Mardi dernier, le réalisateur et comédien Nicolas Bedos a été condamné à six mois de prison ferme (qu’il passera en réalité chez lui avec un bracelet électronique) et six mois avec sursis pour des agressions sexuelles sur deux femmes. Le tribunal correctionnel a aussi prononcé une obligation de soins addictologiques et psychologiques. Immédiatement, son avocate a minimisé les faits : « Nous sommes dans une société où pour un baiser dans le cou ou une main posée sur un jean au milieu d’une boîte de nuit, on se retrouve condamné à porter un bracelet électronique pour une durée de six mois. » Logique, c’est son métier de défendre son client. Ce qui est odieux, c’est le traitement médiatique qui a été réservé à ce verdict, reprenant quasi exclusivement ce storytelling où on a l’impression que le martyr c’est Bedos, et non pas les nombreuses victimes présumées de ses actes, qui ne se limitent pas à cette affaire.
En France, une agression sexuelle commise sous l’emprise de l’alcool est passible de sept ans de prison et de 100 000 euros d’amende. La peine prononcée à l’égard de Nicolas Bedos (qui a fait appel) est donc particulièrement légère. Mais les plateaux TV ont préféré laisser massivement la parole à son avocate pour déplorer le caractère “extraordinaire” de sa condamnation. Le sujet des débats c’est « La peine de Nicolas Bedos est-elle trop sévère ? », alors qu’on pourrait plutôt légitimement inverser la question.
« Nicolas Bedos a été lourdement condamné », affirme Le Point. Pourquoi « lourdement »? A “gauche” comme à droite, de nombreuses réactions vont dans le même sens. « Cette décision de justice suscite une grande perplexité : la sanction prononcée n’est-elle pas disproportionnée ?? un an de prison, dont 6 mois avec sursis, pour des gestes déplacés en boîte de nuit malgré les aveux et le regret exprimé ? », ose s’étonner, par exemple, l’ancienne porte-parole du Parti Socialiste, Juliette Meadel.
Des peines en général supérieures à celle prononcée à l’égard de Bedos
La menteuse professionnelle Caroline Fourest va dans le même sens, en déclarant sur X : « Les célébrités sont désormais plus sévèrement condamnées, en plus de la double peine réputationnelle. (…) S’il est logique qu’ils soient sanctionnés, Nicolas Bedos n’est pas un prédateur à la Weinstein, ni mis en cause pour son comportement professionnel. Il mérite donc à la fois de se soigner et de pouvoir retravailler. » Le « dessinateur » Xavier Gorce, qui a pris la relève de Plantu en tant que spécialiste des dessins tout pourris, sans humour et réactionnaires, va encore plus loin en affirmant que seuls les prolos ont aujourd’hui le droit de mettre “des mains au cul”. « Ce n’est pas la justice, c’est un tribunal révolutionnaire. Réveillons-nous de ce cauchemar ! », s’enflamme carrément Elisabeth Lévy, la rédactrice en chef de Causeur.
C’est totalement faux. Selon une note du ministère de la Justice du 30 novembre 2023, entre 2017 et 2022, « en ce qui concerne les agressions sexuelles commises par des auteurs majeurs, une peine d’emprisonnement en tout ou partie ferme a été prononcée dans 49 % des cas. Le quantum médian ferme se situe à un an et demi. Une peine d’emprisonnement avec sursis total a été prononcée près d’une fois sur deux (48 %) ». Quand les plaintes débouchent sur un procès, les juges prononcent donc des peines en général supérieures à ce qui a été infligé à Bedos en première instance. Malheureusement, elles aboutissent en réalité très rarement, et c’est une impunité généralisée qui règne en France pour les faits d’agression sexuelle et de viol, dans toutes les classes sociales. Seulement 0,6 % des viols ou tentatives de viol auraient donné lieu à une condamnation en 2020.
Alors pourquoi cette peine serait-elle soi-disant trop lourde ? Parce qu’il s’agit de Nicolas Bedos, « fils de l’immense Guy Bedos », comme se sent obligé de le souligner Voici. Les bourgeois comme Nicolas Bedos et ses amis qui le défendent (très nombreux selon sa femme), se croient au-dessus des lois. Avant les procès, ils critiquent le soi-disant « tribunal médiatique » et répètent à l’envi qu’il faut attendre que « la justice fasse son travail ». Quand elle tente de le faire, le verdict ne leur convient pas si elle n’acquitte pas les coupables. La vérité, c’est que les bourgeois ne peuvent accepter que l’un des leurs soit condamné.
