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Génération, n.f : terme médiatique visant à faire croire que le principal différend de notre époque se situerait entre les personnes nées durant les Trente Glorieuses et les autres. Mot qui laisse croire que nous construisons nos appartenances sociales selon que nous soyons nés avant ou après l’an 2000, que nous ayons regardé Hélène et les garçons ou non, que nous disions encore « Antenne 2 » pour France 2, plutôt que par notre niveau de revenu ou notre statut professionnel. 

« Je pense qu’on est une génération qui est davantage prête à bouger, innover, sortir des cadres préétablis du travail. » ; « La génération des baby boomers est égoïste, bénéficie d’une retraite dorée et possède quatre villas au Portugal pendant que nous on trime. » ; « Les jeunes pensent que tout leur est dû, ils refusent de trimer ces petits cons alors que nous on ne bronchait pas. »

Avec cette symbiose quasi-spontanée entre journalisme et désirs gouvernementaux, l’analyse en termes de conflit de générations revient dans la presse dès qu’une réforme des retraites pointe le bout de son nez. Une bonne façon d’aborder la question de la retraite de « nos vieux » sans se laisser polluer par trop de sentimentalisme.

Le point commun entre le concepteur de la réforme des retraites de Macron et ma grand-mère ? Aucun, alors qu’ils sont de la même génération.

Les “baby boomers” sont-ils responsables de tous nos maux ou bien s’agit-il plutôt des puissants de toute génération ?

Selon le journal de référence de la bourgeoisie Le Monde, « OK, boomer » serait en ce moment « le cri de ralliement d’une génération ». L’expression devenue tellement à la mode – où ça, on ne sait pas, mais des marques de sweat-shirts chers l’aurait déjà repris, c’est dire – tire son origine de la bouche d’une jeune députée néo-zélandaise qui, après avoir tenu un discours écologiste hué par un vieux député, l’aurait audacieusement rabroué : « Ok, boomer », lui aurait-elle répondu, en référence à son appartenance à la génération du « baby boom », ce pic de naissance enregistré à partir des années 1960 dans les Etats capitalistes. Une façon politiquement correcte, finalement, de dire “Ta gueule vieux con”.

Cette tendance à faire des personnes nées avant 1970 les responsables de tous nos malheurs élimine totalement la question des hiérarchies sociales en leur sein : on se demande bien ce qu’il peut y avoir de commun entre un baby boomer, – désormais retraité – ouvrier, et un baby boomer cadre. Quand l’un gagne en moyenne 1 426 euros de retraite, le second en gagne 2 890. Autant dire que pour au moins la moitié des « boomers », la retraite, ce n’est pas la villa au Portugal. Et que dire des femmes de cette génération, qui parce qu’on les a tenues loin du travail ou qu’elles étaient “conjointes collaboratrices”, “bénéficient” de retraites de misère. Les retraitées gilets jaunes qui ont envahi nos ronds-points n’avaient pas grand-chose à voir avec Bernard Arnault ou votre médecin de famille. Elles et ils sont pourtant de la même génération. 

La vraie question devrait être « est-ce que c’est l’enfer de travailler dans une entreprise privée ? »

“Milliennals”, un concept foireux pour mieux précariser

Pour parler de la jeune génération, on utilisera plutôt des gros poncifs de type « avant on faisait sa carrière toute sa vie dans une usine au toit penché, maintenant on va de boulot en boulot en télétravail pour une start up ».

C’est au nom de ce genre de considération générationnelle que des chefs se permettent de dire à leurs jeunes salariés enchaînant les CDD : « tu sais, je ne vais pas t’embaucher en CDI car je veux que tu ailles faire tes expériences ailleurs ». Une façon “générationnelle” de réduire les coûts, en mobilisant l’image rassurante du jeune youtuber créateur d’entreprise alors que “3 Français sur 4 âgés entre 15 et 30 ans disent vouloir être fonctionnaires selon un sondage Ipsos. C’est principalement « la garantie de l’emploi » qui les attire” nous disait BFM TV il y a quelques années. 

Ça alors, les jeunes veulent la stabilité de l’emploi et le service public alors que ce serait la génération des fameux « millennials » (un concept bidon est toujours en anglais), qui seraient pourtant, à en lire la presse, des génies créateurs écologiques, rebelles et « en quête d’autonomie au travail » !

Comme si la quête d’autonomie au travail était quelque chose de nouveau et pas un trait naturel de tout humain normalement constitué, à qui un chef plus ou moins compétent dicte des ordres secs pour pouvoir obtenir la bonne productivité horaire de sa part et assurer ainsi ses patrons d’une masse salariale rentable – au fait, le profit, générationnel ou pas ? 

Éventuellement, ce qui a changé c’est que « jadis », l’autonomie était une revendication collective portée par le mouvement ouvrier pour la socialisation de l’économie et l’autogestion dans les entreprises et que maintenant c’est un triste rêve individuel fait de « mon manager m’a laissé prendre une décision, youpi !! » ou de « je livre des plats thaï pour Deliveroo qui fixe mes tarifs, mes horaires, mes clients, ma vitesse, mais c’est MON vélo ». On doit d’ailleurs cette évolution navrante aux décideurs économiques et politiques, toutes générations confondues !

Un conflit de générations qui se chiffre en millions

Le conflit générationnel, un problème de riche ?

Les généralités « générationnelles » se heurtent toujours au fait simple et de plus en prégnant dans notre société qu’il y a deux jeunesses, deux vieillesses, et que notre pays se divise entre deux groupes – l’un majoritaire et qui voit sa situation se dégrader, l’autre minoritaire et qui se porte de mieux en mieux.

Or, le second groupe est non seulement celui qui tient les médias mais aussi celui qui y travaille, et dont les membres y apparaissent le plus. Dans ses journaux, ses magazines et ses romans, le groupe dominant décrit un monde à son image, c’est-à-dire où, oui, le seul conflit qui existe vraiment est générationnel. Il n’y a que les classes aisées qui ont des problèmes d’héritages, et pour lesquelles la transmission des richesses d’une génération à une autre est un enjeu fondamental. Reprendre l’entreprise de papa, réclamer du fric à bonne maman, autant de choses qui n’existent qu’à partir d’un certain niveau de revenu, où l’éducation stricte de la jeunesse et la transmission du capital est une affaire de principe. A contrario, sur les ronds points de gilets jaunes il n’y avait pas de générations, seulement des envies de révolution.