Maud Le Rest est une journaliste spécialisée dans la santé. Avec Eva Tapiero, elle a coécrit le livre Les patientes d’Hippocrate : quand la médecine maltraite les femmes (ed. Philippe Rey), sorti en septembre dernier, qui documente et dénonce avec précision et pédagogie le fléau des violences médicales contre les femmes, et plus largement les biais sexistes dans la prise en charge des femmes dans le système de santé.
Comment vous est venue l’idée de cette enquête ?
Avec Eva, nous sommes deux journalistes indépendantes.On a réalisé qu’on était toutes les deux très investies sur les sujets féministes et les violences de genre, avec un fort intérêt sur la santé des femmes. De mon côté j’ai fait deux ans d’alternance dans la presse santé, où j’ai acquis une expertise solide en santé. Par ailleurs, je viens d’une famille de médecins.
Pourquoi on a voulu écrire sur ce projet ? Parce qu’en parlant à nos amies, on se rendait compte qu’il y avait trop de choses qui n’allaient pas et que c’était considéré comme normal. Ce n’est pas normal à 14 ans d’aller faire un premier toucher vaginal, de penser qu’il faut absolument tout faire checker, qu’il ne faut pas se plaindre des règles douloureuses… Quand on a réalisé l’ampleur de cette soi-disant normalité, on a voulu pour une fois parler de ça sans faire de périphrases, avec des mots clairs, forts, on parle de « violences misogynes ». On appelle un chat un chat. On voulait faire un livre accessible qui ne soit pas à seule destination des féministes et des gens intéressés par la santé. Ça a été un gros travail de relecture, et on a mis beaucoup d’encarts pour que ça soit facile à lire.
Dans les faits, dans les conférences que l’on a données et les signatures, il n’y a malheureusement quasiment que des femmes… C’est dommage car notre livre interroge beaucoup le couple hétérosexuel : la santé, c’est l’affaire de deux personnes quand tu es en couple.
Vous consacrez un chapitre à l’endométriose, maladie peu connue mais pourtant extrêmement douloureuse, handicapante et courante (10-15% des femmes en âge de procréer). Les malades se voient répondre « c’est normal d’avoir mal pendant ses règles ». Peux-tu nous expliquer ce que c’est et comment cette maladie est prise en charge aujourd’hui par le corps médical ?
L’endométriose, c’est le développement anormal de cellules utérines sur d’autres parties du corps. Ça peut être plus ou moins évolué. Dans les cas les plus graves, on procède à une ablation de l’utérus, l’hystérectomie. Ce sont les pires cas, quand tu n’as plus d’autres solutions.
Ce qui se passe, c’est que quand tu as tes règles et que ça fait mal, ces cellules réagissent dans d’autres parties de ton corps et ça fait un mal de chien. Aucun traitement n’existe aujourd’hui. Tout ce qu’on peut te prescrire, c’est de prendre la pilule en continu pour stopper tes règles. Mais il y a certaines femmes pour qui prendre la pilule est contre-indiqué, ce n’est pas possible, ou qui ne veulent pas la prendre, donc elles on leur dit « démerde-toi ».
Et puis surtout, comme il y a cette croyance tenace que c’est normal d’avoir mal pendant ses règles, lorsqu’une femme va chez son généraliste ou son gynécologue pour dire « j’ai mal pendant mes règles », il ou elle lui répond : « oui, tu as tes règles quoi ». Ça évolue, car depuis cinq ans on commence à en parler dans les médias. Des personnalités ont dit qu’elles l’avaient, comme Enora Malagré, Lorie, ou Laëtitia Milot de Plus Belle La Vie, du coup certains ont l’impression que c’est réglé : pas du tout. En fait ça continue, l’errance diagnostique est toujours vénère. Même si des centres sur l’endométriose ont été créés en France, c’est une grande avancée.
Pour l’anecdote, le professeur Emile Daraï, accusé par 32 femmes de viols, viols en réunion, viols sur mineurs (et mis en examen pour “violences volontaires aggravées”, ndlr), est un spécialiste de l’endométriose.
