Il y a 7 ans, mon oncle P. décédait à l’âge de 54 ans. Un arrêt cardiaque a mis fin à ses jours un matin de décembre, sur la longue route qui le menait à son travail. Il était conducteur de tramway dans une grande métropole et son décès rendit orphelin 7 enfants. A priori, « c’est la faute à pas de chance ». Mais si on analyse les choses un peu plus finement, on se rend compte que les accidents de ce type ne sont pas uniformément répartis dans la société : celles et ceux qui travaillent de nuit, ou en horaire décalé, ou en étant confronté à un stress permanent, en sont davantage victimes. Mon oncle faisait tout ça. Il se plaignait régulièrement de son travail, de la peur permanente de l’accident (le piéton qui traverse avec ses écouteurs, la voiture qui passe au feu rouge etc.), des horaires qui l’empêchaient de profiter pleinement de la vie. Le marché immobilier dérégulé l’empêchait de vivre près de son lieu de travail. Encore maintenant, ma tante fait 45 minutes de voiture pour se rendre au boulot. Là encore, « c’est un choix de vie » ? Non : nous n’avons pas toujours vécu dans une société où celles et ceux qui font tourner la ville, ses transports, ses commerces, ses services publics – sont contraints de vivre très loin de celle-ci car les prix de l’immobilier en font un domaine réservé des classes supérieures.
Le nombre d’accidents de travail est en constante augmentation. On est passé de 476 accidents mortels en 2005 à 790 en 2019. La faute à pas de chance ? Sur la même période, de nombreuses décisions politiques ont été prises, en particulier par les gouvernements socialistes puis macroniste, pour réduire le pouvoir des syndicats et des représentants du personnel dans les entreprises. La suppression des CHSCT en 2017 n’est que la partie émergée de l’iceberg, même si mettre fin à l’existence de cette instance dédiée à la prévention santé et sécurité a eu des effets concrets : il y a beaucoup moins de personnes chargées de ces questions au sein des entreprises. Mais d’une façon générale, le pouvoir des employeurs a augmenté et les contre-pouvoirs des salariés ont diminué. Par conséquent, la peur augmente : la peur de contrarier son chef, la peur d’être licencié… c’est cette peur qui pousse les salariés à en faire toujours plus au détriment de leur sécurité. Et c’est encore plus vrai des « auto-entrepreneurs », livreurs Uber Eats, Deliveroo, conducteurs Uber etc., dont les accidents ne sont même pas pris en compte dans les statistiques d’accidents du travail. Eux doivent honorer leurs commandes à tout prix et dans n’importe quel condition, et à mesure que la commission prise par leur « plateforme augmente, ils doivent travailler toujours plus au détriment de leur santé. C’est ce qui a conduit à la mort de Frank en 2019 : livreur Uber Eats en région bordelaise, il a été percuté par un camion.
Et que dire des apprentis, ces travailleurs mineurs, dont le gouvernement actuel se vante de l’augmentation constante ? Des jeunes de 15, 16, 17 ans que l’on prive d’une partie de leur jeunesse et qui sont soumis à l’arbitraire et aux sautes d’humeur de leur employeur.
Toutes ces violences sont liées à des choix politiques clairs, que l’on peut identifier et dater. Les décès au travail touchent principalement des membres de la classe laborieuse, et sont parfois des conséquences indirectes de loi que les députés sont heureux de voter, parfois en les faisant passer pour des progrès sociaux.
Alors, le ministre du travail Olivier Dussopt mérite-t-il d’être traité d’assassin par un député LFI ? Ce serait anticiper : Dussopt n’a pas encore eu le temps de faire des morts. C’est sa réforme des retraites qui va en faire, si elle passe. Les collègues de mon oncle P. vont devoir travailler plus longtemps. Ils vont se fatiguer davantage, être exposés plus longtemps au stress, aux horaires de nuit, décalés et, oui, certains en mourront. Aussi, Dussopt n’est pas encore un assassin. Mais si on laisse passer sa réforme, il pourra le devenir.
Face à l’interpellation du député LFI, l’ensemble de la classe politique est outrée. Même André Chassaigne, député communiste, a exprimé son indignation. Ce faisant, elle affirme sa solidarité de classe et son corporatisme : ce qu’elle nous dit c’est qu’il est plus grave d’insulter un ministre que de faire des morts en votant des lois. Elle cherche à interdire sa mise en responsabilité vis-à-vis des accidents, des maladies et des morts. Chers députés, chers ministres : vous êtes payés de 5000 à 10 000€. La moindre des choses à ce tarif, c’est qu’on puisse vous mettre le nez dans votre merde. Jusqu’à ce qu’un jour on vous retire le pouvoir et vous empêche de nuire.
Nicolas Framont
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