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Le gouvernement le répète chaque jour : il ne laissera pas dire qu’il n’avait pas anticipé la crise ni pris les mesures nécessaires. C’est pourtant le cas dans bien des domaines, et notamment relativement à la question de la pénurie de médicament auquel font désormais face les hôpitaux. C‘est un gros problème de plus en temps d’épidémie, que le gouvernement avait pourtant la possibilité d’anticiper.

Dès fin 2018, une mission d’information du Sénat publiait un rapport très clair sur la question. Car dès 2017, près de 530 produits médicamenteux ont été concernés par une rupture de stock, dix fois plus qu’il y a dix ans. Parmi les ruptures les plus médiatiques, on trouve celle de l’Amoxicilline – rien que ça – en 2014 et 2018, du vaccin contre l’hépatite B en 2017 et plus récemment d’un médicament contre la maladie de Parkinson dont la pénurie pourrait s’est prolongée jusqu’à début 2019. Et nous n’étions pas encore en crise du coronavirus !

Premier avertissement

Le rapport donnait plusieurs explications alarmantes : D’abord, ce qu’on sait désormais bien, la délocalisation de la production du médicament à l’autre bout du monde, en Chine ou en Inde, a créé des difficultés d’approvisionnement, avec une réactivité moins grande vu les distances et le nombre d’intermédiaires.

Ensuite, il montrait que les grandes entreprises pharmaceutiques ne géraient pas sainement leur stock : puisque la production en flux tendu (c’est-à-dire réduisant au maximum leur stock par mesure d’économie) est “généralisée” dans les entreprises pharmaceutiques,“Celles-ci identifient la constitution de stocks de sécurité ou le doublement des capacités de production comme des postes de dépenses coûteux et incompatibles avec leurs objectifs de rentabilité. En complément de la délocalisation des sites de production, la limitation des stocks s’est imposée comme un levier d’économies pour les entreprises pharmaceutiques“.

Enfin, il admettait à demi-mot que les pénuries pouvaient être des stratégies des industriels pour faire monter les prix. “de telles situations apparaissent à première vue sinon peu courantes, du moins difficiles à objectiver – bien qu’un des représentants du personnel de l’entreprise Sanofi entendu par votre mission d’information ait indiqué qu’il existerait des « stratégies de rupture visant à maintenir le niveau des prix””. A la lecture du rapport on apprend qu’un représentant du LEEM, le lobby du médicament, a donné sans complexe la justification suivante : “lorsqu’une tension survient du fait d’un accroissement de la demande, [nos entreprises] vont approvisionner en priorité les pays qui pratiquent les tarifs les plus élevés”. Négociez en notre faveur, et vous serez livrés en premier.

Face à une telle situation, ce rapport sénatorial préconisait des mesures fortes pour faire face à un problème “urgent”. Si elles avaient été appliquées alors, elles auraient certainement limité la pénurie actuelle :

  • “Constituer des réserves stratégiques de produits destinés à la santé civile afin de faire face à des événements extraordinaires (catastrophes naturelles, épidémies, risques biologiques, chimiques et radionucléaires, attaques terroristes…)”.
  • Mettre en oeuvre une production publique de médicaments essentiels, confié à l’Agence générale des équipements et produits de santé (ex-« Pharmacie Centrale des Hôpitaux »)  et la pharmacie centrale des armées.

Malgré ces propositions et ces avertissements, le gouvernement n’a rien fait depuis. Au petit soin de l’industrie pharmaceutique, il n’a pas cherché à la contraindre. En juillet 2019, un dîner a lieu en grandes pompes entre Macron et les grands industriels du médicament, sans que le thème de la pénurie ne soit au menu.

Deuxième avertissement

En janvier, l’association France Assos Santé a publié un autre rapport alarmant établissant qu’un Français sur 4 avait été confronté à une pénurie de son traitement ou vaccin. Il faut attendre octobre 2019 pour qu’un timide amendement du rapporteur du projet de loi de financement de la sécurité sociale, Olivier Véran, depuis ministre de la santé, ne prévoit l’obligation pour les industriels de constituer des stocks de 4 mois. Pour une entrée en vigueur prévue… le 30 juin 2020.

Alors qu’un rapport et plusieurs études montraient clairement l’incapacité d’un secteur pharmaceutique à but lucratif et délocalisé à faire face aux besoins ordinaires du système de santé français, le gouvernement n’a pas agi, certainement désireux de ne pas vexer le premier marché mondial en terme de profit réalisé. Maintenant que nous sommes face à une situation extraordinaire, notre système de santé subit de plein fouet ce choix gouvernemental clair en faveur des actionnaires de la production de médicament. Un grave manquement de plus pour Macron et ses ministres.