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À bientôt un an de la prochaine présidentielle, comme à chaque fois, les médias aiment mettre en avant des personnages politiques et s’interroger sur leur capacité à potentiellement gagner les futures élections. Arnaud Montebourg a bénéficié ainsi ces derniers mois d’une forte présence médiatique, à l’occasion de la sortie de son ouvrage L’Engagement. Il s’y met en scène sur des sujets emblématiques tels Alstom et Arcelor Mittal, luttant contre l’inertie hollandienne et la domination des idées libérales au sein du gouvernement. Mais il montre également, en creux, à quel point, même s’il avait pu mettre en œuvre ses idées, ces dernières n’auraient pas amélioré le sort des salariés français. Entre les idées politiques de Montebourg et de Hollande (ou de Valls par exemple, qu’il a aidé à devenir premier ministre), il n’y a pas une différence de nature, mais de degré. Sur le rapport au monde du travail en particulier, leur vision est similaire.

En effet, à la lecture de L’Engagement, on remarque que, pour Arnaud Montebourg, il est normal qu’il y ait des plans de licenciements en France. « On peut organiser non pas le sauvetage de tous les emplois, mais on peut sauver beaucoup d’outils de travail en les restructurant, en leur permettant de retrouver une rentabilité ultérieure pour que, lorsque ça repartira, on puisse réembaucher », écrit-il notamment dans son ouvrage. Pour lui, les licenciements économiques s’expliquent par les difficultés des entreprises ou par la prédation qu’exercent des groupes étrangers sur le tissu industriel français. Il faut donc rendre les entreprises françaises plus compétitives et potentiellement leur apporter des financements publics pour les sauver, ou empêcher des groupes étrangers de s’en emparer. 

Arnaud Montebourg fait ainsi semblant d’ignorer que, ces dernières années, la grande majorité des licenciements économiques en France n’ont pas été réalisés dans des entreprises en difficulté, mais dans des entreprises profitables, dont les actionnaires exigent une hausse de la rentabilité. Arnaud Montebourg donne le chiffre de 32 074 emplois qu’il n’aurait pas réussi à sauver avec ses « commissaires au redressement productif ».  Pendant les deux ans où il a été ministre, 381 345 personnes ont pourtant été licenciés économiques soit plus de dix fois plus que le chiffre donné par Montebourg, qui est dérisoire, car il ne prend en compte que les entreprises menacées de fermeture et pas les centaines de milliers de licenciements réalisés dans les entreprises profitables. Si son action au gouvernement n’a pas permis de baisser le chômage, ce n‘est pas principalement car l’Etat n’aurait pas sauvé suffisamment d’entreprises à cause de la faiblesse de Hollande, comme il l’indique dans le livre, mais bien car le gouvernement ne s’est jamais attaqué au problème fondamental de l’exploitation du travail et des nombreux licenciements injustifiés que les actionnaires imposent dans des groupes très profitables.

Montebourg, adepte de la libéralisation du code du travail et des cadeaux fiscaux aux entreprises

Arnaud Montebourg part du principe qu’en règle générale, une entreprise qui licencie le fait parce qu’elle a de réelles raisons économiques de le faire. Cet aveuglement l’a amené d’ailleurs, en tant que ministre, à favoriser les licenciements, ce qu’il n’évoque bien sûr pas dans son livre. Pendant qu’il était ministre, le gouvernement a mis en place la loi du 14 juin 2013, dite de « Sécurisation de l’emploi », qui a grandement facilité les licenciements économiques et a été, à l’époque, saluée par le Medef comme l’avènement de « la flexisécurité à la française ». En effet, désormais, les représentants des salariés n’ont plus la possibilité de bloquer la mise en œuvre d’un plan social si celui-ci n’est pas justifié économiquement. Et le contenu du plan social peut être, depuis cette loi, inférieur au Code du travail, si les syndicats ont accepté de le signer. Cette loi comprend également un grand nombre de mesures régressives, tels que les accords de maintien dans l’emploi, permettant à l’employeur de baisser les salaires et d’augmenter le temps de travail en contrepartie d’hypothétiques garanties de maintien de l’emploi.

Non seulement Arnaud Montebourg a soutenu la facilitation des licenciements, mais il a aussi défendu la politique de l’offre du gouvernement, en particulier le CICE, en considérant que le “coût du travail” était trop élevé en France. Plus globalement, la politique de réduction des “charges” sociales est issue de préconisations directes d’Arnaud Montebourg, dès 2012. Dans son imaginaire, le pacte de responsabilité pouvait créer « 1,8 million d’emplois ». On a vu le résultat. 

