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Plus on est riche, plus on pollue. C’est ce que l’ONG britannique Oxfam a démontré dans un rapport intitulé « Inégalités extrêmes et émissions de CO2 » en 2015. Pourtant, à l’heure où le gratin international multiplie les déclarations de bonnes intentions environnementales et les confessions larmoyantes, les gouvernements occidentaux, à commencer par le gouvernement français, s’entêtent à répéter qu’il est question de prise de conscience individuelle. Et tant que l’on continue de dénoncer la paille dans l’œil du voisin, on ne regarde pas la poutre dans le sien. Habile. Mais les « petits gestes pour la planète » ne suffiront pas. C’est le pouvoir des très riches qu’il faut réduire. Et la neutralisation de leur pouvoir de nuire commence par comprendre comment ils nous enfoncent dans la crise écologique. Décryptage.

Idée reçue no 1 : « Les multinationales sont écolo-compatibles »

Les multinationales sont priées de se présenter au banc des accusés du changement climatique. Les 90 principales entreprises productrices de pétrole, gaz, charbon et ciment sont les premières incriminées. Les émissions de l’industrie, de l’extraction et de la combustion des énergies fossiles issues de 90 producteurs d’énergies fossiles et d’industries du ciment, parmi lesquels Exxon Mobil, Chevron, Royal Dutch Shell, BP et Total, ont contribué à près de la moitié de la hausse de la température moyenne du globe, et à 30 % de la montée des océans entre 1880 et 2010. Leurs émissions cumulées représentent 63 % du CO2 industriel mondial et du méthane émis entre 1751 et 2010. Le français Total arrive en 17e position des multinationales incriminées. Par ailleurs, depuis 2000, 70 % des investissements du secteur énergétique sont allés aux énergies fossiles, note le rapport 2016 de l’Agence internationale de l’énergie. Ainsi, en 2016, un montant estimé à 825 milliards de dollars a été investi dans les énergies fossiles et les secteurs générant des émissions de gaz à effet de serre (GES) élevées.

Autre secteur pointé du doigt : les industriels de la viande et des produits laitiers. Les 20 plus grandes entreprises du secteur ont émis en 2016 plus de gaz à effet de serre que toute l’Allemagne. Si ces entreprises étaient un pays, elles seraient d’ailleurs le septième émetteur de gaz à effet de serre ! Les trois principaux producteurs de viande (JBS, Tyson, Cargill) polluent autant que les principaux pétroliers (BP, Exxon, Shell). Le système alimentaire mondial est ainsi responsable de 25 % des émissions de CO2 mondiales par le biais de géants américains tels que le groupe General Mills qui rassemble 43 marques. Prenons l’exemple de la fameuse marque française Yoplait. Celle-ci est pour moitié américaine, rachetée en 2011 par General Mills, et pour autre moitié possédée par le groupe Sodiaal, 16e groupe mondial et troisième groupe français derrière Danone et Lactalis. Yop, Perle de Lait, Panier de Yoplait, Calin et Petits Filous… derrière tous ces yaourts qui fleurent bon les pâturages de nos montagnes et dont les publicités animent vos soirées en famille, des milliards de dollars de chiffre d’affaires qui entrent dans les poches de quelques gros actionnaires, tandis qu’à l’autre bout de la chaîne du lait, un agriculteur sur trois gagne moins de 350 euros par mois.

Mais les responsables du dérèglement climatique ne sont pas les individus qui mangent un yaourt ou font le plein d’essence pour aller au travail. Ce sont plutôt les grandes multinationales qui saccagent pour le profit d’une poignée d’actionnaires, au détriment de la planète et du reste des êtres humains. À ce stade, vous vous demandez sans doute quel est le rapport avec les riches. S’il ne fallait retenir qu’un seul chiffre ce serait celui d’Oxfam qui révèle que le 1 % le plus riche de la planète a accaparé 82 % de la richesse créée en 2017. Inversement, 3,7 milliards de personnes, soit 50 % de la population mondiale, n’ont pas touché le moindre bénéfice de la croissance mondiale l’an dernier.

Idée reçue no 2 : « L’évasion fiscale, quel rapport avec la planète ? »

Ces riches, très riches, ont bien souvent comme activité majeure celle d’avoir des actions, de l’argent placé dans des fonds d’investissements ou au capital de grosses multinationales qui leurs rapportent encore plus gros que ce qu’ils n’ont déjà. Actionnaires de celles-ci, ils sont en première ligne des décisions et donc responsables des agissements de ces multinationales.