On estime que 10 à 20% des femmes souffrent d’endométriose, mais ces chiffres sont sous-estimés : beaucoup de femmes souffrent pendant leurs règles et se convainquent que c’est normal, sans jamais aller demander d’aide, et ce n’est pas rare que des nanas vivent toute leur vie avec une endométriose sans le savoir.
Vous expliquez qu’il est plus difficile de repérer les symptômes de fatigue chronique chez les femmes car on s’attend davantage à ce qu’elles soient fatiguées en raison de « la charge mentale » et de « la charge émotionnelle ». Peux-tu nous expliquer ça ?
Pas mal de féministes préfèrent maintenant parler de « travail gratuit » plutôt que de « charge mentale », mais « charge mentale » montre bien qu’on pense tout le temps. Quand tu es une nana, tu as été socialisée à anticiper énormément de choses, tu penses tout le temps à prévoir. Quand t’es en couple, c’est encore pire car le mec se repose sur toi. La vie de base d’une femme est plus stressante parce ce que ton cerveau est un calendrier.
Nous on est anxieuses sur les choses pratico-pratiques. Tout ça s’accumule et crée de la fatigue chronique. En plus de notre boulot on a ça à gérer et par contre les hommes n’ont pas appris à gérer ça, malgré tout ce qu’on peut dire sur « l’homme déconstruit ». Que dalle. C’est bien beau de lire Mona Chollet pour la théorie, mais en pratique ça ne change strictement rien.
Du coup c’est tellement considéré comme normal qu’une nana soit fatiguée que quand elle va chez le médecin, on va lui répondre : « ah oui, mais vous avez des enfants ». On va penser que c’est normal, alors que si un mec arrive avec une fatigue chronique on va trouver ça bizarre.
Vous citez le médecin et auteur Martin Winckler qui dit que « soigner, c’est d’abord une question d’attitude ». Ce qui est frappant dans les témoignages, c’est l’absence d’écoute. Vous le dites d’ailleurs : « la médecine n’est pas modeste, la médecine n’écoute pas, et encore moins les femmes ». Cette arrogance, le fait de ne pas écouter mais d’être sûr quand même, c’est un attribut de genre très masculin. Est-ce qu’il y a des éléments qui permettent de laisser penser dans ce que vous avez vu que ce serait un peu mieux chez les médecins femmes ?
Franchement non, pas forcément, parce que c’est un système. Dans les études de médecine, ils suivent les mêmes cours, ils ont le même corpus analytique, avec les mêmes lacunes concernant la santé des femmes.
Il y a ensuite un moule social dans lequel il faut s’intégrer : si les femmes veulent se faire respecter, elles ont intérêt à adopter certains codes. Plusieurs femmes nous ont dit que cela était même plus dur avec une gynécologue femme parce qu’il y a un côté : « oh c’est bon je sais moi aussi je suis une femme, ça ne fait pas mal ! ». Après je dis ça de mon point de vue, car il n’y a pas d’études sur ce sujet à ma connaissance.
Cette arrogance est un attribut de genre mais c’est aussi un attribut de classe. La médecine, historiquement, est un corps extrêmement bourgeois. Est-ce que c’est un angle qui vous a intéressé aussi ? Ou est-ce que tu penses que ça n’a pas trop de rapport ?
Si, ça a carrément un rapport : le médecin, c’est un notable. Je ne dis pas que tous les gens qui accèdent à la médecine sont des bourgeois, il y a des exceptions comme partout, mais généralement ce sont des gens qui viennent d’un milieu favorisé, voire très favorisé.
C’est une position sociale qui renforce le côté « je suis sachant », le patient est « l’apprenant », et quand la patiente est une femme il y a une double discrimination, à laquelle tu peux rajouter le fait d’être racisé, queer… Ce sont des couches qui s’additionnent. Nous on s’est concentrées sur les dichotomies homme/femme et sachant/apprenant.
