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Comme nous, l’écrivain Joseph Andras a bien la rage. C’est pourquoi nous l’accueillons régulièrement pour une chronique d’actualité qui affûte nos armes et donne du style à nos frustrations.


Qu’on ne compte pas sur nous pour cracher sur Mélenchon : les maîtres sont déjà là pour ça. Nous dirons ce que nous avons à dire de lui le jour où, dans ce pays, les privilèges auront été abolis. Ce jour-là, oui, nous dirons sa trop grande modération.

Le 1er mai dernier, Mélenchon a discouru quelques minutes à Paris. Et voilà qu’entre deux phrases : « À bas la mauvaise République ! » La secte macroniste pousse depuis des cris aigus.

Une députée des Hauts-de-Seine a vu là « des propos de factieux ». Un député des Français établis hors de France a découvert un « putschiste » et un autre, de l’Essonne, « un pastiche de dictateur ». Une députée d’Aix-en-Provence s’est improvisée thérapeute et historienne : « Quel fou furieux ! Belle imitation de Staline. » Mais d’une Histoire bien à elle : Mélenchon est entré en politique comme partisan de Trotsky – c’est-à-dire, Madame la députée, l’homme que Staline a assassiné (vous pourrez vérifier sur Internet, il faut taper sept lettres en commençant par le T). Un des philosophes de la cour l’a même qualifié de « veste brune ». Que cet homme ait, il n’y a pas si longtemps, confié qu’il eût mieux aimé voter pour Le Pen que pour Mélenchon ne saurait toutefois surprendre. C’est même une vieille affaire. Lorsque le vent bat fort l’époque, les privilégiés rampent devant la première ordure venue plutôt que d’appuyer un modeste front populaire.

Le monarque en personne s’en est ému. Il accuse l’ancien candidat social-démocrate de « faire la courte échelle au R». Jamais, pourtant, le parti du SS Pierre Bousquet ne s’est mieux porté que sous son règne à lui.

Or Mélenchon n’a rien signifié d’autre que « Vive la VIe République ! ». Autrement dit son programme connu de tous. Mais les macronistes s’accrochent à la Ve République comme des tiques à un ventre chaud. On le comprend : elle consacre les puissants et propose, foi d’article 16, les pleins pouvoirs au chef suprême. En septembre 1958, Sartre disait déjà son fait à ce nouvel ordre juridique : « un coup de force ». Il ajoutait : « [L]e régime gaulliste sentira jusqu’à sa fin et dans toutes ses manifestations l’arbitraire et la violence dont il est issu. » Puis concluait : « En un mot, Dieu a besoin des hommes et le général de Gaulle n’a pas besoin des Français. » Macron n’est pas de Gaulle, tant s’en faut ; il flotte dans l’habit mais s’autorise à faire pire. Il avise son royaume, contemple sa cour, cajole ses flics, donne des biscuits à son chien et à ses philosophes. Pendant ce temps, le peuple tape sur des casseroles, crame des poubelles, arrête des raffineries et perd une main ou un œil. Aussi va-t-on jusqu’à le mettre à nu dans les commissariats sans que nos « démocrates » ne s’en émeuvent. La presse nous apprend que seuls 14 % des Français souhaitent maintenir la Constitution en l’état : c’est à peine plus que le nombre d’électeurs inscrits favorables au pouvoir lors des dernières élections. Une minorité, la même, cadenasse un pays et séquestre sa population.

Aussi va-t-on jusqu’à le mettre à nu dans les commissariats sans que nos « démocrates » ne s’en émeuvent.

Joseph Andras

« Non Monsieur Mélenchon, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise République ! Il n’y a que la République », a répondu Olivier Véran au lendemain de son discours. Prions qu’il fut meilleur neurologue que connaisseur de son pays. Car « la République », ça n’existe pas. Ou plutôt : ça n’existe plus. Depuis que le drapeau tricolore a étranglé des travailleurs et des colonisés, il y a leur République et la nôtre. Qui a tiré sur les ouvriers parisiens en février 1848 ? La République. Sur les communards ? La République. Sur les ouvriers textiles de Fourmies ? La République. Sur les mutins de Yên Bái ? La République. Sur les manifestants de Sétif ? La République. Sur les Kanak d’Ouvéa ? La République. Celle de l’Argent, des oligarques, des faiseurs de guerres, des conquérants, des employés du capital. La République bourgeoise, « démocratique » et parlementaire. Et donc il y eut l’autre. Celle des gens d’en bas. Des frondeurs, des trimeurs, des paumés, des sans-culottes, des grévistes, des insurgés, des sans fortune. Celle de la Constitution de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. » Celle de Varlin tombant sous les balles des Versaillais : « Vive la République ! Vive la Commune ! » Celle de Louise Michel confiant dans ses mémoires : « Il nous semblait que la République dût guérir tous les maux de l’humanité ». Celle, même, de Jaurès assurant que les travailleurs manuels et intellectuels y « administreront la production enfin organisée ». Assurément, « la République » n’existe pas.

Qui a tiré sur les ouvriers parisiens en février 1848 ? La République. Sur les communards ? La République. Sur les ouvriers textiles de Fourmies ? La République. Sur les mutins de Yên Bái ? La République. Sur les manifestants de Sétif ? La République. Sur les Kanak d’Ouvéa ? La République.

Joseph andras

Les maîtres détroussent tout, à commencer par nos mots. Ils célèbrent la laïcité pour mettre sur la gueule des musulmans (de préférence les musulmanes). Ils invoquent l’universel pour continuer d’étendre l’Occident au monde entier. Ils louent les valeurs républicaines dans les colonnes de Valeurs actuelles. On se demande, dans pareilles conditions, si le mot « républicain » peut encore nous aider à fonder une société vivable pour ceux qui la font vivre. S’il peut se relever après ce que nos « républicains » ont fait de lui. S’il n’a pas été vicié pour des siècles. Nous dont le cœur remue en pensant à nos aînés – ceux-là briseurs de rois et compagnons d’égalité –, on aimerait bien se dire que oui. Mais nous entendons les sceptiques. Et devons bien admettre que nous nous comptons parmi eux.

Les maîtres détroussent tout, à commencer par nos mots. Ils célèbrent la laïcité pour mettre sur la gueule des musulmans (de préférence les musulmanes). (…) Ils louent les valeurs républicaines dans les colonnes de Valeurs actuelles.

Joseph andras

La Ve République doit mordre le sol : simple affaire de propreté. Mais la VIe ne saurait s’avancer comme un miracle. Elle ne sera qu’un chiffre ajouté à un chiffre si elle ne transforme pas l’ordre social de fond en comble. Le seul régime qui vaille sera celui que les sans fortune se fabriqueront et présideront – pour goûter, bonnement, leur temps de terre en commun. Le macronisme tient ça pour sédition totalitaire ; les gens raisonnables pour l’essence de la démocratie.


Joseph Andras

Image d’en-tête : manifestation parisienne du 29 avril 2023, par Serge d’Ignazio


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