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Crédit photo de Une : Antoine Guibert.

Mardi 16 juin, des rassemblements et manifestations ont eu lieu partout en France pour demander la reconnaissance des métiers du soin (aide-soignantes, infirmiers, brancardiers…) et davantage de moyens pour les EHPAD et hôpitaux publics. Les représentants de ces métiers héroïsés pendant le confinement, avec applaudissement de toute la bonne société bourgeoise chaque soir, sont actuellement embourbés dans un “Ségur de la santé”, énième “grande consultation” avec le gouvernement. Pour l’instant, pas de signe d’augmentation de salaires et de politique ambitieuse en matière de santé publique. Et nos bons journalistes, si fascinés par ces métiers et leurs peines pendant l’épidémie (quelle radio n’a pas fait son podcast sur ces héros du quotidien ?), commencent déjà à s’en foutre ou à dépolitiser leurs luttes.

Hier donc, ces manifestations n’ont pas fait l’objet d’un direct médiatique haletant. Ce n’est que lorsque des “troubles” ont commencé à avoir lieu à la fin de l’immense manifestation parisienne, que BFM TV s’est penché sur la question. Résultat : une fin de parcours sous les gazs lacrymogènes, des manifestants nassés, la poursuite du parcours bloquée par les CRS, nos “héros” brutalisés et provoqués … Une montée de la tension générale et pour clore le spectacle, une infirmière écrasée et traînée par les cheveux, par nos “policiers républicains”. Soit dit en passant, on a beau nous dire que “l’immense majorité de nos policiers sont des policiers républicains”, comme le disait le député LFI Adrien Quatennens sur France Inter le lendemain matin. C’est quand même dingue que chaque jour on tombe sur “la petite minorité” de gros connards violents.

Nous apprenions, via les réseaux sociaux, que l’infirmière en question avait travaillé avec acharnement pendant l’épidémie, qu’elle avait elle-même été malade du coronavirus… bref, elle est ultra-représentative de celles et ceux que la bonne société applaudissait chaque soir à 20h. Alors pourquoi les éditorialistes, journalistes, politiques ne sont pas tous monté au créneau le soir et ce matin manifester leur indignation ?

Eh bien parce que lorsqu’il y a violence policière, la circonspection et les pudeurs bourgeoises sont de mises. Après tout, note l’éditorialiste de gauche Daniel Schneidermann, “d’autres vidéos montrent cette femme en blouse blanche jetant au moins deux pierres sur les FDO. Cela change bien entendu la nature de l’image.” Ah bon, pourquoi ? Lorsque vous êtes nassés et gazés par les employés de ce même gouvernement qui vous refuse 100 balles d’augmentation salariale après vous avoir porté aux nues pendant deux mois, n’est-ce pas finalement logique voire un signe de santé mentale que d’avoir envie de jeter deux trois pierres en direction de policiers surprotégés? Et quand bien même on trouverait cela “mal”, parce qu’il ne faut pas être violent envers son prochain et surtout pas envers un “policier républicain” (dont “l’immense majorité” est constituée de bisounours, rappelons-le), en quoi cela justifie-t-il l’écrasement et le tirage par les cheveux ? 

Le fait que même quelqu’un comme Daniel Schneidermann, fondateur du site média critique “Arrêt sur Images”, insinue dans un tweet que pour contextualiser les violences policières, il faut prendre en compte les méfaits commis par leurs victimes en dit long sur la dérive autoritaire de l’époque. Il aurait pu mettre en avant ces images de jets, certes, comme un “élément de l’histoire”. Mais la tournure de son tweet initial renforce le sentiment qu’elles seraient essentielles dans la compréhension de l’événement et de ses conséquences. Comme si c’était une saisie importante pour comprendre le sens de la brutalité policière qui suit : car une vengeance policière suite à un jet ou non, cela reste, en soi, une brutalité policière, notamment d’un point de vue purement juridique également. Et ce quelque soit “la nature de l’image”. 

En France, il est donc normal que des policiers se fassent justice eux-même, décident que c’est tout à fait acceptable de traîner par les cheveux une infirmière qui leur a balancé deux cailloux – si tant est que ce soit le cas et la conséquence des nasses et des gazes sans interruptions à ce moment-là, nous y étions nous-même. Aux dernières nouvelles, ce n’étaient pas des juges indépendants qui tranchaient ce genre de question et qui fixaient les peines ?

Comment ça se passe du coup, ça ne vaut que pour les flics ou ça vaut pour tout le monde ? Eric Zemmour a été condamné, lui, deux fois pour incitation à la haine, et ne cesse de mentir sur une chaîne d’information en continue : on a le droit de nous faire justice nous-même et de le frapper à coup de barre à mines ou, au moins de l’insulter, en pleine rue ? 

Ou bien est-ce parce que tout simplement, nous vivons dans un régime où un gouvernement s’arroge le droit de libérer ses chiens d’extrême-droite sur tout collectif protestataire, y compris celui de celles et ceux qui étaient décrit comme des “héros” et des “héroïnes” à peine un mois plus tôt ? “Essayez la dictature”, disait Macron en janvier dernier. Grâce à toi, on l’essaye et on la pratique au quotidien, Emmanuel.