Mais la classe joue énormément, car ils n’ont pas envie de voir leurs privilèges remis en cause. Exemple très simple : quand #Paye Ton Utérus est apparu en 2014, énormément de femmes ont décrit des violences obstétricales ou gynécologiques. Le réflexe de la profession ça a été de dire : « stop au gynéco-bashing »… et de dire que tout ça était de l’ordre de l’anecdotique, alors que nous avions affaire à quelque chose de systémique.
À un moment, ouvrez les yeux les gars. Pour moi c’est clairement un réflexe de classe. Ceux qui ne sont pas bourgeois de base mais qui ont atteint cette position veulent aussi, je pense, conserver ça.
Quel est ton regard sur la psychiatrie et la psychanalyse ? Vous expliquez que 70% des personnes qui vont consulter sont des femmes. Comment expliquer cette distorsion ?
L’idée reçue selon laquelle les femmes sont plus anxieuses et plus dépressives est expliquée par beaucoup de personnes et de médecins par le fait que plus de femmes consultent et se voient prescrire des anxiolytiques et des antidépresseurs.
Pourquoi les femmes consultent plus ? Plusieurs choses : déjà c’est l’éducation et la socialisation. On est éduquées à plus pleurer, à davantage évoquer nos sentiments, à plus s’épancher. Donc forcément on aura moins de tabous, de craintes et de réserves à aller consulter un psychologue ou un psychiatre. Deuxièmement, avec cette charge mentale, qu’elle soit émotionnelle, contraceptive, médicale, au travail, les enfants… Ça nous rajoute du stress. Je ne parle même pas des violences sexuelles : les traumatismes que vivent la majorité des femmes créent de l’anxiété.
Tout ça fait que oui, factuellement, aujourd’hui en France, les femmes sont plus angoissées que les hommes. Mais ce n’est pas de l’ordre de l’inné, c’est de l’ordre de l’acquis.
Vous notez, notamment avec la chercheuse en éthique du soin, Coline Gineste, un paradoxe assez frappant : les femmes sont soumises à de très nombreux contrôles gynécologiques (vous comparez ça aux « contrôles techniques » sur les voitures) mais en même temps, les « taux d’errance diagnostique » sont très élevés sur les populations féminines. Comment expliques-tu ce qui semble être une contradiction ?
C’est très paradoxal : à la fois il faut qu’elles soient contrôlées tout le temps comme on contrôlerait un véhicule, mais en même temps c’est comme un check-up technique, on ne va pas en profondeur. Et surtout : on ne les écoute pas, ce qui donne de l’errance diagnostique.
Typiquement, l’errance diagnostique sur l’endométriose, c’est sept ans en moyenne : pour diagnostiquer une endométriose il faut faire des échographies, voir s’il y a des cellules utérines qui se baladent… Mais avant tout ça il faut écouter la patiente, l’entendre quand elle dit qu’elle a mal. Ça ne sert à rien de faire le check-up tous les ans si on ne l’écoute pas.
Il y a une tendance aussi à considérer « qu’elles se plaignent pour rien ». Ce qui est paradoxal c’est que les études montrent que, sociologiquement, les femmes se plaignent beaucoup moins que les hommes, justement parce qu’on intègre beaucoup le fait de s’occuper d’autrui – soit c’est la famille quand tu as une famille, soit ton mec ou ta meuf, soit tes amis ou tes collègues. Tu gères l’émotionnel de tout le monde et tu apprends à moins dire quand ça ne va pas. Mathieu Arbogast (sociologue chargé de projet à la Mission pour la place des femmes au CNRS et spécialisé dans les questions de genre, ndlr) dit que ce cliché très paradoxal de la femme hystérique est « un objet de contrôle social », parce que comme ce cliché existe, toi, en tant que femme, tu vas tout faire pour ne pas y correspondre, tu vas fermer ta gueule pour ne pas être cette « femme hystérique ».
Vous dites qu’en France l’accouchement « est pensé pour faciliter le travail des obstétriciens et des sages-femmes » : est-ce que les conditions de travail de ces professionnels de santé ont à voir avec leur manière non-empathique de gérer ces femmes, cette envie de ne pas se fatiguer et d’aller au plus vite ?
