Quand on milite dans une organisation politique ou syndicale de gauche, avec ses codes, ses logiques, ses discours construits, on s’étonne parfois du peu d’impact qu’ont nos mots et nos actions sur les premiers concernés par les idées que l’on défend : la classe laborieuse. Parfois, on s’en agace même. On se sent trahi, méprisé. Certains vont jusqu’à en déduire que les gens sont « des moutons », ou, encore plus prosaïquement, qu’ils sont tellement cons qu’ils ne sont même plus capables de discerner ce qui est bon pour eux. Car nous, on sait, mieux que vous, ce qui est bon pour vous !
Et si c’était nous le problème, et pas les autres ?
L’été dernier, j’occupais un job indigne dans un open-space de taille modeste, entouré de 4 autres membres du précariat : une mère célibataire porteuse d’un lourd handicap ; une collectionneuse de CDD en couple avec un autre collectionneur de CDD ; un « senior » bricolant sa survie entre les indignités de Pôle Emploi, de la CAF et des rares jobs qu’il parvient encore à glaner ; une jeune fille tout juste sortie d’études, cherchant à s’insérer dans le monde de l’emploi.
Précarité économique, flexibilité imposée, petites et grandes humiliations… mes collègues et moi-même connaissions le sort réservé à tant de prolos dans notre pays et partagions ainsi un certain diagnostic de notre réalité sociale résumable à une idée simple : Macron. C’est Macron qui nous a foutus dans cette situation de mendicité sophistiquée de tous les instants. Bien sûr, on savait bien que ça avait commencé avant Macron. Mais celui-ci incarne, mieux que quiconque dans l’histoire récente, toutes les injustices et les indignités qui empoisonnent nos vies et les rendent si difficiles.
Ici, le militant de « gauche radicale » que j’étais déjà de moins en moins (au sens de militer pour une organisation quelconque, un parti, un syndicat), s’arrachait parfois un peu les cheveux. J’essayais de déplacer les termes du discours – dire « capitalisme » à la place de Macron, par exemple – et de lister d’autres sujets de préoccupation, tout aussi majeurs, en premier lieu desquels le climat. Mais toute ma glose semblait les laisser de marbre. Et l’évocation des nombreux points du programme de la France Insoumise, l’Avenir en Commun, visant à atténuer nos galères n’emportait pas beaucoup plus de succès. De l’AEC, mes collègues avaient principalement retenu l’augmentation du SMIC et quelques autres mesures, importantes mais loin de suffire à le résumer.
“On n’a pas le même maillot, mais on a la même passion”
Car mes collègues, pour la plupart, avaient voté Mélenchon.
Chacune, chacun avec ses raisons. Par aversion envers Macron, d’abord. L’une, musulmane, parce qu’elle se sentait défendue par lui. Une autre, instinctivement, parce que c’était un peu « le seul qui parle comme nous ». Et pourtant, malgré les constats et le vote communs qui nous unissaient, je sentais que mon phrasé militant, avec ses visions d’ensemble, sa pensée en système, ses espèces d’injonctions à se retrousser les manches, n’avait aucun impact sur ces personnes. Les législatives en cours les laissaient d’ailleurs largement indifférentes, alors que tant de mes connaissances s’acharnaient à envoyer le plus de députés Nupes à l’Assemblée comme si nos vies en dépendaient. Plus dérangeant, une fois le résultat connu, mes collègues ont semblé faire peu de différence de nature entre le groupe LFI et l’imposant groupe RN sortis des urnes, du moment que l’essentiel avait été obtenu : Macron était affaibli.
Le reste importait peu, et les discours orageux sur la montée du fascisme que je renonçais bien vite à baragouiner n’avaient, je crois, aucun impact sur elles et eux, et ce pour deux raisons principales :
D’abord, parce que l’inflation qui s’accentuait mettait tout le monde à cran, et même les titulaires qui nous commandaient, par définition mieux lotis socialement que nous, bruissaient de leurs difficultés à joindre les deux bouts et de leur ras-le-bol. L’essence, la bouffe, les petits plaisirs de la vie, tout devenait de plus en plus inaccessible, alors la menace d’un fascisme auquel on ne croit pas vraiment… Il faut dire que la dédiabolisation du RN par le système médiatique et la macronie a bien porté ses fruits, mais le malaise est plus profond. Ainsi, la deuxième raison est plus insidieuse : Comment s’inquiéter d’un danger futur, hypothétique, contre la démocratie, quand ceux qui sont « élus pour la défendre » s’acharnent à la démanteler – au présent ?
