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LES CINQ BONNES RAISONS DE NE PAS JETER LE BÉBÉ AVEC L’EAU DU BAIN

La haine de l’impôt est un sentiment qui se répand dernièrement comme une traînée de poudre. Le travailleur qui peine à boucler son mois et le rentier qui veut garder son or se rejoignent pour contester l’impôt. Par haine de l’impôt, nous nous retrouvons à faire preuve d’empathie envers des puissants qui seraient « spoliés » de leurs biens par l’État, et à voir les plus pauvres comme des « assistés ».

Cette mascarade a trop duré. Il est temps de rétablir quelques vérités sur la fiscalité. Vous payez vos impôts la mort dans l’âme ? C’est terminé : Frustration vous donne les cinq bonnes raisons de le faire avec entrain.

« Trop d’impôt tue l’impôt », « l’impôt est un frein à la croissance », « l’impôt est confiscatoire » et même « l’impôt c’est le vol ! » En plus l’impôt ne servirait qu’à payer des fonctionnaires fainéants, des ronds-points inutiles magouillés entre sociétés de BTP et élus locaux, ou le train de vie fastueux des hommes politiques. C’est sûr, tout n’est pas net dans l’utilisation que font nos élus des finances publiques et on peut remettre en cause le bien-fondé de certaines taxes.

Mais voilà, l’impôt est désormais ressenti comme injuste, l’État s’approprierait l’argent que les citoyens, riches, moyens ou pauvres, se seraient gagné par leur travail. On reproche au prélèvement (fiscalité) d’être injuste et à l’utilisation qui est faite des recettes (dépenses) d’être inefficace, puisque les inégalités sociales et le déficit de l’État se creusent.

Alors, d’un « ras-le-bol » de principe quand il faut passer à la caisse, on arrive à la haine qui se propage dans toutes les couches de la population. Les faibles revenus ont la tête sous l’eau parce que le coût de la vie augmente et que les salaires stagnent pour ceux qui ont la chance de travailler. Les plus riches, « capitaines d’entreprises » menacent eux de quitter le navire France en perdition, car l’État leur « fait les poches » (impôt sur la fortune, sur les successions, taxe à 75 %) au lieu de « libérer les énergies » créatrices d’emploi.

Cette alliance a lieu au quotidien dans les discours qui excusent les très-riches, fraudeurs ou exilés fiscaux. Parce que c’est un crève-cœur de donner l’argent qu’on a gagné, surtout quand on ne sait pas vraiment à quoi il va servir et qu’on en aurait bien besoin, pour tout cela on est tenté de comprendre ces très-riches qui menacent de quitter le pays qui les « rançonne ». Après tout ils ont bien raison ces acteurs vieillissants et ces sportifs sans patrie qui récoltent des millions d’être domiciliés en Suisse ou en Russie, car ils ne doivent leurs gains qu’à leur talent ? Ils ont bien raison ces milliardaires soi-disant chefs d’entreprise, en fait financiers, d’émigrer en Belgique et en Angleterre, sous prétexte qu’ « en France on est contre la liberté d’entreprendre » ? C’est oublier un peu vite que les films des uns ont été financés par les taxes sur les places de cinéma que nous payons, que les autres ont été formés en France, que les entreprises des derniers font des bénéfices sur le territoire en vendant des produits soumis à la TVA que nous payons.

Cette alliance contre-nature s’est vérifiée dans un mouvement social comme celui des « Bonnets rouges » qui, à l’automne 2013, a rassemblé des ouvriers syndiqués, de « gros » agriculteurs, des industriels de l’agro-alimentaire, des élus. Tout ce petit monde contre l’application en Bretagne de l’écotaxe (taxe pour lutter contre la pollution des transports routiers de marchandises).

Un impôt peut donc rallier contre lui des individus et groupes sociaux très différents. Pourtant nous ne sommes pas égaux face à la fameuse « pression fiscale » et il faut bien distinguer les raisons de la haine et voir si certaines sont légitimes.