Ça on en parle un petit peu, car notre but n’est pas de jeter l’opprobre sur les médecins. On a fait parfois face à la souffrance de certains soignants et de médecins qui réalisent bien qu’ils font du travail à la chaîne et se retrouvent maltraitants malgré eux, ce qui les fait beaucoup souffrir. Certains s’en foutent mais d’autres sont vraiment en souffrance par rapport à ça.
Mes parents sont médecins généralistes dans une petite ville où il n’y a plus beaucoup de médecins. S’ils font face à un patient gravement dépressif ou qu’ils doivent annoncer un cancer méga grave, même s’ils n’ont pas beaucoup de temps et qu’ils ont quinze personnes qui attendent, ils ne vont pas l’expédier en cinq minutes, ils vont prendre du temps, mais ça fait que les quinze personnes râlent, ça crée du stress… D’autres choisissent la méthode d’enquiller. À l’hôpital tu n’as pas le choix, tu dois enquiller, tu ne peux pas faire autrement, et on va considérer qu’une fois que l’opération est faite, c’est terminé, il n’y a aucun suivi psy.
Pour les accouchements c’est particulier. Lors de l’accouchement, la femme est animalisée : on a plus affaire à une femme mais à une génisse. Tout est fait pour qu’on soit animalisées : la position, le fait qu’il y ait mille personnes qui rentrent dans la pièce comme dans un moulin sans qu’on ait donné notre consentement, le fait qu’il y ait toute une tripotée d’internes qui vont mettre un doigt dans ta teuch… On est vraiment une génisse.
Les conditions de travail dans l’hôpital public ne sont pas bonnes : ils manquent de gens, ils ferment des lits. Alors qu’est-ce qu’il faut faire ? Donner plus de sous à l’hôpital, l’argent est là quand on veut bien le trouver. Ce n’est pas que les mentalités, c’est aussi une question d’argent, de budget, de personnel : il y a des soignants qui aimeraient vraiment faire mieux mais qui tout simplement ne peuvent pas.
Vous évoquez une mutilation génitale qui est parfois faite par des professionnels de santé, « le point du mari », c’est-à-dire qu’après l’accouchement, sans le consentement de la patiente, le vagin est sur-suturé pour le rendre plus étroit, ce qui est censé accroître le plaisir de l’homme lors de la reprise de la vie sexuelle. Quelle est la réalité et la fréquence de cette pratique ?
Si tu en parles à des médecins ils te diront que c’est une pratique qui n’existe plus. On n’a pas de chiffres là-dessus mais ça arrive encore. Au delà du fait que ça existe encore, on voit dans l’histoire de la femme qui témoigne dans le livre, qu’elle a vu plein de praticiens différents pendant 6 mois, qui voyaient très bien qu’elle avait un point du mari et qui n’ont rien dit. C’est une réalité, ce n’est pas courant, mais même un c’est trop : rien ne va, c’est une mutilation, les femmes ne sont ni prévenues ni informées après coup, ça part d’un postulat hétérocentré et qu’il n’y a que la pénétration d’un vagin par un pénis qui existe, et en plus que ce n’est que le plaisir de l’homme qui compte… C’est l’exemple qui cristallise tous les biais.
Le président du SYNGOF, qui est le syndicat majoritaire des gynécos, Bertrand de Rochambeau, le fameux qui disait que l’IVG était un homicide, disait aussi que le point du mari était hyper rare et que si ça existait, c’était “de l’art” car la chirurgie peut aussi être de l’ordre de l’art… C’était en 2019, pas en 1900…
Que réponds-tu à ceux qui face au sujet du livre répondraient par une réaction de défense du type « il ne faut pas généraliser » : « not all médecins ! » ?
Bizarrement, on n’en a pas eu, on s’attendait à se faire taper dessus. Pourtant, quand j’étais en presse santé et que j’avais fait des sujets VOG (c’est-à-dire violences obstétricales et gynécologiques), certaines professions sont hyper vénères : j’avais énervé les kinés, les gynécos… J’avais été un peu harcelée malgré mon tout petit compte Twitter de l’époque. C’était dur. Mais là, on n’a pas eu de réactions comme ça.