L’année 2017 a également été l’année de la révélation des plus gros scandales d’évasion fiscale. Pour pratiquer l’évasion fiscale – en d’autres termes la planque délibérée de gros sous pour ne pas payer d’impôts – il faut avoir beaucoup d’argent à cacher. Quand le salaire médian français est à 1 797 euros nets par mois et que plus d’un a du mal à boucler ses fins de mois, inutile de dire que l’évasion fiscale ne concerne qu’un public réduit d’initiés (individus et multinationales) dont les visages et les adresses sont connus. L’évasion fiscale représente jusqu’à 80 milliards d’euros perdus chaque année pour la France. Ces 80 milliards (jusqu’à 22 % des ressources fiscales brutes de la France) ne sont pas perdus pour tout le monde – en l’occurrence le 1 % le plus riche, qui s’affaire à éviter de donner le moindre centime de sa fortune. 80 milliards. Autant d’argent qui n’est pas investi dans la transition écologique, ou dans les objectifs onusiens d’accès aux droits fondamentaux ! Le mode de vie de ces très riches est, par ailleurs, extrêmement émetteur de gaz à effet de serre. Car qui ne s’offrirait pas de petits voyages en jet privé et yacht de luxe s’il en avait les moyens, alors même que le transport est un des principaux secteurs mondiaux d’émissions de gaz à effet de serre ?

Mais quel est donc le lien entre évasion fiscale et changement climatique ? Prenons l’exemple de Total, 17e multinationale au classement des plus grands pollueurs mondiaux. En 2015, le chiffre d’affaires de Total s’élevait à 156 milliards d’euros, pour un bénéfice de 4,7 milliards. Cette même année, Total payait en impôts sur les sociétés l’astronomique somme de… zéro euro. Comment est-ce possible ? Total a pour cela recours à des montages financiers complexes, via par exemple des filiales aux Bermudes. Ces montages ont pour objectif de brouiller les pistes, de diluer les informations et de rendre le tout très opaque. Difficile de retrouver les responsables. Ainsi, les grandes entreprises du secteur sont-elles protégées des conséquences légales de leurs activités. Et de leurs impacts – climatiques, environnementaux, sanitaires et sociaux – cela va de soi.

L’industrie fossile organise ensuite des flux financiers complexes, pour s’assurer que la richesse extraite ne bénéficie jamais aux pays et régions d’où elle provient. Elle met en place une théorie du ruissellement qui lui est propre. Tout ce qui ruisselle sur les territoires concernés ce sont les conséquences des activités : impacts sur les écosystèmes, impacts sur l’appropriation des ressources au détriment des communautés locales, exploitation de la force de travail. C’est le cas dans de nombreux secteurs : exploitation des hydrocarbures, des métaux rares, déforestation…

Ces mêmes multinationales ont également recours à un lobbying massif pour protéger leurs intérêts et profits en influençant les politiques publiques. On sait par exemple qu’Exxon, groupe pétrolier américain, a délibérément freiné le développement de toute politique climatique ambitieuse depuis 40 ans en finançant les recherches de scientifiques climatosceptiques.

Idée reçue no 3 : « Dans les pays pauvres aussi, on pollue »

Les multinationales salissent, les riches se gavent et ce sont les citoyens qui règlent la facture des dégâts et les coûts de l’adaptation. Les citoyens se retrouvent à devoir payer pour tous et à tous les étages, et sans en avoir le choix : impôts directs, TVA sur la consommation de produits énergétiques, facture des dégâts… tout repose sur l’individu. La plupart des secteurs polluants sont exonérés de taxe à la hauteur de leur impact environnemental, ou bien font de l’évasion fiscale. Pour le citoyen lambda, pas le choix que de faire le plein d’essence ou de consommer des énergies fossiles pour se chauffer si les pouvoirs publics ne proposent pas d’alternatives. L’impact est bien sûr moindre sur les bourses des plus aisés.

Mais il convient de faire la distinction tout d’abord entre les différents pays. Car à l’échelle du monde, tous ne sont pas égaux, ni en termes de responsabilité, ni en termes de catastrophes subies. Ainsi, 10 % des plus riches de la planète sont responsables de plus de la moitié des émissions de CO2. La moitié la plus pauvre du globe n’est quant à elle responsable que de 10 % de ces émissions. Plus frappant encore : une personne qui fait partie du 1 % le plus riche au monde génère en moyenne 175 fois plus de CO2 qu’une personne se situant dans les 10 % les plus pauvres. Parmi les 10 % des individus les plus émetteurs au niveau mondial : 40 % des émissions de CO2 répondent aux besoins des Nord-Américains, 20 % des Européens et 10 % des Chinois. Un Nord-Américain pollue 20 fois plus qu’un Africain, et deux fois plus qu’un habitant d’Europe de l’Ouest, trois fois plus qu’un résident du Moyen-Orient, et quatre fois plus qu’un Chinois.