Montebourg veut « redonner le moral aux patrons »

Arnaud Montebourg ne considère pas que l’exploitation du travail est intrinsèque au capitalisme. Il est dans la ligne de François Hollande, en considérant qu’il y a un intérêt commun entre les employeurs et les salariés.  Il évoque d’ailleurs le lien « nécessaire et implicite qu’il faut établir, entretenir et fortifier entre les différentes classes d’une société ». Les syndicats doivent « accepter des pertes d’emplois pour rétablir la santé de l’entreprise et lui permettre de redémarrer », écrit-il également. Les exemples qu’il donne de ses « victoires » vont tous dans ce sens, par exemple dans cette entreprise fabriquant des cloisons où « il fallut convaincre les salariés d’accepter des modérations salariales »

Cette union des classes sociales pour « sauver » le tissu industriel français est le fil conducteur de l’idéologie d’Arnaud Montebourg. « Défendre des solutions jusqu’au bout redonnait le moral à tous, aux salariés comme aux patrons blessés par la violence économique », s’enflamme t-il. On sent bien à la lecture de son livre que, pour lui, l’une de ses plus grandes réussites est d’avoir incarné ce qu’il appelle « l’esprit de la marinière », qui réunirait l’ensemble des classes sociales : « La force unificatrice du Made in France s’exerçait déjà comme un aimant magnétique et affectif sur des gens dissemblables, des idées différentes et des forces qui, habituellement, se combattaient. Il rassemblait tout à la fois l’ouvrier syndicaliste de la CGT défenseur de l’outil de travail et le petit patron sous-traitant étrillé par ses donneurs d’ordre, l’écologiste militant qui défend et pratique le circuit court et le patriote exaspéré par la France qui tombe », écrit-il.

Il n’est ainsi pas surprenant qu’Arnaud Montebourg tende la main à certaines personnalités de droite. Ce n’est pas un dévoiement électoraliste de ses convictions, mais bien l’aboutissement d’une vision du monde, dans lequel employeur et salariés partagent le même intérêt collectif. Ses liens avec la droite ne sont d’ailleurs pas récents. Il  avait par exemple lancé les assises du produire en France en 2015 en compagnie d’Yves Jégo, député centriste de l’UDI. 

En soi, sa revendication phare de démondialiser l’économie ne suffit pas à en faire un programme politique favorable aux salariés et aux classes laborieuses. S’il est indispensable de retrouver des marges de manœuvres nationales pour contribuer à s’extraire de la domination de la finance et des firmes internationales, cela n’est pas suffisant. Notre bourgeoisie française ne vaut pas mieux que la bourgeoisie internationale. S’affronter à la mondialisation sans s’affronter à  notre propre bourgeoisie ne changera rien à l’exploitation subie par les salariés.  

Ainsi, la mise en œuvre de la politique d’Arnaud Montebourg n’améliorerait en rien les conditions de travail des salariés français, ni leur niveau de rémunération. Rappelons d’ailleurs que, lorsqu’il était ministre de l’Économie, le SMIC n’a pas augmenté. Et à ceux qui voudraient objecter qu’il ne décidait pas de tout dans les gouvernements Ayrault et Valls, ce qui est certes vrai, la lecture de son programme aux primaires de 2017 est éclairante. Il n’y prévoyait toujours pas de hausse du SMIC, mais une baisse de la CSG sur le SMIC, ce qui ne ferait pas contribuer les entreprises à cette hausse du pouvoir d’achat des bas salaires et fragiliserait encore plus le financement de la protection sociale. Par ailleurs, il proposait que le Code du travail soit différent selon les branches professionnelles et qu’il soit moins protecteur pour les salariés dans les PME.

Montebourg aime tellement les patrons qu’il en est devenu un lui-même  

Après son expérience ministérielle, Arnaud Montebourg est devenu entrepreneur.  Il participe ainsi à cette grande mode macroniste de la fierté d’entreprendre, qui contamine les rangs de la gauche. La première étape pour lui a été d’intégrer une école de commerce, pour laquelle il a d’ailleurs eu le culot de demander une bourse d’étude. Son objectif : prendre des cours de “management avancé”, parce que “diriger une boîte est un vrai métier, je m’en suis rendu compte ces deux dernières années“, expliquait-il à l’époque. Il a ensuite siégé au conseil de surveillance de la chaîne d’ameublement Habitat, sans qu’on en voit bien l’intérêt ni pour l’entreprise, ni pour ses salariés,  puis est entré au capital de New Wind, une start-up spécialisée dans les éoliennes, qui a été rapidement mise en liquidation judiciaire. L’une de ses grandes fiertés est sa marque Bleu Blanc Ruche, qui se veut être un fleuron du “made in france”, mais utilise des noisettes italiennes traitées aux néonicotinoïdes, l’insecticide tueur d’abeilles interdit en France. 

Désormais revenu à la politique, Montebourg a le mérite de la cohérence. Il propose un projet favorable aux entreprises françaises. Contrairement à ce qu’il prétend, il ne peut pas être le candidat des salariés et des classes populaires, car son programme ne permettra pas de diminuer l’exploitation qu’ils subissent. Tous ceux qui ne souhaitent pas un compromis avec le capital, tous ceux qui ne pensent pas que les bourgeois français, les patrons français, valent mieux que leurs homologues étrangers, tous ceux qui souhaitent voir appliquer un programme de rupture réelle avec le capitalisme et un bouleversement des modes de production, devraient détourner sagement le regard de sa candidature.


Guillaume Etiévant