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Mobilité, n.f. Propriété, caractère de ce qui est susceptible de mouvement, de ce qui peut se mouvoir ou être mû, changer de place, de fonction. Elément de langage qu’on retrouve de façon systématique dans le programme de tout homme politique qui se respecte, et repris abondamment dans la presse. Les adeptes de “green-washing” évoqueront plutôt les “mobilités douces”, la “mobilité durable”, voire, le must-have des temps modernes, les “mobilités partagées”. 

“A l’heure de l’urgence climatique et des alertes pollution répétées, il faut accélérer la transition vers une mobilité durable” (Programme d’Emmanuel Macron en 2017) ; “Les mobilités partagées sont un des fers de lance de cette évolution qui vise à préserver la santé des Parisiens et à rééquilibrer le partage de l’espace public” (Site de Paris en commun, mouvement d’Anne Hidalgo pour se faire réélire à Paris en mars) ; “Fluidifier la mobilité pour plus d’écologie” (Programme de Rachida Dati pour l’élection municipale à Paris)

Vous êtes plutôt “immobilité” que “mobilité” ? Vous préférez une journée canapé à un tandem vélo/footing avec votre voisin ? Pas de chance, car nous sommes dans une société capitaliste, et dans une société capitaliste, il faut bouger, beaucoup, tout le temps, et de plus en plus, car sinon la croissance économique s’arrêtera, et alors comment qu’on fera pour vivre ? 

Chez le trotinetteur Lime, on ne parle déjà plus de mobilité mais de « micromobilité »

Suivez le flux, devenez une marchandise comme une autre

Le terme de “mobilité”, et plus encore celui de “mobilité douce” (“grotesque novlangue verdâtro-libérale”, d’après le philosophe Eric Sadin) évoque des images romantiques de cyclistes roulant tranquillement sous le soleil sur de belles pistes urbaines réservées à leur usage, des automobilistes gentils pratiquant le covoiturage et des piétons qui sifflotent le nez au vent. En vérité, nous explique encore Eric Sadin (et on ne le dira pas mieux que lui), “Ce terme de « mobilités » me paraît à questionner. Il s’accompagne de l’idée d’une interconnexion idéale de toute chose qui s’opérerait par un ajustement automatisé entre chaque entité distincte (…) La ville n’est ici pensée qu’en termes de flux à optimiser, comme si les corps étaient des capitaux qui devaient circuler de manière ininterrompue. Il s’agit là d’une véritable injonction à l’efficacité qui nous est faite”. Vous l’avez compris : il est temps d’abandonner vos soirées canapé. 

Le chercheur Vincent Kaufmann écrit même que la mobilité est à envisager aujourd’hui comme un capital, dont la distribution est inégalitaire : quand on vit dans le centre d’une grande ville, c’est généralement qu’on a les moyens de le faire, mais qu’on dispose aussi d’une infinité de moyens de transports pour se rendre d’un point A à un point B, y compris en avion à l’autre bout du monde. Contrairement à celui qui vit en pleine campagne et qui ne dispose que de sa voiture individuelle pour se déplacer : un moyen qui devient vite un sujet d’angoisse quand les politiques lui font porter le poids de la transition écologique en augmentant le prix de l’essence. 

La mobilité ça se verdit

Quand les bourgeois vendent de la “mobilité”, ils vendent donc d’abord davantage de raisons d’aller dépenser du fric dans leurs boutiques (“en trottinette électrique Lime, les Galeries Lafayette ne sont qu’à quinze minutes d’après Google Maps !”), mais vous considèrent aussi, implicitement, comme une marchandise : suivez le flux, réduisez le temps (le coût) de vos déplacements quotidiens, et passez-en davantage à alimenter le capital.

Le must-have du moment, évidemment : la trottinette électrique en libre-service. En plus d’envahir les trottoirs, de gêner les piétons, de générer un nombre incommensurable d’incivilités (et même parfois des morts), elle permet aux petits cadres en costume-cravate de fendre l’air, tout droit direction le profit, sans s’embarrasser des règles de l’espace public. L’argent n’attend pas.