie. Et le but des chasseurs de complot est de montrer que le peuple est con, pas que la bourgeoisie est coupable.
Pourtant, avec cette couverture, on est dans un délire total, sans fondement et à visée politique évidente.
Qui a conçu et a bénéficié de la réforme de l’ISF ? Les lesbiennes ? C’est elles qui ont financé le candidat Macron pour qu’il fasse ça, plus vite que prévu ? Qui se gave des milliards du CICE et du crédit impôt recherche tout en délocalisant quand ça l’arrange ? Les transgenres ? Qui possède la presse qui a fait monté et soutient encore à bout de bras un président qui met le pays à genou ? Les juifs ? Les francs-maçons ? Non, les bourgeois. La bourgeoisie, l’indécrottable, l’indéboulonnable et l’inaltérable foutue bourgeoisie qui, au moins depuis la Révolution de 1789, tient notre pays entre ses mains et manipule notre “démocratie”.
Les bourgeois sont parfois juifs. Parfois ils sont francs-maçons. Parfois même ils sont gays. Mais ce n’est pas en tant que gays, franc-maçons ou juifs qu’ils se retrouvent régulièrement aux dîners du Siècle ou de l’Automobile club dans leur cher 8e arrondissement, ou dans les Rotary club et terrain de golf de toutes les villes du pays. Ce n’est pas en tant que juif, que gay ou que franc-maçon qu’ils ont soutenu leur sauveur Macron, dans des dîners de levée de fonds tenu dans tel immense appartement parisien, tel club de riches expatriés à Londres, tel hôtel particulier d’évadé fiscal à Bruxelles. Ce n’est pas au nom d’une religion ou d’une quelconque appartenance ethnique qu’ils sont venus nous vendre sur tous les plateaux une nouvelle camelote pro-bourgeoise après l’épuisement du faux clivage droite-gauche caviar. C’est parce qu’ils tiennent à leur portefeuille et à la fructification de leur capital, le principe de vie des bourgeois.
La bourgeoisie règne sur notre vie, les réseaux du pouvoir c’est elle. Elle monopolise les meilleures écoles, elle les réservent à sa progénitures, et si de temps en temps elle accepte une portion de pauvres c’est pour redorer son blason et raconter que “chacun a sa chance” et que si elle domine, c’est parce qu’elle a bien bossé, pas parce que tout lui était donné. Et si en son sein, les gays se font des soirées et les franc-maçons des réunions, ce n’est qu’un épiphénomène qui ne saurait définir la structure du pouvoir en France. Les grands patrons catholiques comme les Mulliez s’entendent fort bien avec les grands patrons juifs. Et un grand bourgeois gay sera d’abord un bourgeois avant d’être un gay.
Mais il n’y a pas si longtemps que ça, pendant que la bourgeoisie collaborait allègrement avec les nazis, les juifs, les homosexuels et les franc-maçons étaient pourchassés, preuve que que lâcher des minorités pour protéger son pouvoir, c’est historiquement dans ses cordes.
Car “Les réseaux de pouvoir aujourd’hui” se foutent bien du fait que les jeunes LGBT se suicident trois fois plus que les autres, que les hommes gays sont deux fois plus exposés au chômage que les hommes hétéros, que les transgenres (le “t” de LGBT) sont encore considérés comme des malades mentaux par bien des médecins.
Les réseaux de pouvoir sont conçus pour maintenir la domination de la bourgeoisie sur nos vies. Tout le reste c’est de la diversion, alimentée par les nervis fascistes de la bourgeoisie, leur meilleure arme pour réprimer en ayant l’air de libérer, de triompher électoralement en ayant l’air de nous sauver du péril brun. Et la rhétorique de ces gens est confortée par des couvertures comme celle-ci.
Les extrêmes se rejoignent décidément : l’extrême-capitalisme de Challenges rejoint l’extrême-droite des Le Pen dans sa nécessité de nourrir des fantasmes pour protéger la classe dominante fort menacée par le contexte social.
PS : l’ENA est par contre bien un réseau de pouvoir. Mais tous les bourgeois ne sont pas énarques, et tous les énarques ne sont pas… ah si !