À l’inverse, les habitants d’Asie du Sud et d’Afrique émettent environ deux tonnes d’équivalent CO2, bien en dessous de la moyenne mondiale qui s’établit à 6,2 tonnes de CO2 par habitant. À l’autre extrême de la pyramide, les individus les plus pauvres du Mozambique, du Rwanda et du Malawi émettent environ 0,1 tonne d’équivalent CO2 par an. Soit 2000 fois moins que le 1 % le plus riche (Américains, Luxembourgeois, Singapouriens et Saoudiens), avec des émissions annuelles par personne supérieures à 200 tonnes. Pire, non seulement les habitants les plus pauvres de la planète (moins de 4,40 dollars par jour) sont les moins responsables du changement climatique, mais ils sont en général les plus vulnérables face à ses conséquences et les moins préparés pour les affronter. Les cas du Bangladesh, ou encore des Caraïbes frappées de plein fouet par une série d’ouragans cet été, sont emblématiques. Parmi les plus pauvres et les plus densément peuplés au monde, ces pays et région sont régulièrement touchés par des aléas climatiques dévastateurs alors même que leur empreinte carbone est minime.

Le rouleau compresseur d’un développement économique sans guère de considérations environnementales et sociales avance partout. Kenya, 85e puissance économique mondiale, sa capitale Nairobi, mégapole de 8 millions d’habitants. 12 millions en 2030 dit-on. À ses portes : une des plus grosses décharges à ciel ouvert de tout le continent. Ouverte en 1977, avec des fonds de la Banque mondiale, Dandora devait être une décharge exemplaire. Depuis 2001, elle est considérée par le gouvernement comme constituant un « danger sanitaire grave ». Plus de 2 500 tonnes de déchets qu’ils soient ménagers, industriels ou encore agricoles sont déposées chaque jour sur ces 30 hectares qui saturent de putréfaction. Autour, s’étalent les bidonvilles de Nairobi d’où viennent chaque jour ceux qui survivent grâce aux quelques centimes gagnés par le recyclage des ordures. Les gangs organisent le trafic. À moins de 10 kilomètres, le siège du Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) mène des enquêtes. La majorité des enfants ont des concentrations de plomb excessives dans le sang et des maladies respiratoires chroniques. Le fleuve charrie les déchets toxiques. Dans les sols, du mercure et du cadmium, des métaux lourds dont la toxicité peut causer des dommages au système nerveux. Toutes ces ordures sont celles des gens riches, qui vivent eux à l’ouest de la ville.

Idée reçue no 4 : « Dans les pays riches, on respecte l’environnement »

Raté. Les pauvres trinquent, même dans les pays les plus riches. Les inégalités environnementales se cachent et se débusquent partout où règnent les inégalités sociales. Aux États-Unis, un rapport publié en novembre 2017 par la NAACP (la plus grande organisation noire américaine) et l’ONG Clean Air Task Force, montre qu’un Noir américain respire en moyenne un air 38 % plus pollué qu’un Blanc. Un Noir américain a également 75 % plus de « chances » de résider dans une « fence-line community », le nom donné aux quartiers longeant la clôture (« fence » en anglais) d’une zone industrielle. Ainsi, plus d’un million d’Afro-Américains vivent à moins de 800 mètres d’une installation liée aux gaz et huiles de schiste, qu’il s’agisse de leur transport, de leur raffinage, de leur stockage ou de leur distribution. Plus de 6,7 millions d’entre eux (soit 17 % de l’ensemble de la population noire) vivent dans l’un des 91 comtés des États-Unis où se trouve une raffinerie de pétrole.

Mais les États-Unis n’ont pas le monopole des discriminations. São Paulo, mégapole du Brésil, la 9e puissance économique mondiale, 11 millions d’habitants, a connu en 2014, une pénurie d’eau historique au point d’entraîner des rationnements et des coupures en plein été. Un an avant le paroxysme de la crise, les autorités brésiliennes décidaient de rationner l’eau dans l’est de la ville. Ce sont là où se situent les quartiers les plus pauvres. Et comme si cela ne suffisait pas, la sécheresse à l’origine de cette pénurie, qui a touché la région entre 2013 et 2015, est causée par la déforestation massive de l’Amazonie, au nord du pays. Celle-ci a modifié les volumes de pluies qui tombent dans le sud. Ces dernières décennies, 763 000 km2 de forêt amazonienne ont été rasés. À titre de comparaison, c’est plus que la superficie de la France métropolitaine (551 806 km2) et trois fois la surface de l’État de São Paulo. Les mêmes multinationales encaissent l’argent du commerce du bois. Et de l’argent elles en tirent jusque dans la crise, puisque la compagnie régionale de gestion de l’eau appartient pour moitié à des fonds privés : fonds de pension, actionnaires et banques. En 2016, un an après la crise, la compagnie de gestion de l’eau, la Sabesp, a généré un chiffre d’affaires de 3,5 milliards d’euros, et un bénéfice de près de 750 millions d’euros. Or, selon la loi brésilienne sur les sociétés anonymes, au moins 25 % des gains d’une entreprise doivent être distribués comme dividendes aux actionnaires. Soit 189 millions d’euros. La moitié de cette somme a enrichi les actionnaires privés. Belle plus-value sur le malheur des pauvres gens.

