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Éric Zemmour fait de l’Histoire une arme politique pour légitimer ses idées racistes, xénophobes, islamophobes et réactionnaires. Il se pare de son aura de fin connaisseur de l’histoire de notre pays pour légitimer ses idées. Face à cela, des historiens et historiennes ont fait le choix de lui répondre, mais est-ce suffisant ?

L’Histoire rêvée de Z.

Éric Zemmour n’est pas le premier à faire de l’histoire une véritable arme politique. Il ne fait que reprendre la tradition des auteurs d’extrême-droite des siècles passés : Edouard Drumont ou encore Charles Maurras, comme l’a bien mis en avant l’historien Gérard Noiriel en 2019 (Le venin dans la plume, La Découverte). Zemmour fait jouer une histoire qu’il qualifie de « véritable histoire » face à une autre histoire qui ne serait qu’une « propagande » des « universitaires bobos ». 

L’histoire que veut combattre Zemmour ne serait plus qu’une propagande qui n’aurait qu’un seul but : déconstruire l’identité française. Par exemple, dans son roman national personnel, Eric Zemmour associe la naissance de la France au baptême de Clovis. Et il accuse les historien-nes et les profs d’histoire d’avoir « jeté [Clovis] dans les poubelles de l’histoire » (Destin français, 2018). Il fait de même à propos des croisades : « on n’apprend plus aux écoliers qu’Urbain II fut le premier à appeler à la croisade » (p. 64). Il reprend certains arguments de celui qui se nomme historien, Dimitri Casali. Mais cette rengaine réactionnaire est fausse : Clovis est toujours enseigné. Il suffit de 3 minutes pour retrouver dans les programmes scolaires ou dans les manuels de nombreuses mentions de Clovis. En CM1, par exemple, c’est le premier thème abordé par les élèves.

 

Clovis est ici remis à sa place, il n’est pas le père fondateur de la France, et c’est cela qui gène Zemmour. Clovis fut simplement roi d’un peuple germanique installé sur le territoire actuel français au Ve siècle : les Francs. Les Francs ne sont pas les Français, ils n’ont rien en commun : ce ne sont pas nos ancêtres – et les Gaulois non plus d’ailleurs. Le territoire que l’on nomme aujourd’hui France était jusqu’à très tard, une simple juxtaposition de peuples qui ne partageaient rien. Le Moyen Âge est d’ailleurs l’une des périodes favorites de l’extrême-droite européenne et particulièrement française : ils réactivent une période médiévale fantasmée, viriliste et violente. 

L’objectif politique d’Éric Zemmour est simple : il se bat pour la fameuse « Union des droites ». Pour cela, il n’hésite pas à s’atteler à la réhabilitation d’un moment historique majeur très clivant pour les droites (et extrêmes droites) françaises : le Régime de Vichy. Il reprend ainsi la thèse du « glaive et du bouclier » défendue par les avocats de Philippe Pétain lors de son procès en 1945 puis reprise par le philosophe Robert Aron en 1954. Pétain et de Gaulle auraient été les deux faces de la Résistance à l’Allemagne nazie. C. de Gaulle étant le glaive, la face visible de la résistance ; Pétain devenant ainsi le bouclier, la résistance intérieure, la face invisible. Comment Pétain aurait-il fait acte de résistance ? « Pétain a protégé les juifs français  et donné les juifs étrangers » répétait une énième fois Eric Zemmour le 26 septembre 2021 sur Europe 1. Pour preuve selon lui, proportionnellement aux juifs étrangers, les « juifs français » ont été moins déportés. C’est la thèse du « moindre mal ».

 Ce que fait Éric Zemmour ici, c’est un appel au meurtre de masse.