Bedos vit dans une abstraction qui ignore la réalité des violences qu’il inflige. Il est significatif que dans sa défense, dont de larges extraits sont publiés par Mediapart, il fasse beaucoup référence au cinéma. « Je me rappelle quasiment rien (…) Un brouhaha. Si c’était du cinéma, pardonnez-moi, ce serait des taches floues. ». A propos des cinq femmes qui ont relayé des faits auprès de la justice, il affirme : « Et ce n’est pas parce qu’on met bout à bout cinq courts-métrages que cela fait un long-métrage. ». Il met aussi en avant son statut qui l’empêcherait de commettre de tels actes : « « J’aurais traversé une piste de danse pour toucher le vagin d’une femme devant tout le monde ? Vu qui je suis ? »
Et les victimes dans tout ça?
Le point de vue des victimes n’a quant à lui quasiment pas été mis en avant ces derniers jours. Pourtant, les faits sont accablants. La première victime dont la plainte a valu à Nicolas Bedos ce procès raconte avoir subi de sa part une agression sexuelle : il lui aurait notamment touché l’entrejambe à travers son jeans, l’altercation ayant été confirmé par quatre témoins. L’expertise médicale de la victime mentionne « un syndrome de stress aigu », « une hypervigilance anxieuse » et des « troubles du sommeil » depuis cette agression, précise Mediapart. La deuxième victime est une serveuse qu’il aurait notamment embrassée de force dans le cou. Cette affaire va bien au-delà de ces deux cas. Deux autres femmes se sont portées parties civiles lors de ce procès, dont une qu’il aurait poursuivi jusque dans les toilettes lors d’une autre soirée et craché dessus après qu’elle aurait refusé de l’embrasser. Et au-delà de ce procès en tant que tel, Mediapart a recueilli le témoignage de six femmes qui décrivent un véritable mode opératoire. Nicolas Bedos est un homme dangereux. « Il ressort clairement des débats que lorsqu’il est alcoolisé notamment, il appréhende difficilement la notion du consentement, avec des conséquences particulièrement graves dans son rapport avec certaines femmes », indique le jugement du tribunal.
Il est rarissime que les hommes puissants soient condamnés. Les faits sont souvent enterrés, les victimes décrédibilisées. Dernier exemple en date : on vient seulement de découvrir que Patrick Poivre d’Arvor avait été auditionné par la police judiciaire dès 2005, qui s’était rendu dans les locaux de TF1. La plainte avait été classée sans suite et PPDA couvert par la direction de la chaîne, qui prétend encore aujourd’hui n’avoir été au courant de rien.
Si le battage médiatique pour soutenir Nicolas Bedos est si important, c’est que de nombreux hommes puissants s’inquiètent sérieusement. Si Bedos est condamné pour des agressions sexuelles, qu’en sera-t-il des innombrables hommes de pouvoir accusés de viols, qui étaient protégés jusqu’à présent ? A l’unisson, la bourgeoisie affirme que la peine de Bedos est trop importante, car elle craint les futures condamnations pour des faits plus graves. Au-delà de la bourgeoisie, ce sont les agresseurs de toutes les classes sociales qui tendent à minimiser les faits et à critiquer la sévérité des peines, par crainte pour leurs propres intérêts. En relayant massivement le point de vue de l’agresseur Bedos et les arguments de sa défense, les médias grand public envoient un message désastreux à de nombreux hommes, qui se sentent ainsi confortés dans leur domination.
Face à cette situation, opposons notre intransigeance et proposons des solutions concrètes. En particulier, il faut mieux prendre en charge les victimes, par exemple en créant des centres de prise en charge des violences sexuelles, comme en Belgique. Dans ces lieux, les femmes reçoivent des soins médicaux et psychologiques, les traces de violences sont relevées, et elles peuvent directement porter plainte auprès de la police. En Espagne, des tribunaux spécialisés en violences de genre existent et ont prouvé leur efficacité. Le chemin pour sortir de l’impunité patriarcale est long, mais ce n’est pas une raison pour ne même pas s’y engager. Plus aucun homme, puissant ou pas, ne devrait se sentir autorisé par la société à harceler, agresser et violer les femmes.
Guillaume Étievant
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