 

LE MARIAGE DE LA CARPE ET DU LAPIN

« On paie presque un mois de salaire en impôt sur le revenu alors qu’on travaille comme des chiens ». Pour monsieur et madame Tout-le-monde la pression financière est difficile à supporter : le coût de la vie est impossible à suivre, ne serait-ce que les traditionnelles augmentations tarifaires du 1er janvier (gaz, électricité, SNCF, etc.), les frais de santé de moins en moins bien remboursés si l’on n’a pas une complémentaire coûteuse, etc., etc. Le SMIC lui n’a augmenté que de 8 euros mensuels en janvier dernier. Là-dessus arrivent les impôts : impôts locaux qui ne cessent d’augmenter et impôt sur le revenu qui peut représenter près d’un mois de salaire net pour un célibataire sans enfant. La goutte d’eau qui fait déborder le vase pour certains travailleurs qui espèrent la juste récompense de leur mérite personnel.

« La taxe à 75 % est confiscatoire ». C’est le Conseil constitutionnel qui le dit, reprenant les « éléments de langage » fournis par les très-riches. De quoi parle-t-on ? D’une taxe sur les tranches supérieures à 1 million d’euros des salaires annuels, taxe créée par « la gauche » lors de son arrivée au pouvoir en 2012 : une « contribution exceptionnelle des plus grandes fortunes en temps de crise », prévue pour durer deux ans. Une taxe qui a rapporté 260 millions d’euros pour 2013 – une paille –, dont 20 millions réglés par le Paris Saint-Germain football club, car la fortune des très-riches ne provient pas tellement des salaires mais des revenus des richesses déjà accumulées (dividendes boursiers, loyers, placements, …).

Pour les grandes fortunes françaises, cette taxe du candidat Hollande qui faisait office d’étendard « de gauche » a constitué la goutte d’eau qui a fait déborder le vase de Chine. Elle leur est tombée dessus comme la misère sur le pauvre monde. Bernard Arnault, 10ème fortune mondiale (classement Forbes, 2013), a immédiatement réagi en refusant cette contrainte liée à sa patrie et en demandant à devenir belge. Ce que monsieur et madame Tout-le-monde n’ont pas le loisir de faire. Il assumait alors de ne pas être français d’abord mais riche avant tout. Quand la Belgique a rejeté par trois fois sa demande de naturalisation, Bernard Arnault l’a retirée in extremis avant la décision définitive et a expliqué au Monde vouloir « par ce geste, exprimer [son] attachement à la France et [sa] confiance en son avenir » (10 avril 2013). Bon prince.

La taxe à 75 % aura servi de prétexte aux plus riches pour partir en croisade contre la fiscalité de la France qui les détesterait. Selon les privilégiés, l’impôt sur le revenu, reposerait trop sur les plus riches : le 1 % qui gagne le plus, règle 30 % de la note totale alors qu’en 2015 plus de la moitié des foyers fiscaux (53 %) ne paieront pas l’impôt sur le revenu. Pierre Gattaz, « patron des patrons », appelle lui à la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune, le fameux ISF.

Les grandes fortunes mélangent ainsi deux arguments : l’un macro-économique (« sans nous, pas d’investissements, donc pas d’emploi donc une mort lente »), l’autre patrimonial (« pour transmettre entreprises, actions et patrimoine immobilier aux petits Philothée et Théophile »). Comme si ça ne suffisait pas que leurs rejetons récoltent le prestige des grandes écoles publiques et qu’ils les placent dans le conseil d’administration de l’entreprise d’ « oncle Amaury » ! C’est donc cela une économie libérée de ses blocages ?

« Les socialos vous rackettent ». Voilà la réponse du Front national à la colère ambiante. Mais si quelqu’un nous rackette, ce n’est pas particulièrement le gouvernement de Valls. Bien au contraire, la classe politique dans son ensemble – en tête les socialistes au pouvoir – manifeste elle aussi sa haine de l’impôt : « Le temps est venu de faire […] une pause fiscale » (François Hollande au Monde le 30 août 2013), « Ça suffit ! Trop d’impôt, selon la vieille formule, tue l’impôt et tue surtout la compétitivité de notre pays » (Manuel Valls sur TF1 le 11 mai 2014).

Les responsables politiques, prompts à faire de la pédagogie pour nous expliquer l’utilité de travailler le dimanche parce que sinon les touristes chinois iront en Angleterre, attisent la haine de l’impôt. Pourquoi souffler sur les braises de la révolte fiscale ? Parce que cette alliance de tous contre l’impôt leur permet de mener une politique de classe visant à réduire l’imposition des plus riches. Car les puissants sont leurs alliés qui leur ont permis d’accéder au pouvoir via le matraquage effectué par leurs groupes de presse. Le personnel politique a donc le bon goût de leur rendre la pareille. Les gouvernements de droite comme de gauche mènent en conséquence une politique fiscale en faveur des plus riches. Et déjà en 1871, le chef du gouvernement, Adolphe Thiers, ne tenait pas un autre discours que nos élites politiques du jour : « Le peuple n’a pas besoin […] d’appauvrir le riche pour être heureux lui-même. » Hé si !