À ce moment-là, nous sortions à peine de la longue séquence du Covid pour entrer dans celle de la canicule et des incendies. Nous avions vécu une campagne présidentielle confisquée par la guerre en Ukraine, avec un président sortant se dérobant à tout débat. Nous avions tous et toutes en tête les violences extrêmes commises contre les Gilets jaunes. Bref, demain le fascisme, la dictature ? Ou bien étions-nous déjà en train d’y entrer de plain-pied ? La période récente répond sans ambiguïté à cette question.
Pourquoi le langage militant est-il inaudible ?
Je me posais cette question en discutant avec mes collègues : qu’est-ce qui, dans la politique, pouvait à la fois nous réunir au point de faire s’aligner nos votes, et nous éloigner au point de ne presque pas parler le même langage ? Auparavant, j’aurais probablement chaussé les gros sabots du militant qui sait, lui, et qui vous fait la morale et la leçon, sur un mode souvent abstrait, pour dénoncer vos comportements problématiques. Mais ça, c’était avant !
Le problème avec beaucoup de militantes et militants, notamment dans le champ politique traditionnel, c’est qu’on sent toujours, même s’ils peuvent être plus ou moins sincères (selon leur degré de carriérisme), qu’ils ont quelque chose à nous vendre. Leur vision du monde s’est rétrécie dans le cadre et dans la logique interne de leur parti. Et vu l’état de la gauche depuis quelques années, ce cadre se limite finalement à des formes d’intervention plus symboliques qu’autre chose (tracter, coller des affiches, organiser des réunions publiques avec telle tête de gondole), certes pas inutiles, mais quasiment toujours adossées au calendrier électoral et à la vie parlementaire. Cet univers politicien ne correspond pas au rythme des existences de la plupart des gens ni à leurs aspirations.
Avez-vous déjà entendu un pote vous parler de l’élection cantonale du plus paumé des trous du cul du monde en vous donnant l’impression qu’elle portait des enjeux absolument colossaux et que votre participation à cette dernière était somme toute parfaitement décisive, voire même vitale ? C’est que dans ce monde-là, ça compte, ces choses-là, – tout compte. La vie politique est un jeu aux multiples manches, et lorsqu’on nous appelle au vote, nous le clampin lambda, on ne réalise pas toujours que c’est en fait déjà la partie suivante de la bataille qui se joue ici.
Quel rapport entre ces luttes, complexes – il ne s’agirait pas ici de tout résumer au carriérisme, même si le carriérisme en est probablement le premier carburant –, et nos vies, nos batailles quotidiennes, nos aspirations froissées, nos humiliations rentrées ? Comment se reconnaître dans cet univers clos, avec ses lois et ses codes, qui nous offre sans cesse des exemples de retournements de veste, de changements spectaculaires et subits de doctrine, d’ébouriffants zigzags – au gré des alliances, des ruptures, des trahisons, des purges, des modes médiatiques, des sondages…
L’entre-soi militant : une plaie
D’ailleurs, la situation n’est pas bien plus rose dans les organisations révolutionnaires. Entre les luttes intestines imbitables entre deux courants jumeaux et ennemis… les militants élitistes qui t’imposeraient presque de réciter ton Lénine pour présenter patte blanche… ceux qui te tombent dessus parce que tu es, ou as été, réformiste… Ma rencontre avec l’extrême-gauche et le milieu libertaire, dont je me sens proche maintenant, s’est faite difficilement, avec la tenace impression de me sentir surplombé et parfois même jugé au cours de nos échanges parce que j’avais eu le malheur de voter Mélenchon – ou de voter tout court.