Si on en avait, ce que j’aurais à répondre ce serait que c’est comme « not all men » : évidemment que tous les hommes ne sont pas des violeurs. Mais tous bénéficient d’un système qui permet aux violeurs de s’en sortir : avoir un pote qui est violeur et rien faire, t’inscrire dans un système qui accepte ça et ne rien faire pour que ça change. Ça ne devrait même pas avoir lieu cette réaction.
Il y a une phrase en anglais que j’aime bien qui est « this is not about you », on s’en fout de toi : tu as signé un serment qui est le serment d’Hippocrate qui dit « tu ne dois pas nuire » et là vous nuisez, donc arrête de penser à toi et pense à la femme qui s’est fait mutiler le vagin par ton collègue.
Sur les maladies, ce qui revient c’est une euphémisation et des diagnostics bâclés, je pense par exemple au témoignage d’une femme sur la vestibulite où la dermatologue lui dit que ses douleurs atroces sont liées au fait qu’elle prenne des bains chauds…. Ça entraîne l’obligation pour les malades d’aller chercher elles-mêmes sur Internet, sur les forums qui sont si critiqués, pour s’auto-diagnostiquer, mieux que le font les médecins. Est-ce que tu fais le lien avec le développement de la médecine alternative ? Est-ce que tu vois là aussi des dérives ?
De ouf. Je suis en guerre contre les « fake meds ». Il fut une époque où beaucoup de mon travail portait là-dessus. On va très vite vers les dérives sectaires. C’est un cercle vicieux : beaucoup de médecins n’écoutent pas, surtout si tu es une femme, donc tu cherches à être entendu donc tu vas dans des cercles de parole, ce qui peut s’avérer très bénéfique, ça été le cas pour cette patiente, mais en même temps dans ces groupes de paroles il y a parfois des gens qui devraient plutôt bénéficier d’un suivi psy ou qui proposent des choses absurdes, genre prendre une pierre, l’enduire d’une substance puis se l’insérer… Ce qui est très grave c’est que certaines vont voir des charlatans, qui se font du fric sur la misère des gens.
Tu peux pas te plaindre à la fois que les « fake meds » augmentent, qu’il y ait des antivaxs de partout, qu’il y ait des des charlatans, que le documentaire Hold Up cartonne, et être une ordure avec tes patients, parce que c’est de ta faute.
Votre terrain d’étude, c’est la France. Est-ce que tu as des éléments qui permettent de savoir si c’est partout pareil ? Est-ce qu’il y a des cultures médicales qui seraient moins violentes, moins patriarcales ailleurs ? Vous citez notamment un podcast où le docteur Martin Winckler suggère que l’approche anglo-saxonne de la médecine serait moins arrogante, et aussi le sociologue Mathieu Arbogast qui dit que la médecine occidentale a dévalorisé et mis à l’écart de nombreux savoirs, notamment sur le corps des femmes.
Généralement au Canada, aux États-Unis et au Royaume-Uni, il y a beaucoup d’avance en termes d’études : Dr. Winckler est expatrié au Canada et voit la différence clairement, il l’explique très bien. Typiquement sur la vulvodynie (douleur au niveau de la vulve, ndlr), il n’y a peu ou pas d’études en France, mais en anglais on trouve des choses. Même dans la recherche sur le périnée féminin en général et sur l’endométriose, ils sont carrément en avance.
Pour l’accouchement en France, par exemple, on a cette tradition d’accoucher « pieds dans les étriers » alors qu’on l’explique, ce n’est pas du tout la meilleure position. Il en existe une dizaine : typiquement en Angleterre on va plutôt privilégier le « décubitus latéral », où la femme se met en « position foetus », peut changer de position…
Attention, on ne dit pas que le système de soins aux Etats-Unis et en Angleterre est parfait : là-bas si tu es pauvre, clairement tu meurs. En France on a quand même des avantages, mais au niveau du respect du corps de la femme et du consentement, on est très en retard.
