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Michel Sapin est un ministre important du gouvernement de Manuel Valls. Il a été ministre du Travail, puis des Finances et des Comptes publics, attributions auxquelles s’est ajoutée, fin août, l’Économie. Il est à ce titre un chantre de l’austérité et de la prudence budgétaire, incitant les Français à se serrer la ceinture. Or, ce régime a nettement profité aux grandes entreprises, qui ont quant à elles bénéficié des largesses budgétaires et du laxisme réglementaire du gouvernement. Michel Sapin s’est particulièrement illustré dans cette bienveillance générale à l’égard du secteur privé : de sa promotion du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) à sa réalisation d’une loi très molle contre la fraude fiscale (« Sapin 2 »), en passant par son refus de réclamer à Apple les impôts que le géant américain devait à la France, il est devenu de plus en plus évident que l’action du ministre de l’Économie et des Finances ne jouait pas en faveur de la majorité des citoyens. Si Michel Sapin ne travaille pas pour nous, pour qui travaille-t-il donc ?

Michel Sapin travaille d’abord pour les actionnaires des entreprises privées

Le ministre de l’Économie et des Finances est l’un des actuels responsables du Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), un ensemble de mesures de réductions d’impôts pour les entreprises mis en place en 2013 et géré par Bercy (son ministère). Le coût pour les finances publiques s’élèvera à 40 milliards d’euros en 2017 (pour rappel, le déficit de la Sécurité sociale était de 20 milliards d’euros en 2009 et 13 milliards d’euros cette année[1]). Michel Sapin, comme la plupart des ministres de Hollande, a défendu cette mesure en arguant du fait qu’elle créerait un « choc de compétitivité » : grâce à tout cet argent, les entreprises investiraient dans l’innovation et la masse salariale, deviendraient plus fortes à l’international et des centaines de milliers d’emplois seraient créées. En janvier dernier, lors d’une visite dans le Loiret, le ministre précisa que le CICE était en fait un « effort de la Nation[2] » pour retrouver le plein emploi.

Quel est le résultat de cet « effort de la Nation » ? Le 29 septembre 2016, France Stratégie (ex-Commissariat au plan), un organisme de recherche et de prospective rattaché au Premier ministre, a publié un rapport détaillé et basé sur des données recueillies entre 2013 et 2015[3]. Ses conclusions sont sans appel : le CICE n’aurait eu aucun impact sur l’investissement et les exportations, aucun effet positif sur les salaires et probablement aucun effet sur l’emploi. En revanche il a très clairement permis aux entreprises d’augmenter leurs marges. Ce que le très prudent rapport ne dit pas, c’est que ces trois dernières années, la France a connu des records de versement de dividendes aux actionnaires. Cela fait d’ailleurs trois ans qu’elle est la championne d’Europe en termes de coût du capital[4]. Il est donc facile d’en déduire la destination finale de l’argent des citoyens français, et Michel Sapin est l’un des plus grands artisans de cette redistribution des richesses vers le haut.

Michel Sapin travaille pour les intérêts des grandes multinationales

Sur le plan fiscal, il est bien connu que la mondialisation permet aux grandes entreprises de jouer sur les différences entre les systèmes fiscaux pour payer le moins possible. En s’implantant dans des pays où la législation fiscale est très peu contraignante, des multinationales comme Apple, AirBnb ou Starbucks se débrouillent pour payer le moins d’impôts possible. Ces dernières années, Apple a implanté ses activités européennes en Irlande, où un gouvernement jouant à fond la carte du dumping fiscal (la concurrence entre États pour baisser les impôts et attirer des grandes entreprises) lui offrait un taux d’imposition inférieur à 2 %. La Commission européenne a estimé cet été que ce taux était une aide masquée à l’entreprise et a exigé de la part de celle-ci le remboursement de 13 milliards d’euros d’impôts non versés à l’Irlande, tout en précisant que les États qui avaient été lésés par cet abus pouvaient eux aussi réclamer leur dû. L’Autriche et l’Espagne ont engagé cette procédure, mais pas la France. Michel Sapin s’y oppose, sous prétexte qu’il serait difficile d’établir le préjudice subi par la France. Pourquoi une telle passivité ?