Outre l’abjecte relativisation de la déportation de milliers de juifs « étrangers » (que les juives et juifs déporté-e-s furent français-e-s ou non cela n’enlève rien à l’horreur), si les juifs français furent « moins » déportés, ce n’est pas du fait de la protection de l’Etat mais grâce à l’aide de la population. Les juifs français étaient, de fait, mieux “intégrés” au sein de la population : ils parlaient français, et étaient « beaucoup plus en lien avec l’environnement non-juif » ce qui facilite leur protection par la population rappel l’historien Laurent Joly, spécialiste de l’antisémitisme et du Régime de Vichy. Parallèlement, Vichy a pratiqué une politique intense de dénaturalisation de nombreux juifs. Le Régime de Vichy a donc collaboré activement avec l’Allemagne nazie, très loin du rôle passif que veut lui donner Éric Zemmour. Sur les 74 150 juifs déportés depuis la France, près de 24 000 avaient la nationalité française. Pour en savoir plus sur cette question, il est possible d’écouter Laurent Joly.

Comment Zemmour se voit, une fois devenu président

Prenons un autre exemple de cette instrumentalisation de l’histoire, lui aussi mis en avant dans le livre Zemmour contre l’histoire. Peut-être l’une des instrumentalisations les plus dangereuses aujourd’hui. Éric Zemmour écrit dans Le suicide français en 2014 (p. 526) :

« Il faudrait un implacable Richelieu combattant sans relâche « l’Etat dans l’Etat » et les « partis de l’étranger » pour abattre les La Rochelle islamistes qui s’édifient sur tout le territoire. »

Ce que fait Éric Zemmour ici, c’est un appel au meurtre de masse. Il fait référence au siège de La Rochelle mené par le cardinal de Richelieu en 1628. La Rochelle était alors une place-forte protestante et semblait former un « Etat dans l’Etat ». Le siège de La Rochelle se solda par près de 20 000 morts. Comme le note l’historien Jérémy Foa (Zemmour contre l’histoire, 2022, p. 14), aux yeux d’Éric Zemmour « les musulmans sont les nouveaux huguenots ». On voit donc très bien ici comment en utilisant un passage de l’histoire E.Z fait fonctionner une analogie abjecte pour appeler au meurtre de nos frères et sœurs mulsman-e-s. Et cela, dans la plus grande complaisance de tous ses amis : à cette époque, il était tous les samedis soirs sur le plateau d’On est pas couché au côté de Laurent Ruquier sur France 2. Elle est d’ailleurs là la force de Zemmour, son implantation médiatique, sa faculté à jouer avec des journalistes non-spécialistes qui le laissent déblatérer sans cesse ses horreurs.

La réponse des historien.ne.s

Que doivent faire les historiens et historiennes face à cela ? Doivent-ils aller sur le terrain que Zemmour maîtrise le mieux, les plateaux TV ? Doivent-ils l’ignorer pour ne lui donner aucun crédit ?

Face à Zemmour, des historiens et historiennes ont fait un autre choix : une réponse collective. Cette réponse prend la forme d’un petit livre, un Tract Gallimard. Ils choisissent de lui répondre sans l’affronter sur un terrain qu’il maîtrise mieux qu’elles et eux. L’historien André Loez identifie 3 nécessités auxquelles répondent ce Tract : le fond (les falsifications), la forme (l’usage nationaliste de l’histoire) et une inquiétude civique. Il faut ici saluer l’initiative, bien rare et importante.

Ils et elles prennent donc la parole dans l’espace public. Mais quel espace public ? Quel est l’espace public dédié à la lecture de ce tract ? Qui va aller dans une librairie ? (le prix, là, n’a qu’assez peu d’influence : le tract vaut 3,90e). Entrer dans une librairie ou acheter un livre (même en grande surface) n’est pas une pratique sociale commune à toutes et tous. Pour tenter de contrer cela, le tract est disponible gratuitement en vidéo sur YouTube grâce à Manon Bril. Une vidéo qui marche : près de 620 000 vues (au 10 mars).  Mais là aussi, le public qui regarde cette chaîne n’est pas le même qui regarde la télévision et qui entend Éric Zemmour à longueur de soirées TV. Où va donc ce dialogue interposé puisque les interlocuteurs ne parlent pas aux mêmes personnes ?

