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“Vos Frustrations” est une rubrique créée pour que nos lectrices et lecteurs nous racontent leur cri du cœur du moment, le sentiment d’injustice qui les habite ou ce qu’ils ont vécu au travail ou dans leur quotidien. Mais aussi ce qui leur a fait du bien. C’est pourquoi aujourd’hui nous publions la frustration d’Alexandre Cailleteau… qui n’en est pas une :

La semaine dernière, j’ai regardé la série “Tiny Pretty Things” sur Netflix.

Pour faire court : dans une école de danse, une élève est précipitée depuis le toit et retrouvée grièvement blessée sur l’asphalte. Elle restera dans le coma. On suit donc la vie d’un groupe d’élèves et cette enquête. Evidemment, les vies de ces jeunes adultes et leurs relations prennent une bonne place dans chaque épisode. J’ai découvert le personnage de Shane (très bien joué par Brennan Clost), jeune homosexuel de la bande. C’est la première fois que j’ai eu le sentiment d’être représenté dans une série. Ce sentiment est évidemment agréable. On l’y voit vivre sa sexualité librement (et même aller sur Grindr !), questionner le regard de l’autre, découvrir ses sentiments et aimer un homme. Et voir cet homme évoluer aussi grâce à lui.

Des films et des séries qui mettent en scène des personnages homosexuels, il y en a. J’en ai vu. Mais, cette fois, je ne sais pas quelles nuances m’ont procuré un sentiment que je n’avais pas auparavant. Peut-être ai-je l’impression de voir la vie normale d’un jeune homosexuel et y avoir décelé des choses que j’ai moi-même vécu avec plus ou moins de similitude (les relations impossibles ou difficiles, le bonheur de quitter le territoire où l’on a grandi pour pouvoir se vivre pleinement, les origines sociales, etc…).

Je pense que la période marque un tournant dans le traitement des personnages LGBTQI dans les productions de séries et films. Je me souviens des séries, films (ou pire : les émissions de divertissement ou de télé-réalité) que je voyais passer lorsque j’étais jeune ou ado. A l’époque, soit il n’y avait pas d’homosexuel, soit nous étions cantonnés à des personnages de second plan – princalement caricaturaux à l’extrême. Et être relégué à ne pas exister ou être représenté d’une façon extrêmement caricaturale, ça n’aide pas à trouver son propre cap sur le chemin de la construction et de l’acceptation de soi. Qu’on me comprenne bien : désormais un homme qui porte des talons, une robe, du vernis à ongle et du maquillage, ça ne me choque pas et ne me dérange pas. Parce que j’ai pu construire mon identité et qui je voulais être (en portant moi aussi du vernis, parfois). Mais être homosexuel dans le regard de l’autre, c’est à cette époque-là risquer le fameux “ah oui, comme la folle que j’ai vu dans tel film/série”. Et parfois, on a pas envie d’être “la folle” (et pourtant, il faudra continuer à lutter pour que ça soit okay aussi, notamment dans nos Marches des Fiertés mais aussi partout ailleurs), surtout lorsqu’on est jeune et qu’on commence à se trouver.

Au delà de ce ressenti précis sur une série en particulier, j’en tire une leçon : nos vies, toutes nos vies, existent. Et parce qu’elles existent, elles doivent apparaître à l’écran. Lorsque ces vies ne sont pas sujet à caricature, elles sont d’autant plus belles qu’on se sent exister à travers elles. Et parce que toutes les œuvres modifient notre rapport au réel en peuplant notre imaginaire (individuel et collectif), il est important que toute la diversité de nos existences puisse y trouver une place.

Bien évidemment, si les productions et les plateformes proposent ce genre de contenus mieux écrits ce n’est pas par pur altruisme mais grâce au travail de nombreuses années de militantisme des personnes LGBTQI. Parce que les fictions, toutes fictionnelles qu’elles soient, ont un impact sur nos vies par la construction et/ou la déconstruction des préjugés et des perceptions. C’est un travail qui est loin d’être terminé, mais qui commence à porter ses fruits et j’en suis heureux à titre personnel mais aussi politiquement. A nous de continuer à lutter pour être représentés dans toutes nos nuances dans les productions audiovisuelles et pour que toutes ces nuances soient acceptées dans la société sans risquer ni le rejet, ni le jugement, ni les agressions.