Idée reçue no 5 : « Nous sommes tous égaux face aux désastres »

Bruit, pollution, déchets, produits chimiques… affectent bien plus souvent les pauvres. Les classes populaires subissent une très large part des conséquences néfastes du changement climatique. Et en leur sein, les minorités ethniques, les immigrés et les habitants des outre-mer sont encore plus défavorisés, même en France ! Parce que la voix des habitants pèse moins face à l’État et aux multinationales, les quartiers populaires sont les premiers de cordée face aux désastres.

En France, si la population immigrée d’une ville augmente de 1 %, il y a 29 % de probabilités en plus pour qu’un incinérateur à déchets, émetteur de différents types de pollutions, soit installé. Les incinérateurs ont donc tendance à se trouver à proximité de quartiers populaires ou d’immigration récente, car les populations qui s’y trouvent ont, aux yeux des promoteurs, une capacité moindre à se défendre face aux autorités. Ou bien simplement parce que les autorités préfèrent préserver les catégories aisées de ces nuisances. Fin 2016, les élus franciliens ont donné le feu vert à la construction d’un nouvel incinérateur géant à Ivry-sur-Seine. Coût du projet : 2 milliards d’euros pour les poches de Vinci et Suez. Un demi-million de tonnes de déchets devraient y être traité chaque année à partir de 2023. Pourtant, près de la moitié des déchets des poubelles de Paris et de sa banlieue sont recyclables. Pourquoi ne pas investir cette somme dans une meilleure politique de sensibilisation et de tri ? La maire de Paris Anne Hidalgo a d’ailleurs annoncé des objectifs ambitieux pour rattraper le retard parisien dans ce domaine. Des expériences pilotes sont menées dans les 2e et 12e arrondissements de la capitale. Mais il est vrai que ce n’est pas très chic de poser un incinérateur sous les fenêtres des voisins du bois de Vincennes, ou au pied du siège du CAC 40. Alors la banlieue continuera, elle, de brûler les poubelles de Paris.

Autre exemple de discrimination territoriale : la Seine-Saint-Denis, le 93. Les pics les plus importants de pollution de l’air de l’ensemble du pays y sont enregistrés. Autoroutes A1 et A4, A3, A186, A103 et A104, aéroports de Roissy et du Bourget, échangeurs, voies rapides, 200 000 voitures par jour. Résultat : 192 jours de dépassement des normes européennes en 2012, 73 en 2016. Et puis, au milieu de ce chaos toxique, il y a la maternité la plus dynamique de France : 12 naissances par jour dans un air pollué et dans le vacarme permanent. À Saint-Denis, 36 000 habitants, soit un tiers de la population, seraient exposés à des niveaux de bruit supérieurs au seuil autorisé de 68 décibels. On est loin de la maternité de Neuilly, en bord de Seine et à un petit kilomètre du bois de Boulogne. Cette discrimination est-elle due au hasard ? Pas vraiment. La commune de Saint-Denis, ville polluée, est aussi une des communes où le taux de pauvreté est le plus important : 35 % de sa population vit sous le seuil de pauvreté, contre une moyenne nationale de 14 %.

Les quartiers populaires sont aussi davantage touchés par les grosses chaleurs, en raison de la hauteur des immeubles et de la densité du bâti, du bétonnage et du peu de végétation. Ce à quoi s’ajoutent souvent une mauvaise isolation thermique des bâtiments. Et du fait du changement climatique, cela ne va pas aller en s’arrangeant. L’artificialisation des terres avance en France au rythme de la surface d’un département coulé de béton tous les 7 ans. Les banlieues sont défigurées, et on continue de construire. En témoigne le gigantesque projet de centre commercial EuropaCity, 3 milliards d’euros et la carotte de 11 000 emplois pour anéantir les terres les plus fertiles d’Île-de-France. Que ne ferait-on pas pour offrir comme perspective de vie celle d’un petit soldat du consumérisme aux jeunes de banlieue. Mais ce raisonnement est aussi valable hors des villes. La Meuse, territoire fortement rural et agricole, a été choisie pour accueillir à Bure le projet de poubelle nucléaire nationale. Et pendant que le gouvernement tente d’acheter les consciences, ce territoire subit de plein fouet les conséquences d’un projet pas encore mis en œuvre : le village n’attire plus personne. En 2015, la commune comptait 82 habitants, en diminution de 10 % par rapport à 2010.