Il faut dire que derrière des objectifs affichés, d’un côté – de “massification”, de “parler au plus grand nombre” voire “d’éducation populaire” ; et, de l’autre, de former une avant-garde ou de s’autonomiser ici et maintenant de l’État et du Capital, les organisations politiques de gauche cultivent l’entre-soi. Consciemment ou non. En atteste leur complaisance pour un langage spécifique, des codes culturels, une certaine esthétique (le drapeau, la couleur rouge, les blagues sur Trotski ou sur “Jean-Luc”). C’est que, pour certaines et certains, leur militantisme, gravé dans la logique d’une organisation ou d’une tradition en particulier, est devenu une composante figée de leur personne. “Je suis de gauche, car j’ai un aïeul ouvrier”, dira une membre du PS tendance vallsiste pour justifier ses trahisons. “Je suis communiste, car mes grands-parents étaient résistants”, clamera un membre des JC pour faire taire toute critique sur la ligne de son parti. Au-delà de ses idées, c’est son identité même qu’on défend. On comprend aisément que ça puisse rendre un peu rigide.
C’est pour ça que, pour la majorité de la population, les réunions politiques peuvent être très intimidantes et excluantes. Il n’y a, en réalité, quasiment aucun effort de fait pour intégrer les gens qui n’ont pas les codes et ne se situent pas dans le champ “culturel” de la gauche radicale. Les réunions de 4 h ou plus, qui sont parfois la norme dans les groupes militants, excluent de fait celles et ceux qui ont une charge familiale, des horaires changeants au travail, ou tout simplement qui n’aiment pas l’ennui. J’imagine la tête de mes collègues, si je leur avais proposé, après une de nos semaines de plus de 40 heures à répéter une seule tâche abrutissante en boucle : “Et si on allait s’enfermer dans l’arrière-salle d’un bar durant des heures avec une quinzaine de retraités qui s’engueulent sur la répartition de circonscriptions dont on n’a jamais entendu parler en se coupant la parole (surtout des mecs) ou en la monopolisant (encore des mecs), tout en lançant des débats amers sur le désinvestissement des élections par les classes populaires, au nom desquelles on se bat pourtant…?”
Pour passer ses soirées en réunion, il faut être retraité, étudiant ou pouvoir vivre sans emploi, ou bien c’est un engagement corps et âme de tous les instants qui devient l’activité centrale d’une vie, ce qui est le cas pour de nombreux militants et militantes, notamment syndicalistes – pour le meilleur et le pire, car parfois on se sent en droit d’en espérer un juste retour en places ou en faveurs. Tout cela biaise beaucoup la représentativité de celles et ceux qui s’investissent en notre nom – même si j’ai côtoyé et appartenu au nombre de ceux qui vivent du RSA (“Revenu de Solidarité Activiste”) et peuvent parfois employer librement leur temps à défendre leurs convictions. Mais déjà, il s’agissait de réunions sur des objectifs concrets (notamment durant le mouvement des Gilets jaunes, ou avec des activistes écolos), et, pour beaucoup, ce ne fut qu’un temps de nos vies bientôt de nouveau happées par la survie.
Toujours est-il que ces espaces peuvent facilement faire figure de repoussoir, d’autant que s’y jouent aussi toutes sortes d’enjeux de pouvoir, au-delà de la question des postes à se répartir : au sein de l’organisation elle-même, le/la moindre secrétaire de section, ou le/la “porte-parole”, peut jouer de sa minuscule autorité sur les autres qu’il ou elle ne lâcherait pour rien au monde. Dans un groupe plus libertaire ou gauchiste, les liens affinitaires qui s’y nouent peuvent donner lieu à de redoutables conflits d’influence, au gré des ententes et des inimitiés, souvent à la fois politiques et personnelles.
Splendeurs et misères de l’action politique
Il ne s’agit pas de cracher sur ces milliers de personnes, engagées dans des organisations de gauche, qui se démènent corps et âme avec force et passion pour réparer le monde. Je les respecte, je les connais de près, nombre sont mes amis. Simplement, nous sommes de plus en plus nombreux à faire le constat que l’univers politique et syndical devient de plus en plus infécond et reste étanche aux revendications, aux modes d’action et aux stratégies populaires (blocages, occupations, envahissements de lieux symboliques du capitalisme, destruction des biens dans les quartiers bourgeois, éradication forcée de la publicité dans certains centres-villes…) qui (re)jaillissent avec toujours plus de vigueur et d’inventivité ces dernières années, à mesure que le vote s’amenuise et que les travailleurs et travailleuses se détournent des grandes centrales. Les syndicats et les partis politiques sont les institutions dans lesquelles les Français ont le moins confiance : 36 % ont confiance dans les syndicats et 16 % dans les partis politiques, et ces chiffres sont en chute libre, selon le CEVIPOF.