Pendant la campagne présidentielle, le candidat Hollande prévoyait pourtant une « grande réforme fiscale ». Il s’était adjoint Thomas Piketty en tant que conseiller, un économiste qui dénonce la faible imposition du capital (les possessions accumulées) qui a pour effet de creuser les inégalités. Piketty, avec Camille Landais et Emmanuel Saez, proposent une profonde réforme visant à rétablir un impôt juste et progressif dans le livre et sur le site Pour une révolution fiscale. Une fois « aux responsabilités », François Hollande a écarté ce conseiller gênant, le renvoyant à ses études soi-disant incompatibles avec « l’exercice du pouvoir ».

Mais voilà, lui président, Hollande a reculé face à l’ampleur de la tâche et aux pressions à affronter. Lui président, il n’a pas mis en oeuvre de « grande réforme fiscale ». Lui président, il a continué les cadeaux aux très-riches. Lui président, il a consenti des crédits d’impôts aux entreprises sans contrepartie qui finiront dans la poche des actionnaires des grandes entreprises. Lui président, il a choisi son camp. Car grandes entreprises et très-riches sont les deux faces d’un même louis d’or : une minorité qui possède le capital des grandes entreprises et obtient des dividendes, qui les dirige et obtient de fortes rémunérations.

Jugez plutôt : en janvier 2013, le Crédit impôt compétitivité emploi (CICE), 32 milliards d’allègements fiscaux aux entreprises sur 2 ans ; en janvier 2014, le fameux « pacte de responsabilité et de solidarité », 10 milliards d’euros annuels supplémentaires d’aides aux entreprises. Le tout financé par un serrage de ceinture généralisé et par l’augmentation de la TVA notamment dans le secteur des services à la personne. Grâce à ce pacte, depuis le 1er janvier 2015, l’heureux nouvel employeur d’un salarié au smic ne paie plus aucune cotisation de sécurité sociale. Quel est alors l’intérêt d’un employeur ? Embaucher plus ou embaucher au smic et présenter un meilleur taux de rendement à ses actionnaires ?

Hollande a peu ou prou poursuivi la politique fiscale de Sarkozy qui, on s’en souvient, avait instauré le « bouclier fiscal » (2009-2011) pour ses amis milliardaires ou simples millionnaires : les très-riches pouvaient demander à l’administration de leur rendre une partie de ce qu’ils avaient payé si cela dépassait 75 % de leurs revenus (sachant qu’ils ont bien d’autres rentrées d’argent que leur revenu).

En refusant la légion d’honneur début janvier, Thomas Piketty n’a fait que marquer sa déception envers un gouvernement qu’il espérait « de gauche » mais qui mène une politique fiscale pour les puissants.

Haine chez les bas-revenus, haine chez les très-riches, haine chez le personnel politique, chaque jour l’impôt est remis en cause. Le danger qui nous guette tous, y compris les personnes qui vivent confortablement, c’est de rejeter l’impôt en chœur avec la minorité privilégiée qui veut nous faire adhérer à son discours. Pour diminuer l’imposition, il n’y aurait pas trente-six solutions : « couper » dans le budget de l’État. Qu’est-ce qui coûte cher dans ce budget ? Le service public (« fainéants privilégiés »), les prestations sociales (« fainéants assistés »), tout ce qui « fait blocage à une plus grande compétitivité du pays ». Ce discours n’a qu’un intérêt : libéraliser toute l’économie afin qu’une minorité ultra-riche engrange davantage de bénéfices. Adhérer à ce discours anti-impôt et anti-État, c’est se tirer une balle dans le pied pour avoir l’impression de faire diminuer sa facture. S’il y a bien une cartouche à tirer pour nous en sortir, c’est celle de l’imposition des plus riches.

