Campagne présidentielle 2022.
Interrogé sur l’augmentation des violences aux personnes pendant son quinquennat, Emmanuel Macron tempère. « Si les chiffres des violences aux personnes augmentent, c’est à plus de 80 % les violences intrafamiliales ». Le candidat y trouve matière à défendre son bilan, l’augmentation serait le signe que sa politique de lutte contre les violences faites aux femmes encourage la libération de la parole : des violences hier tues trouvent aujourd’hui le dépôt de plainte.
Sans un travail actif de prévention, d’identification des violences commises et encore invisibles, une telle politique est insuffisante. Car on sait les difficultés que peut rencontrer la parole d’un adulte. Imagine-t-on alors un enfant pousser la porte d’un commissariat ?
De si fréquents drames
Il existe, dans notre pays, un réservoir de violences cachées parmi d’autres et contre lequel pas grand-chose n’est fait, ou si peu. Ces violences ignorées, ce sont celles dont sont victimes les enfants.
S’il est pourtant une population que chacun prétend souhaiter à tout prix préserver, ce sont les enfants. Mais s’il est une population dont le respect du droit fondamental à la sécurité est régulièrement bafoué, ce sont aussi les enfants.
En 2021, le 119 recense en France 43 260 enfants en situation de danger. Violences psychologiques, violences physiques, violences sexuelles.
Mes frères et moi avons subi les deux premières. Pas un seul de nos souvenirs d’enfance n’en est exempté. L’un d’eux n’en reviendra jamais, il finira par en mourir.
Une fois appréhendés la sidération, le ressentiment jusqu’à la haine, des questions s’imposent, obsédantes. Comment a-t-on pu en arriver là ? À défaut de justice, on essaye de comprendre.
On découvre qu’en marge du monde se trouveraient des monstres, les monstres coupables d’excès, des individus violents par essence, des fruits pourris. Les responsables de drames isolés, de tragédies auxquelles hélas on ne pourrait rien et qui, pourtant, se répètent, encore et encore.
La maltraitance tue un enfant tous les 5 jours. 22 % des Français reconnaissent en avoir été victimes. Aucune classe sociale n’est épargnée. Pendant le confinement de 2020, les hospitalisations d’enfants en lien direct avec des violences ont grimpé de 50 %.
Face à la désagréable récurrence de drames présentés comme isolés, la thèse de l’unique responsabilité de l’auteur des violences se révèle insatisfaisante.
La vie, en somme, ne se résume pas à la microsociété que constitue la cellule familiale. La famille s’insère dans un plus grand ensemble, qui devrait être garant de l’intégrité de tous ces membres.
Il n’existe pas de violences tolérables
Prend-on réellement au sérieux les violences qui touchent les enfants ?
Le 18 novembre 2020, Alexandre Vincendet est condamné pour violences sur son fils de 4 ans. La décision de justice ne l’empêchera pas le 22 juin 2022 d’être élu député (LR).
Dans le verdict des urnes, qui porte aux responsabilités un condamné pour violences sur mineur, l’idée que ces violences ne sont, au fond, pas si graves. Une fois de temps en temps, dans un moment d’énervement face à un enfant insolent, cela arrive. Elles seraient parfois méritées et contribueraient même à forger un caractère, à inculquer une discipline.
Qu’est-ce qu’une violence tolérable ? La seule réponse valable est : aucune. Il appartient à chacun de le rappeler sans relâche, et de combattre avec force ces récits de violences tolérées par rapport à d’autres qui seraient trop importantes.
Car du refus, par exemple, des gendarmes à enregistrer la plainte d’une mère dont l’enfant a été giflé par un chauffeur de car, ou des déclarations de leader politique, on considère encore qu’une gifle est tolérable. Une gifle, oui, un coup de poing, non. Et entre les deux ? Quand bascule-t-on du tolérable au trop ? Peut-être une question de fréquence, à partir d’une gifle par mois, d’une par semaine ? À l’évidence, personne ne prend le risque de définir le continuum de la violence et la limite entre le tolérable et le trop.