Moi, j’ai milité dans des organisations. Je suis un enfant de la gauche classique qui s’est progressivement radicalisé, a fricoté avec le marxisme et l’anarchisme, fréquenté le milieu autonome, participé à des actions tombant sous le champ de l’éco-terrorisme (comme décrocher un portrait de sa Seigneurie Macron dans une mairie) ; en somme, j’ai glissé dans cette nébuleuse informe que les services de renseignement affublent toujours d’un « ultra » : ultragauche, ultrajaunes, ultrasyndicats. Au fil de mes rencontres, de mes actions et de mes lectures, j’ai perdu ce sentiment de certitude que j’avais lorsque je militais pour une orga (la raison est de notre côté, notre programme est le meilleur), pour acquérir une forme de souplesse paradoxalement plus radicale. En étant désormais fidèle à des principes et des idées éprouvés au fil de mes frictions avec le réel et avec l’autre, plutôt qu’à un programme ou un mouvement.
Un des grands problèmes des partis, c’est que chacun doit jouer sa partition pour exister et grappiller des parts du “marché électoral”. Même dans une alliance comme la Nupes, qui prétend pourtant rassembler ses composantes autour d’un même programme. Chaque tentative de distinction, plus ou moins subtile ou bourrine, selon si elle proviendra d’un Ruffin ou d’un Roussel, est scrutée avec circonspection et suspicion par ceux à qui ces messages sont adressés, car on cherche à déterminer s’il s’agit de sincères désaccords exprimés ou de tentatives de placer des marqueurs dans le débat, comme disent les publicitaires, afin d’en récolter les fruits plus tard.
Quant aux grands syndicats, ils semblent enfermés dans un passé figé, une radicalité désamorcée et des modes d’action ritualisés – même s’il faut saluer la combativité des bases et de certains secteurs du mouvement, comme la CGT-énergie ou les éboueurs de Paris, pour ne citer que ces deux exemples. Alors que le mouvement contre les retraites tient depuis trois mois, malgré la fatigue, l’inflation, les violences policières et judiciaires sans limite, que le soutien de la population est massif et l’unité intersyndicale totale, le gouvernement ne semble marquer aucun temps d’arrêt. Rien ne le ralentit, et surtout pas nos manifs et nos grèves. L’impuissance joyeuse ! (À en juger par les playlists des sono de FO ou de la CGT.) Le moment se jouerait-il ailleurs ? On a pu, par exemple, entendre Laurent Berger, avant qu’il annonce son départ prochain, ou Martinez lorsqu’il était encore en poste, se vanter des pics d’adhésion à leurs centrales respectives depuis le début du mouvement. Serions-nous les acteurs d’une vaste campagne de recrutement ? Pendant ce temps-là, Macron jubile, matraque, éborgne, et la bourgeoisie encaisse les dividendes. L’histoire populaire jugera sévèrement les têtes d’affiche qui auront conduit le plus puissant mouvement social de l’histoire récente de France dans les choux, s’il ne se ressaisit pas. Mais le peut-il ? Le veut-il ?
Cette critique du militantisme « à l’ancienne » est légitime et nécessaire. Pas par vengeance, amertume, ou pour régler des comptes. Simplement parce qu’on a les crocs. On en a marre de perdre. Malheureusement, la critique devient difficilement audible pour des militants et des militantes qui sont de plus en plus privés d’espaces réels de discussion et de délibération. Un insoumis n’est jamais amené à s’exprimer sur la forme que prendra son organisation, sur la stratégie et les tactiques qu’elle doit adopter, sur le fond du programme. Au PCF, le culte voué au Parti, fossilisé dans un passé idéalisé, se transforme en culte du chef – comme le démontrent les votes du dernier congrès, validant la ligne Roussel à plus de 80 % sans parvenir à faire entrevoir un début de chemin vers une redéfinition de l’idéal communiste au 21e siècle (ce qui devrait pourtant être la mission d’un parti portant ce nom !). Chez le PS ou EELV, l’absence de travail de fond sur un grand nombre de sujets – comme en témoignait l’indigence de leurs candidats à la dernière présidentielle – se double d’une habitude à se réfugier derrière des slogans creux et derrière des mythes, comme l’Union européenne, pour se dispenser d’avoir à se frotter à la complexité du monde et échapper à leurs contradictions.
