Le 7 juillet dernier, Boris Johnson, premier ministre britannique, annonçait sa démission. L’angle choisi par la presse française était peu explicatif : Peu d’articles titraient ou expliquaient dans leurs en-têtes les motifs de la démission de Boris Johnson. Ils restaient relativement vagues dans le meilleur des cas (“une suite de scandales”). Cet article du Monde, par exemple, porte tout entier sur la démission de ce dernier, désigné comme “discrédité par les scandales”, mais ne prend pas la peine d’en expliciter un, et certainement pas le dernier en date.
Pourtant Boris Johnson a démissionné à la suite de faits précis. Tout d’abord la pression mise par son propre gouvernement, dont une cinquantaine de membres ont démissionné, en signe de protestation. Pourquoi toutes ces démissions ? Cela faisait suite à la nomination de Chris Pincher au gouvernement, parlementaire accusé d’agressions sexuelles. Il a été dévoilé que Boris Johnson était au courant de ces accusations au moment de la nomination. Le lecteur attentif, qui suit la politique française, ne peut pas s’empêcher de trouver cette affaire familière. Un exécutif qui soutiendrait des ministres accusés de viols, ça ne vous rappelle pas quelque chose ?
En France, Damien Abad et Gerard Darmanin ont tous deux été nommés ministres alors qu’ils étaient visés par des plaintes pour viol – des plaintes donc, pas de simples accusations verbales. Pire, ces accusations étaient de notoriété publique. Ce qui est donc un scandale absolu de l’autre côté de la Manche n’a pas ému grand monde du côté de la Macronie.
Notre pays s’est tellement habitué à l’ignominie et à l’absence de décence de notre classe dirigeante que celle-ci ne se rend plus comptable de rien, ne se sent plus en besoin de se justifier de rien. A tel point qu’imaginer la même situation ici que là-bas, c’est-à-dire l’intégralité de notre gouvernement qui démissionnerait en signe de protestation pour la nomination de ministres explicitement accusés de viols relève de la science-fiction.
La presse française a raison de dire que le scandale Pincher n’est, dans le cas de Boris Johnson, que le dernier en date d’une longue liste, même si c’est bien ce dernier qui aura entraîné sa démission. Parmi ces scandales : le “partygate”. Pour la faire courte, Boris Johnson allait faire la fête pendant les restrictions Covid qu’il imposait à sa population.
La France n’a d’ailleurs pas été étranger à ce type de scandales. Des allégations avaient été faites de participation de ministres à des dîners clandestins, y compris par le grand bourgeois Pierre-Jean Chalençon qui en organisait, qui avait fini par revenir sur ses propos devant le tollé en plaidant “l’humour”. Médiapart avait également permis d’en savoir plus sur l’organisation de déjeuners et de dîners illicites dans des palaces, à destination de la bourgeoisie et de notre classe politique.
Le parallèle entre la situation britannique et la situation française, pourtant jamais relevé par nos médias, n’en est alors que plus frappant. La nomination de ministres accusés de viols, en plus de ne pas faire réellement scandale en France, n’est pas le premier fait d’arme de la Macronie. Cela arrive, ici aussi, après une très longue liste d’ “affaires”. . Pire, ces scandales et mensonges d’Etat sont d’une gravité et d’une ampleur bien plus grave que les scandales britanniques (du moins que ceux ayant précédés la nomination de Chris Pincher).
Parmi ceux-là, on peut notamment citer :
- L’affaire Benalla (mai 2018) : l’ami du président, Alexandre Benalla, se déguise en policier avec l’aval de la hiérarchie policière et violente un couple de manifestants lors du 1er mai. La vidéo sera révélée par Taha Bouhafs, à la suite de laquelle il sera régulièrement arrêté et violenté par la police. La veille de la perquisition chez lui, le coffre-fort d’Alexandre Benalla dans lequel il rangeait ses armes est “déménagé” par un ancien des forces spéciales, et ne sera jamais retrouvé. A la suite de cela, la police tentera de perquisitionner Médiapart qui avait enquêté sur l’affaire (l’Etat sera finalement condamné pour cette tentative illégale de perquisition). La réaction la plus célèbre de Macron à cette affaire d’une gravité inouïe, qui n’aura entraîné aucune démission d’importance, restera son adresse provocante à la population mécontente “qu’ils viennent me chercher” .
- La mort de Zineb Redouane (décembre 2018) : Zineb Redouane, femme algérienne de 80 ans, est morte après avoir été atteinte par une grenade lancée par la police. La version du gouvernement aura été donnée par le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner : «Zineb Redouane est sur son balcon, elle ne manifeste pas, elle est atteinte par une grenade lacrymogène, elle va à l’hôpital parce qu’elle est blessée dans ce cadre-là, et l’enquête indique qu’elle meurt d’un choc opératoire. Alors je veux bien qu’on accuse la police de tout ! ».
- L’éborgnement de Jérôme Rodrigues (janvier 2019) : En plein live Facebook, Jérôme Rodrigues est blessé et perd son œil. Le secrétaire d’Etat à l’intérieur, Laurent Nunez, déclare qu’“aucun élément ne permet de dire qu’il a été blessé par un tir de LBD”.