Il n’en reste pas moins que le sentiment d’injustice que ressentent beaucoup de Français est légitime pour certaines raisons. Car l’impôt a perdu un peu de son sens : la mise en commun d’une partie des richesses, en fonction des possibilités de chacun. Il est temps de le regarder en face et de lui dire ses…

 

QUATRE VÉRITÉS

  1. Les riches paient moins d’impôts que les revenus faibles et moyens

Dans l’ensemble, l’imposition réelle globale est devenue régressive (légèrement progressive pour les personnes aisées et nettement régressive pour les très-riches). Aujourd’hui les très-riches (1 % de la population, plus hauts revenus de plus de 14 000 euros bruts/mois) ont moins de prélèvements obligatoires que les classes populaires (50 % de la population, plus bas revenus de 1 000 à 2 200 euros bruts/mois). Si vous êtes parmi cette moitié de la population, vous êtes globalement imposé à 45 % de vos ressources. Les ultra-riches (0,1 %) sont imposés à 35 %. Liliane Bettencourt est imposée à 14 %.

À cet état de fait plusieurs raisons :

L’imposition qui rapporte le plus à l’État est foncièrement injuste : la TVA. Celle-ci a rapporté 144,4 milliards d’euros en 2013 quand l’impôt sur le revenu a rapporté 68,6 milliards. On parle toujours de l’impôt sur le revenu alors qu’il est relativement symbolique (dans les recettes de l’État, pas dans nos portefeuilles). Or la TVA est injuste car régressive : c’est un impôt sur la consommation qui, pour un salarié modeste, représente 12 % des dépenses, alors que quand on a de hauts revenus, elle n’en représente plus que 6 %.

L’impôt sur le revenu est s’en prend de moins en moins aux très hauts revenus. Le « taux marginal d’imposition » (taux maximal d’imposition sur les tranches de revenus les plus élevées) est passé de 65 % en 1986 à 45 % aujourd’hui.

Les impôts locaux révèlent aussides injustices : depuis 2003, l’État délègue de nouvelles compétences aux collectivités locales qui sont donc dans l’obligation de se financer pour les mettre en œuvre. La fiscalité se déplace de fait vers les prélèvements locaux, sans pour autant faire baisser les prélèvements nationaux. Le montant total des cotisations de la taxe foncière a augmenté de 22 % entre 2005 et 2010. Or la taxe foncière dépend d’où l’on vit : les villes où elle est le moins élevée sont celles de l’ouest de l’agglomération parisienne (Neuilly-sur-Seine, Courbevoie, Boulogne-Billancourt, Versailles, Nanterre, Paris), là où sont situés les sièges des grandes entreprises et là où vivent les quelques très-riches français qui n’ont pas déménagé à Bruxelles ou à Londres.

Le patrimoine (possessions accumulées) est faiblement taxé. L’impôt de solidarité sur la fortune, avec lequel nous font tant pleurer ceux qui en sont redevables, ne représente que 4,4 milliards de recettes en 2013. Et s’il touche parfois des personnes qui ont reçu en héritage une fermette sur l’île de Ré dont la valeur a explosé, l’administration fiscale est là pour veiller au bien-fondé de l’imposition. L’impôt sur la fortune a pour but de taxer avant tout à ceux qui confisquent le patrimoine français : en 2010, les 10 % les plus riches possédaient 48 % du patrimoine alors que les 80 % les moins riches en possédaient 35 % (inégalement répartis évidemment).

Donc le patrimoine issu du passé gonfle toujours plus dans les mains d’une minorité qui, en plus, s’affranchit des droits de succession : on peut donner à ses enfants ou petits-enfants 100 000 euros par parent et par enfant tous les 15 ans sans s’acquitter de ces droits. Un beau pactole pour les petits Philothée et Théophile si l’on s’y prend tôt !

 

  1. L’évitement et la fraude ne sont pas des cas isolés

Il faut bien distinguer les procédés légaux d’ « optimisation fiscale » des procédés illégaux de fraude. Mais le cumul des deux représente un énorme manque à gagner pour les recettes fiscales.

Les procédés légaux proviennent des politiques mises en place pour orienter les investissements privés et pour épargner les plus riches. Si vous avez déjà feuilleté L’Express dans la salle d’attente de votre médecin, vous avez pu lire ce genre d’article : « Les ménages fortunés cumulent les parades pour esquiver impôts et taxes. Quels sont les ingénieux dispositifs qui peuvent vous permettre à vous aussi d’amoindrir votre facture fiscale ? Voici leurs 6 principaux secrets. » On y apprend qu’il ne faut pas trop bricoler sa voiture de collection, s’affranchir des droits de succession avec la transmission transgénérationnelle, et autres trucs et astuces. Oh bien sûr, les riches n’ont pas que des hebdomadaires à consulter pour « optimiser » leur imposition. Ils ont des conseillers en patrimoine et des banquiers privés qui leur dénichent des solutions pour faire baisser la facture.