Ce tract, il est vrai, est socialement utile. Les chiffres de vente sont excellents : les chapitres sont courts, clairs et sans jargon historien. Par exemple, il a permis à mon père de prendre conscience que Zemmour était « une brèle en histoire ». Zemmour, qui se sert de l’histoire sans cesse, a perdu sa crédibilité à ses yeux. Si même sur le sujet qu’il est censé maîtriser le mieux Eric Zemmour raconte n’importe quoi, alors le reste ne doit pas être plus abouti. L’objectif du collectif historien est atteint. Mais ce n’est pas mon père, ouvrier, qui est allé l’acheter. C’est parce que moi, étudiant en histoire et militant, l’ai laissé traîner sur la table du salon un week-end. Le Tract se heurte, comme tous les livres, aux frontières sociales. Frontières qu’il convient de faire exploser.

L’histoire ne sert que de prétexte à Zemmour, elle n’est qu’un outil politique, que ce qu’il raconte soit vrai ou faux n’a finalement que peu d’importance.

Sur leur terrain, les historien-ne-s sont excellent-e-s, mais ce terrain de combat est restreint. Peut-il suffire ? Ne faut-il pas investir d’autres médias ? Quid de la télévision ?

Faites le test, allumez votre télé, et tentez de trouver un-e historien-ne (un-e vrai-e). Pas simple, n’est-ce pas ? Ils et elles n’aiment pas cet espace médiatique, pas tant par mépris pour ce média et les téléspectateurs que par inadaptation de l’histoire (et de fait des historien-ne-s) aux formats TV du talkshow et de l’éditorialisme à toutes les sauces. Cependant, certains historiens font le choix d’investir les plateaux TV, nous pouvons prendre l’exemple de Nicolas Offenstadt qui intervient parfois sur France TV.

Le papi de Zemmour… Ah non pardon, le Maréchal Pétain

Dans l’affrontement face à Zemmour, un historien s’y est tenté, c’était Patrick Weil, en direct, en 2018, sur BFM TV. C’est indéniable, Éric Zemmour maîtrise son terrain, il a les codes télévisuels qui le font performer, Patrick Weil, beaucoup moins. Le match tourne, malheureusement, à l’avantage de Zemmour. En confrontation directe, la victoire semble impossible. Est-ce même moralement acceptable de débattre de ces questions avec E.Z. ? « On ne discute pas recettes de cuisine avec des anthropophages » lançait l’historien Jean-Pierre Vernant en 1993 (il ne parlait pas de Zemmour).

 Mais le terrain télévisuel est large, et l’investir semble essentiel comme d’autres médias le sont déjà, en s’adaptant au format. Nous pouvons prendre l’exemple des threads Twitter de Mathilde Larrère, ou dans un autre genre le site d’un collectif d’historien-ne-s, Actuel Moyen Âge, qui partant d’un événement contemporain l’éclaire historiquement. Ces derniers ont par exemple réalisé en 2018 un fact-checking de ce que raconte E. Zemmour à propos des croisades.

Mais comprendre que Zemmour raconte n’importe quoi sur l’histoire, est-ce efficace électoralement ? Le problème avec Éric Zemmour ne dépasse-t-il pas l’histoire ? Le passé nous l’a montré à de nombreuses reprises et nous le montre encore actuellement avec l’instrumentalisation de l’histoire par Poutine, la « vérité historique » ne triomphe pas toujours. La croyance en une vérité se heurte au politique. L’histoire ne sert que de prétexte à Zemmour, elle n’est qu’un outil politique, que ce qu’il raconte soit vrai ou faux n’a finalement que peu d’importance. Dans ces moments où tout semble s’accélérer, la passion politique l’emporte sur la raison historique. Dans ce match face à Eric Zemmour, le combat par l’histoire est donc important mais doit impérativement s’articuler à un combat politique et militant puissant pour mettre hors jeu ce représentant d’une bourgeoisie néo-fascis(an)te. 


Et si ça vous intéresse :

M. Larrère, L. de Cock, G. Mazeau, L’histoire comme émancipation, Agone, 2019.

G. Noiriel, Le venin dans la plume : Édouard Drumont, Éric Zemmour et la part sombre de la République, La Découverte, 2019.

L. Joly, La falsification de l’Histoire. Eric Zemmour, l’extrême droite, Vichy et les juifs, Grasset, 2022.« Zemmour contre l’Histoire », Tracts Gallimard, n°34, 2022.


Corentin Roux