Le trop, en revanche, s’identifie facilement par sa médiatisation.
Une série de défaillances
Janvier 2022. Le corps sans vie d’Anthony Lambert est retrouvé. Un adolescent de 17 ans placé par l’Aide Sociale à l’Enfance dans un camping non adapté à le recevoir. Un enfant sous la responsabilité de l’État. La défenseuse des droits s’autosaisit de l’affaire, décidée à traquer les éventuelles défaillances des services publics.
Septembre 2022. Des cas de maltraitance sont découverts à Noyelles-sur-Sens. Les premiers signalements datent de 2013. Quatre ministres annoncent l’ouverture d’enquêtes administratives conjointes à la recherche des défaillances.
La médiatisation charrie son lot de réactions obligatoires de la classe politique. Terrible, terrible drame ; corrigeons les défaillances, faisons en sorte qu’elles ne se reproduisent plus.
De quelles défaillances parle-t-on au juste ? De problèmes de « coordination et d’échanges d’informations ». Affaires sociales, Éducation nationale, Justice, chacun aurait une connaissance parcellaire de ce qui se passe mais serait incapable de travailler de concert. On rirait presque jaune de l’absurdité du fiasco si des vies n’étaient pas menacées.
À nouveau, face à la recrudescence des drames et des défaillances irrémédiablement associées, le récit du caractère exceptionnel qui dit que tout va bien, qu’il suffit d’identifier l’engrenage grippé, s’écroule.
Alors, en façade, on s’indigne, mais s’engager réellement pour les enfants ne représente qu’un gain politique faible. Il y a peu d’intérêt à les défendre. Les enfants n’ont rien à proposer en échange.
Et derrière, il y a les faits de la décision politique qui conduisent à ce que la machine déraille. Le rabot appliqué aux moyens de l’école, du travail social, de la santé, de la justice, à toutes les structures qui traitent de l’enfance, en plus des conséquences qu’on connait a un coût. Lorsque dans l’intimité feutrée des lieux de pouvoirs on décide de les saboter, in fine, des enfants en souffriront, des enfants en crèveront.
« Plus compliqué que ça »
À ce terrible constat, le politique rétorque avec véhémence. « On ne peut pas laisser dire ça, des choses sont faites, c’est plus compliqué que ça ». Remarquez comme le dévoilement d’une causalité simple comme « La casse sociale impacte en priorité les plus vulnérables » provoque systématiquement un appel à la complexité.
En réalité, c’est très simple. Prenons le métier d’enseignant. D’un côté, la mission inclut la détection des élèves en souffrance. De l’autre, des personnes non formées sont recrutées en 30 minutes et un rapport sénatorial pointe la dégradation des conditions de travail. Qui paiera d’abord le prix de cette hypocrisie ?
On ne peut imaginer que de telles décisions soient prises sans un calcul froid, parfaitement lucide quant aux effets. Pas à ce niveau là de responsabilités. Donc, on assume. On assume cette politique, on assume de prendre « des mesures impopulaires mais nécessaires ». La formule sonne mieux qu’« assumer que des enfants crèvent » il est vrai.
Si le traitement réservé aux enfants de tous milieux sociaux est édifiant, il est représentatif du sort réservé aux populations vulnérables ou privées de moyen de défense : malades, travailleurs pauvres, migrants, détenus, sans-emplois, personnes âgées dépendantes. Par manque de moyens, les professionnels en charge consacrent un peu moins de temps à chacun, sont un peu moins à l’écoute, un peu moins vigilant. Il faut faire toujours plus, toujours vite, maltraiter devient la norme.
Est-ce à ça, en définitive, que cette politique de maltraitance prépare les enfants ? À tôt ou tard être maltraité ou à devenir, un jour, maltraitant ?