Que faire de toute cette radicalité ?
Moi, peut-être que je continuerai à voter de temps en temps (je me laisse le droit de ne pas en faire un marqueur de mon identité), mais je veux utiliser ma force militante autrement. C’est quoi, d’ailleurs, militer, au fond ? D’après le dictionnaire, militer c’est combattre, c’est lutter pour convaincre du bien-fondé d’une vision du monde. Le cadre figé de la politique et de l’action syndicale, avec ses cercles de décisions concentriques et opaques et détachés de nos vies, ne permet plus de répondre à ce besoin, que nous sommes de plus en plus nombreux à exprimer, d’action directe, concrète, et décisive.
Faire les poubelles des grandes surfaces et redistribuer ses trouvailles. Occuper et retaper des bâtiments abandonnés pour mettre à l’abri des personnes. Organiser une vie culturelle et festive hors du champ capitaliste. Aider les migrants à passer les frontières. Contre un militantisme des grandes perspectives, nous sommes nombreuses et nombreux à vouloir fonder notre action sur le quotidien, l’entraide, le présent – sans pour autant tourner le dos à la perspective révolutionnaire, et donc à la nécessité de pouvoir se déployer à des échelles plus vastes que le local : régionales, nationales, internationales… Pourrait-on imaginer prendre le meilleur des partis et des syndicats – capables de structurer des forces à une grande échelle – tout en y évacuant l’écume politicienne, afin de bâtir une force à même de conquérir sans cesse de nouveaux espaces de liberté, de se fédérer et de grandir ?
S’imposer des pratiques démocratiques, dépouillées du virilisme et de l’hétérocentrisme, de l’autoritarisme et de tout esprit “clanique” – ce qui nous éviterait des débandades comme la navrante “affaire Quatennens” et sa gestion désastreuse par la garde rapprochée de Mélenchon. Sortir de la logique électorale. Organiser l’auto-défense des travailleurs, des locataires, des exilés, sans distinction – c’est-à-dire devenir un syndicat de tous les aspects de nos vies, sans division autre que la principale : nous, classe laborieuse, sommes en guerre contre la bourgeoisie et son monde. Il ne s’agirait alors peut-être plus de chercher à faire tomber le capitalisme comme d’un seul bloc, mais de lui infliger le plus de blessures possibles, comme des vers qui se fédéreraient pour ronger la même pomme.
Localement, avec mes camarades Gilets jaunes, nous avons par exemple tenu un squat durant quelques mois, où se pratiquait de l’hébergement solidaire, une épicerie et une laverie gratuites, et où les fonds récoltés au cours de nos épiques soirées servaient à alimenter les caisses de grève et d’anti-répression. Parce que le militantisme peut aussi être festif, et pas toujours l’apanage des « gens sérieux ». L’ouverture de ce lieu partait d’une nécessité simple : avoir un endroit où se réunir. C’est devenu un espace de vie, de débats, de controverses, d’espoirs, d’amitiés. De politique, en somme. Mais les Gilets jaunes avaient aussi trouvé une dimension nationale en organisant les « Assemblées des Assemblées », véritables expériences démocratiques (et logistiques) autogérées qui fédéraient les ronds-points et les AG locales pour essayer de structurer et de coordonner notre action. Si le résultat n’a pas été au rendez-vous, pour de multiples raisons spécifiques à ce mouvement, cette construction préfigurait l’organisation que j’appelle de mes vœux.
L’idée n’étant pas, in fine, de se trouver un petit nid douillet ses potes et pour soi ou pour sa communauté et d’oublier le monde, mais bien de développer les bases d’une puissance populaire, offensive, capable de déjouer la surveillance d’État, d’aider les victimes de la répression, de résister à des expulsions ou d’y pallier, d’empêcher des travaux inutiles et de réaliser des actions coup de poing lorsque c’est nécessaire. En somme, de faire couver les braises d’un grand feu à venir dans un quotidien fait de radicalité, de fête et de dignité.
Lewis Chambard
Appel à témoignage :
Et vous ? Est-ce que vous militez ? Où, comment ?
Si oui, y a-t-il des choses que vous aimeriez changer dans vos pratiques et celles de vos camarades ? Si non, qu’est-ce qui vous repousse, vous inquiète, vous fait envie ?
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