Il existe également en France près de 700 sites industriels classés « Seveso », c’est-à-dire des zones soumises à des réglementations strictes car potentiellement sujettes à des accidents industriels majeurs. Les deux tiers de la population résidant dans ces zones sont des habitants de zones urbaines sensibles. Autrement dit des quartiers en difficulté économique et sociale, confrontés plus qu’ailleurs au chômage et à des inégalités d’accès aux services publics. En 2015, les pouvoirs publics ont diagnostiqué 1 247 établissements « sensibles » parmi les 66 000 qui accueillent des enfants jusqu’à 17 ans, situés sur d’anciens sites industriels. Parmi eux, plus de la moitié comporte un risque potentiel lié à la pollution des sols aux hydrocarbures, au plomb ou aux solvants chlorés. Ils sont classés par catégorie, la catégorie C regroupe les établissements pour lesquels les diagnostics ont montré la présence d’agents polluants et qui nécessitent la mise en œuvre de mesures techniques ou sanitaires. 101 établissements (8 %) figurent dans cette catégorie. Sur ces 101, dix concernent des établissements de la métropole de Rouen. Plus précisément situés au Petit-Quevilly, dont 23 % des 23 000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté, et 20 % sont au chômage. Des scores nettement supérieurs aux moyennes nationales. Double peine pour les enfants de précaires. Un millier d’établissements français potentiellement pollués n’ont toujours pas été analysés. À Paris, par exemple, seules les crèches ont été testées. La première vague de résultats serait-elle trop gênante ?

Idée reçue no 6 : « Mais Macron, il est écolo lui »

Il est clair que les inégalités environnementales se creusent par les intentions des riches de repousser les nuisances environnementales hors des zones de vie des classes dominantes. Rien qu’à Paris, les catégories les plus aisées vivent à proximité de poumons verts : bois de Vincennes et de Boulogne. Pourtant ce sont ces mêmes classes aisées, par leurs habitudes de vie et leurs modes de consommation (voyages en avion, plusieurs voitures par foyer, etc.) mais aussi indirectement via les pratiques d’évasion fiscale ou tout simplement le soutien financier au capital des plus grandes multinationales, qui sont les premières responsables des bouleversements climatiques.

Loin de mettre en œuvre une politique environnementale qui réduirait les inégalités sociales, l’ère Macron est celle d’un gouvernement par et pour les riches. Inutile de rappeler les cadeaux fiscaux aux plus riches dont vont en premier lieu bénéficier les ministres du gouvernement. Muriel Pénicaud, fossoyeuse du travail, économisera 62 000 euros par an d’impôt de solidarité sur la fortune. Autant d’argent qui ne servira pas à la transition écologique nationale. En parallèle, les catégories populaires bénéficient assez peu des politiques publiques visant à améliorer l’environnement. Prime à la rénovation énergétique, à l’achat d’une voiture ou d’un vélo électriques, les dispositions qui vont être mises en œuvre par le gouvernement demandent un investissement de départ important. Les personnes aux revenus modestes n’auront pas vraiment les moyens d’en profiter ! Pire, les chantiers de rénovation urbaine ou d’écoquartiers, nouvelle forme de gentrification, ont pour effet (ou objectif ?) de chasser toujours plus loin les populations paupérisées et précarisées, pour lesquelles les trajets vont s’allonger et se multiplier. Elles devront prendre leur voiture, tout en culpabilisant de ne pas avoir les moyens d’en avoir une électrique – « parce que ça pollue moins » –, et être les premières concernées par la mortalité routière. La mobilité version start-up.

Avec son formidable coup de com’ « Make Our Planet Great Again » face à Trump, Emmanuel Macron a réussi à s’installer comme ambassadeur international de l’écologie. Mais entre les intentions sur la scène mondiale et les actes à l’échelle nationale, le fossé est loin de se combler. Rien de tel qu’un peu de peinture verte pour donner un coup de jeune à la vitrine. Et surtout permettre à ceux que le gouvernement protège de polluer toujours plus et de ne rien subir.

 

Cet article a été publié dans le numéro 13 de Frustration, hiver 2017

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