- L’affaire Geneviève Legay (mars 2019) : Lors d’une manifestation un policier pousse une dame de 72 ans, lui fracassant le crâne. Une enquête est lancée, le procureur de Nice la confie à la compagne du policier incriminé. Le président Macron affirme que “cette dame n’a pas été en contact avec les forces de l’ordre”. Le procureur de Nice abonde dans le sens du Président, avant de se rétracter et de confirmer qu’il a menti pour ne pas embarrasser Macron. A la suite de tout cela, les journalistes de Médiapart seront convoqués à plusieurs reprises par la police en raison de leurs enquêtes ayant démontré les mensonges de la présidence de la République.
- L’affaire de la Salpêtrière (mai 2019) : Lors du 1er mai, des manifestants sont violentés par la police. Paniqués, ils tentent de se réfugier dans un bâtiment à proximité. Ce bâtiment se trouvera être un service de réanimation hospitalier (non-indiqué comme tel). Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, se saisit médiatiquement de l’affaire et fait passer cela pour “une attaque d’un hôpital” par des hordes d’extrême gauche. Les vidéos finiront par fuiter, ainsi que les témoignages du personnel hospitalier, démontrant l’énième mensonge d’Etat : les black blocs assoiffés de sang étaient finalement de simples manifestants apeurés, dont certains particulièrement âgés. Sans ces révélations les suites judiciaires à leur encontre auraient pu être très graves.
- L’affaire des masques (mars 2020) : en raison d’une impréparation totale aux risques pandémiques pourtant absolument documentés depuis des années, la France n’est pas équipée en masques lorsque la pandémie de Covid-19 frappe le pays. Plutôt que d’admettre la situation, le gouvernement dissimule la pénurie et ment sur l’absence d’efficacité des masques. Il faudra attendre que l’approvisionnement soit suffisant pour que soudain ceux-là deviennent pertinents et obligatoires. C’est encore un mensonge d’Etat, tout à fait grossier.
- L’ “affaire” Alexis Kohler (juin 2020) : En juin 2018, Alexis Kohler, fidèle de Macron, secrétaire générale de l’Elysée et ex-directeur de son cabinet lorsqu’il était ministre de l’Economie, est visé par une plainte d’Anticor (association de lutte contre la corruption) pour “prise illégale d’intérêt”, “trafic d’influence” et “corruption passive”. Il est soupçonné d’avoir favorisé l’entreprise Mediterranean Shipping Company (grosse entreprise italo-suisse de croisières et de porte-conteneurs). En effet, le cousin de Kohler se trouve être le propriétaire du groupe MSC et Alexis Kohler a lui-même travaillé pour la firme en tant que directeur financier. Macron est alors intervenu directement via une note remise à l’été 2019 au parquet national financier. Un mois plus tard l’enquête est classée sans suite.
- L’affaire McKinsey (mars 2022) : Le gouvernement français a fait appel pour près d’1 milliards d’euros par an aux services des cabinets de conseil pour concevoir sa politique, avec des résultats plus qu’incertains. Parmi ceux- là, le cabinet McKinsey dont on a appris qu’il ne payait pas d’impôts en France. Par ailleurs, le responsable des marchés public de McKinsey, Karim Tadjeddine, est un ami de Macron et a aidé gratuitement sa campagne de 2017. Voir notre vidéo pour en savoir plus.
- L’affaire des UberFiles (juillet 2022) : A l’époque où il était ministre de l’économie de François Hollande, Emmanuel Macron entretenait des relations secrètes avec l’entreprise Uber afin de faciliter son entrée sur le marché français, au détriment des taxis et de la réglementation française sur le droit du travail. A l’époque il affirmait que ce n’était jamais arrivé : encore un mensonge d’Etat. Par ailleurs, on a ensuite appris que le lobbyiste d’Uber, après avoir réussi à imposer son agenda au ministre Macron, l’a aidé à financer LREM, le parti qu’il créait pour sa campagne de 2017.
Toutes choses égales par ailleurs, la nomination de ministres accusés de viols par Emmanuel Macron aurait donc dû être, ici aussi, l’énième scandale après une longue multitude d’autres qui aurait dû entraîner, enfin, sa destitution. A aucun moment le parallèle n’est fait dans la presse française qui choisit d’ailleurs des angles qui ne permettent pas spontanément de faire cette comparaison pourtant évidente. Les journaux français les plus audacieux parlant à propos de la démission de Boris Johnson de “scandales sexuels”, auxquels il faudrait rappeler qu’une orgie n’est pas du même ordre qu’une affaire d’agressions sexuelles.
De ce point de vue la mise en perspective avec les titres choisis par la presse britannique est assez saisissante :
La presse française ne tait pas les scandales mais elle ne leur donne pas l’ampleur qu’ils méritent et qui devraient entraîner la destitution normale, dans un pays démocratique, d’un président et de gouvernements successifs couverts de honte par leurs multiples mensonges d’Etat. Mais cela n’a peut être pas rien à voir avec la propriété des médias, pour la plupart possédés par des milliardaires, plutôt avantagés par les politiques macronistes.
Alors, si la méthode britannique pour exiger un semblant de respect démocratique ne fonctionne pas ici, peut-être faut-il chercher l’inspiration du côté du Sri Lanka ?