Par exemple les niches fiscales, conçues initialement pour orienter l’investissement vers certains domaines, sont aujourd’hui devenues synonymes d’exonérations qui n’ont aucune raison d’être, suite à la pression exercée par les très-riches. Selon un rapport de l’Inspection générale des Finances, en 2008, environ 200 niches fiscales correspondaient à un manque à gagner de 39 milliards d’euros par an pour l’État. Aujourd’hui, ce seraient plus de 50 milliards de recettes qui nous échappent quand les intérêts de la dette publique ont coûté au pays 45 milliards d’euros en 2013.

La domiciliation dans les « paradis fiscaux » est aussi une pratique courante des grandes entreprises, pratique légale dans la mesure où les bénéfices sont taxés là où l’activité est réalisée. LVMH, le groupe de Bernard Arnault détient 420 sociétés dont 140 sont localisées dans des paradis fiscaux. Cette pratique s’appelle l’ « évasion fiscale ». Remarquez les connotations : on “s’évade” d’une prison (ici) pour aller vers un « paradis fiscal » qui s’oppose à l’enfer de la France où l’on paie encore un peu d’impôts !

Certaines multinationales et certains particuliers qui ont leur fortune pour nation franchissent les bornes de la législation fiscale et se retrouvent en situation de fraude. L’administration fiscale française tente actuellement un redressement fiscal sur Google qui devrait entre 500 millions et 1 milliard d’euros à l’État, davantage que le produit de la taxe à 75 %.

Car les plus riches et les puissants en général, grandes entreprises, milliardaires, personnel politique, s’excluent des règles qu’ils édictent ou font édicter aux gouvernements. Ces règles ne sont pas pour eux. On a vu un ministre délégué au Budget, Jérôme Cahuzac, posséder un compte en Suisse non déclaré. Mais il est loin d’être le seul. Et la plupart ne se contentent pas d’un compte en Suisse. Il y a tout un arsenal de l’évasion fiscale, des experts, des banques privées, banques d’affaires qui gèrent des portefeuilles avec de nombreuses valeurs dans les paradis fiscaux. Ces sommes cachées au fisc vont gonfler des patrimoines juteux mis à l’ombre.

Une enquête internationale de journalistes d’investigation, Offshore leaks, a révélé que la fraude n’était pas un problème individuel mais une fuite massive qui représente un manque à gagner de 60 à 80 milliards d’euros par an pour la France, au bas mot. Le déficit du budget de l’État français en 2013 était de 69,2 milliards d’euros. Le calcul est simple : faire déjà respecter la loi actuelle permettrait à la France de ne plus continuer à s’endetter chaque année !

Sauf que les magistrats chargés d’enquêter sur la fraude fiscale ont toujours moins de moyens. Et les fraudeurs pris ont droit à une négociation avec l’administration fiscale. Pourtant, en voilà une activité qui pourrait être juteuse ! Médias et hommes politiques préfèrent bien souvent « lutter contre les fraudes sociales » commises par les « assistés ». Elles représentent 20 milliards d’euros par an dont 16 milliards de cotisations patronales manquantes (travail au noir principalement). Qui coûte le plus cher : les “assistés” ou les privilégiés ?

  1. L’impôt en France n’est pas « confiscatoire »

On nous dit toujours que la France est le pays de l’impôt comme l’Italie est celui de la pizza, que la pression fiscale est bien plus forte qu’ailleurs, ce qui justifie de s’installer en Belgique, en Suisse, en Angleterre ou en Russie. Qu’en est-il en réalité ? L’impôt en France représentait, en 2012, 47 % du PIB (les richesses créées en une année). Au Danemark, le taux global est de 49 %, en Allemagne de 40,4 % et la moyenne de la zone euro est de 41,7 %. La France a donc un taux d’imposition relativement élevé mais pas complètement différent de celui de ses voisins européens. Et surtout l’Hexagone se distingue par la part des cotisations sociales dans les prélèvements obligatoires : 17 % contre 14,7 % en moyenne dans la zone euro. Donc l’imposition importante en France sert à financer notre système de protection sociale : l’impôt n’est pas confiscatoire, il est à la mesure de la qualité de notre système de santé, de chômage, de retraite.

