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Photo de Une : Serge d’Ignazio

Ce matin, l’impression de vivre dans un mauvais film d’anticipation ou un documentaire Arte sur la propagande des régimes totalitaires est plus forte qu’elle ne l’a jamais été. Et pourtant les deux dernières années ont été riches de moments de ce genre. Mais cette fois-ci, la distorsion entre la réalité vécue, racontée, rapportée mais les masses de gens qui refluaient dans le sens inverse de la manifestation parisienne du 1er mai, et les annonces médiatiques et politiques est hallucinante.

D’un coté, nous savons que des milliers de gens ont été stoppés à chaque portion de cette manifestation, copieusement arrosés de grenades lacrymogène alors que la foule était trop compacte pour s’écarter, et matraqués sans vergognes sur le coté, et ce, dès le départ de la manifestation. “Nous nous sommes réfugiés dans des cours d’immeubles”, “je suis coincé sur un parking et il y a des explosions partout”, voici le contenu des SMS que l’on recevait quand on était coincé derrière sans nouvelles de nos amis. La peur, le chaos, la multiplication des violences gratuites, “je n’ai jamais vu ça”, disaient les anciens qui n’étaient pourtant pas à leur première confrontation violente avec les “forces de l’ordre” comme on les appelle désormais.

De l’autre, des journalistes fâchés, oui fâchés, contre ces foules haineuses et violentes. Des politiques satisfaits, oui satisfaits, d’un “maintien de l’ordre” réussi. Quel maintien ? Quel ordre ? On se le demande toujours. Il s’agit tout simplement du maintien de leur ordre. De telle sorte qu’il devient urgent de nommer les policiers “forces de leur ordre”.

Leur ordre, celui du macronisme, stade ultime du néolibéralisme, cette idéologie qui consiste à pousser les sociétés et les écosystèmes à se rendre les plus profitables pour une minorité de gens, tout en faisant croire que c’est pour leur bien, même s’ils le le savent pas. Et que lorsque les citoyens refusent de considérer les immenses vertus des “réformes” que leurs dirigeants concoctent pour eux, il faut combattre leur “archaïsme”, leur “fainéantise”, leur “immobilisme” par tous les moyens : la propagande, la rengaine (ça fait quinze ans qu’on nous demande de copier cent fois “Flexibiliser le droit du travail crée de l’emploi” sans que cela ne soit plus vrai), et désormais, puisque ça ne marche plus, la méthode forte s’impose : la violence, parvenu désormais au stade de la Terreur. Gouverner par la terreur se définit ainsi :

” Peur collective qu’on fait régner dans une population, un groupe pour briser sa résistance ; régime fondé sur l’emploi de l’arbitraire imposé et de la violence. “

En gros, frapper les jusqu’à ce qu’ils rendent les armes, qu’ils abandonnent faute d’espoir que ça change. Et si la Terreur fait tâche, risque de vous aliéner le soutien de la presse classe intermédiaire (ou petite bourgeoisie, ou “bourgeoisie cool”, ou “bobos médiatiques”, comme vous préférez), utiliser une bonne dose de mensonge pour vous les remettre dans la poche : Les policiers tirent dans le tas, éborgnent, gazent, nassent, et les images choquent le journaliste, la plasticienne, la cadre dans le marketing ? Inventez l’histoire de l’hôpital. Déjà utilisée en 2016, (à l’époque une “horde” de manifestants s’était jetée sur l’hôpital Necker des enfants malades, souvenez-vous) la technique de l’hôpital est simple : trouvez un hôpital sur le parcours d’une manifestation, et répétez le plus possible et avec une indignation surjouée que d’affreux casseurs ont tenté d’y pénétrer.

Pourquoi ? Aucune importance. N’allez pas vous demander pourquoi des manifestants violents voudraient pénétrer dans le service de réanimation de l’hôpital de la Pitié Salpêtrière – pour accuser quelqu’un d’un crime il faut généralement un mobile, mais là on s’en passera, l’indignation surjouée suffira. Donc on sous-entend qu’ils y allaient pour casser du patient en réanimation, et ça suffira. Et ça suffit. C’est incroyable, mais ça suffit. Ce matin les journalistes répètent ce scénario en boucle, alors qu’une masse de témoignage, y compris du personnel hospitalier lui-même, montre que si des gens sont entrés par un accès de service c’était pour échapper aux grenades explosives, aux matraques, aux voltigeurs et aux mouvements de foules. Comme dans chaque cour d’immeuble, des gens se terraient.

La bourgeoisie va évidement y croire. Parce qu’elle a un biais de confirmation – ce biais cognitif qui consiste à privilégier les informations confirmant ses idées préconçues ou ses hypothèses sans considération pour la véracité de ces informations, une notion que les chercheurs utilisent généralement pour parler du méchant peuple qui croient dans le complot des élites. Ce biais qui consiste à partir du principe que les gilets jaunes sont des cons, les syndicats des parasites archaïques et les manifestants des “casseurs”. Ce biais qui va faire qu’il faut toujours attendre la fin du déchaînement d’indignation pour en savoir plus. Le déchaînement aura ainsi pu produire son effet propagandesque auprès des auditeurs du matin – partout en France on parlera de cette histoire autour des machines à café en ayant en tête la version de Castaner. Il faudra attendre plusieurs heures pour avoir les premiers “Désintox” et autre “Vrai du Faux” qui viendront “nuancer” la version officielle – sans lui donner toutefois tort. Mais qu’on pardonne aux “fact checkers”, ils sont trop occupés à savoir si le Grand Méchant Mélenchon (“Populiiiiste! Dictateuuuur!”) a oui ou non gâché du papier. Et regardez cette séquence dingue, où l’on voit qu’il a fallu attendre ce matin 10h30 pour que la télévision demande aux soignants leur version des faits – qui infirme totalement la version officielle !

Dans ce régime de terreur et de mensonges, on a le sentiment que la prouesse ça va être de continuer à savoir ce que l’on voit, à croire en ce que l’on sait, pour rester unis, solides et sûrs de notre cause. Mais on peut avoir de l’espoir : s’ils n’ont plus que la terreur et le mensonge à nous opposer, c’est qu’il ne le reste plus grand chose.