Et puis il y a cette « tradition gauloise » : en 2019 encore, le congrès du CNGOF, le collège des gynécos, ouvrait sur une diapo qui comparait la femme à une jument : « Les femmes c’est comme les juments, celles qui ont de grosses hanches ne sont pas les plus agréables à monter, mais c’est celles qui mettent bas le plus facilement».
Est-ce qu’on a une médecine arrogante qui n’écoute pas, et en raison du sexisme, c’est encore pire pour les femmes ? Ou ce serait plutôt une médecine à l’écoute pour les hommes, qui se comporte de manière très différente avec les femmes ?
C’est une bonne question : je pensais qu’il s’agissait d’une tendance de fond aggravée chez les femmes, mais je réalise que les mecs sont quasi-systématiquement écoutés. Je donne un exemple : une étudiante nous disait que ses deux parents ont chacun eu un cancer en même temps. À l’époque les médecins n’ont pas cru sa mère, et son père tout de suite a été pris en charge. Dans les deux cas, il s’agissait de la même équipe. En plus sa mère était marocaine donc il y avait le « syndrome méditerranéen » (stéréotype raciste du monde médical, consistant à considérer que les personnes racisées exagèrent leurs symptômes et leurs douleurs, ce qui entraîne une défaillance de la prise en charge médicale de ces populations, ndlr).
Quand un homme se plaint de douleurs, on le croit, car les hommes sont censés ne pas se plaindre. On l’explique dans notre livre : il y a une étude qui a montré que face à des patients ayant des douleurs chroniques à l’épaule, des patients hommes et des patients femmes, en général les médecins proposent aux femmes de consulter un psy et des antidouleurs aux hommes.
Globalement le médecin n’aime pas avoir tort, c’est un sachant, c’est possible qu’il maltraite aussi les hommes, on ne dit pas le contraire, mais quand un homme vient pour quelque chose il est beaucoup plus cru. Le corps de la femme est chosifié : ça ne viendrait à l’idée de personne, dès 14 ans, d’envoyer un garçon se faire tâter les couilles tous les ans, il serait traumatisé le petit, et il aurait raison.
Les femmes nous vivons dans un état d’esprit qui est de se laisser faire, y compris dans les relations intimes.
(TW : viol) Moi, j’ai été violée plusieurs fois. Je me suis rendu compte après que c’était des viols, je m’étais dit : « je me laisse faire ». On apprend tellement cet esprit, de “se laisser faire”, à un jeune âge, car dès 14 ans on te met le spéculum sur le mode “bon allez c’est un trou quoi”. Je pense que ça nous désensibilise, ça nous apprend la passivité. Vous les hommes, vous gardez ce petit jardin secret auquel on ne touche pas sauf si c’est très grave. Ca ne m’étonnerait pas que le check-up dès 14 ans puis tous les ans influencent grandement notre sexualité.
Vous mettez dans le livre des encadrés pour aider les femmes qui chercheraient des informations sur les maladies que vous mentionnez. Vous dessinez aussi quelques pistes d’améliorations. Est-ce qu’il y en a certaines que tu aimerais évoquer ?
D’une manière générale, il faut beaucoup plus d’heures de cours dédiées à l’empathie, au consentement, aux violences sexistes et sexuelles et aux stéréotypes de genre.
Il faut aussi plus d’argent pour l’hôpital public et recruter plus de médecins. C’est un luxe de pouvoir changer de médecin aujourd’hui. Si tu es à Paris, si ton premier médecin te maltraite, tu peux aller en chercher un autre. Mais si tu vas dans la Creuse, ou bien à Quimper, une ville petite-moyenne, tu dois attendre six mois pour voir quelqu’un.
Et enfin il faut changer de mentalité : il faut que les médecins soient humbles. Ce que dit très bien Martin Winckler, c’est que quand le médecin ne sait pas, il dit qu’il n’y a rien.
Propos recueillis par Rob Grams
Portrait par Antoine Glorieux