La collaboration du ministre des Finances avec les multinationales est encore plus évidente si l’on considère le sabotage qu’il a orchestré de sa propre loi anti-fraude fiscale. La semaine dernière, la loi dite « Sapin 2 » a vu l’une de ses mesures démontée par le ministre lui-même et retoquée grâce au retour dans l’hémicycle de députés qui étaient allés faire un tour[5]. Il s’agissait pourtant d’une mesure ambitieuse, réclamée par les ONG spécialistes de l’évasion fiscale et de la lutte anti-corruption, et qui consiste à demander aux grandes entreprises de faire connaître aux autorités toutes leurs activités dans des pays étrangers et notamment leur taux d’imposition et leurs bénéfices. Le « reporting pays par pays » permettrait de savoir ce que fait Total dans les pays africains ou si telle ou telle banque a une filiale au Panama… Rappelons que l’évasion fiscale représente un manque à gagner estimé à 60 milliards par an pour la France. En faisant adopter, sous des prétextes plus ou moins fallacieux (il faudrait attendre que l’Europe le fasse avant de le faire, pour ne pas faire cavalier seul, par exemple), une version molle d’un projet de lutte contre la fraude fiscale, Michel Sapin fait semblant de lutter contre elle.

D’ailleurs, un volet concernant le contrôle des lobbies dans cette même loi a aussi été très allégé sur intervention du ministre : alors que la version initiale du texte réclamait l’inscription de toutes les sociétés dont l’activité d’influence des hauts fonctionnaires, députés et membres du gouvernement est « principale et accessoire », une modification stipule désormais que seules celles pour qui cette activité est « principale ou régulière » y seront contraintes[6]. On imagine bien le flou juridique que cela crée, et les arrangements que cela peut susciter. Michel Sapin contribue donc personnellement à rendre notre société impuissante face aux combines des multinationales.

Michel Sapin travaille pour ses propres intérêts

Michel Sapin est millionnaire. Il possède pour plus de deux millions d’euros de patrimoine, notamment en biens immobiliers. Cet argent, il le doit à son statut de haut fonctionnaire, à son héritage et à ses multiples indemnités d’élu et de ministre, lui qui est dans la vie politique depuis des décennies : il était déjà ministre de l’Économie et des Finances d’avril 1992 à mars 1993, il y a 24 ans ! En tant que ministre il touche 7 SMIC mensuels (sans compter tous les avantages en nature) et a été, entre autres, député (plus de 5000 € nets mensuels) et maire. Jeudi dernier, le tribunal administratif de Limoges a estimé qu’il avait perçu à tort des majorations d’indemnités pendant 5 ans, en tant que maire de la commune d’Argenton-sur-Creuse. Une prime s’élevant à 100 000 euros, tout simplement. En salaire, le ministre se situe parmi les 2 % de Français les plus riches. En patrimoine, il se situe parmi le 1 % de Français les plus fortunés.

Michel Sapin n’est donc pas un homme d’État qui trahirait son devoir pour aider les puissances de l’argent. Il fait partie des puissances de l’argent. Il n’est donc pas corrompu, il est cohérent. Car Michel Sapin a tout d’un grand bourgeois. Il en possède les réseaux, les revenus, le patrimoine et le pouvoir. Comme tous les grands bourgeois, il est d’abord solidaire de sa classe. Aider les riches lui réussit plutôt bien lui-même, car c’est cela être un homme de l’élite : en aidant vos semblables, vous vous aidez vous-même.


[1] Voir notre article sur les exonérations de « charges patronales » qui ne créent pas d’emploi : « Arnaque au coût du travail », dans Frustration n°8, disponible en librairies (automne 2016).

[2] http://www.leparisien.fr/flash-actualite-economie/michel-sapin-en-service-apres-vente-sur-le-cice-22-01-2016-5476405.php.

[3] Accessible en intégralité sur son site, ici: http://www.strategie.gouv.fr/publications/rapport-2016-comite-de-suivi-credit-dimpot-competitivite-lemploi.

[4] On reproche souvent à la France un coût du travail élevé, mais on parle moins du coût du capital : l’appétit des actionnaires à qui les entreprises versent toujours plus : http://www.lesechos.fr/finance-marches/marches-financiers/0211219941592-les-dividendes-ont-bondi-de-plus-de-11-en-france-2022203.php.

[5] Révélé par nos confrères de Politis ici : http://www.politis.fr/articles/2016/10/evasion-fiscale-comment-le-gouvernement-a-encore-bloque-un-amendement-decisif-35481/.

[6] Pour l’association de protection des fonds marins BLOOM, cette loi a été transformée en « gruyère » sur intervention gouvernementale. Voir son communiqué ici : https://www.bloomassociation.org/lencadrement-lobbies-loi-sapin-2-gruyere/.