  1. L’impôt n’est pas néfaste pour l’économie

Les économistes qui se mettent au service des grandes fortunes inventent des théories pour expliquer que « trop d’impôt tue l’impôt ». La « courbe de Laffer » par exemple démontre sans preuve aucune que l’activité économique diminue quand il y a un fort taux d’imposition. Selon Laffer, les riches ne prennent pas la peine d’investir s’ils doiivent reverser une grande partie de leurs gains. Le « trickle down » (théorie du ruissellement), lui, prouve que l’argent des riches serait réinvesti dans l’économie par le biais de leur consommation et de leurs investissements. Bah oui, c’est pour ça qu’il faut les garder chez nous et ouvrir encore plus de magasins de luxe qui prolifèrent pourtant déjà comme des champignons dans des vestiaires ! En 2013, les ventes dans le secteur du luxe ont augenté de 19,4 % en France. Drôle de crise !

Ce sont des théories sans fondement. Des impôts bien utilisés sont investis en partie dans des infrastructures qui permettent à leur tour le développement économique. Alors que la confiscation des richesses par une minorité ne conduit qu’à un appauvrissement d’une immense majorité de la population et non au « ruissellement » des richesses.

Nous en voulons pour preuve que les pays du nord de l’Europe où le taux d’imposition est fort (Danemark ou Suède) sont dits plus « développés » économiquement que ceux du sud ou de l’est où le taux est faible (Roumanie, Bulgarie).

Quant à la “compétitivité” de la France au niveau international, elle est déjà très importante. Comme dans toute l’Europe, l’imposition sur les multinationales fond comme neige au soleil, ce qu’on appelle le dumping fiscal : les entreprises mettent les États en concurrence. En réalité l’impôt sur les entreprises se concentre sur les petites et moyennes entreprises : les entreprises du CAC 40 sont taxées à 8 % en moyenne contre 28 % pour les PME. On nous dit qu’il ne faut pas « décourager les investisseurs » alors que ce sont les travailleurs et non les grands investisseurs qui sont chaque jour découragés.

 

L’impôt tel qu’il existe actuellement est injuste. On est donc tenté de le rejeter en bloc. Mais il est injuste uniquement pour les revenus faibles et moyens qui paient davantage que les très-riches qui ont bénéficié d’une désimposition généralisée depuis les années 1980.

On est en train de revenir à une fiscalité d’Ancien Régime, d’avant la Révolution : l’impôt repose sur les ménages, c’est-à-dire les travailleurs, davantage que sur les propriétaires. Le sens de l’impôt a été inversé : c’est maintenant un outil d’accroissement des inégalités, frappant ceux qui ne peuvent pas s’en défendre.

Alors qu’il faudrait au contraire le blinder car les inégalités se creusent avant même son intervention : ce que rapporte le patrimoine (profits, dividendes, intérêts, loyers) ainsi que les rémunérations exponentielles du secteur de la finance augmentent nettement plus rapidement (6-7 % par an) que les revenus du travail qui sont la seule ressource d’une large majorité de la population.

Une lueur d’espoir existe : les Français qui, selon un sondage publié dans Le Monde en octobre 2013, trouvaient à 72 % l’impôt excessif, aiment ce même impôt quand il prend en compte les moyens de chacun : 75 à 80 % adhèrent aux impôts progressifs, les plus justes. L’amour de l’impôt serait donc possible avec une fiscalité plus juste ! Ça tombe bien, de plus en plus des voix parmi les spécialistes de l’économie et du droit fiscal s’élèvent pour dire qu’un impôt plus juste est possible. C’est pourquoi Frustration vous donne aujourd’hui les…

 

CINQ BONNES RAISONS DE NE PAS JETER LE BÉBÉ AVEC L’EAU DU BAIN

  1. L’impôt, base du pacte social

Qui mieux que l’impôt peut nous faire prendre conscience de notre appartenance à la société française ? Quand on est salarié, la fiche de paie indique un brut et un net. Ce n’est pas pour nous faire rêver au salaire brut que nous aurions pu toucher mais pour nous indiquer nos cotisations sociales, notre participation au système de protection sociale.

Comment renforcer le rôle de l’impôt dans le pacte social ? En élargissant « la base » de ceux qui le paient : concrètement que chacun participe ne serait-ce qu’un tout petit peu à l’impôt sur le revenu, le plus symbolique. En inventant une culture de l’impôt qui nous apprendrait pour quoi on paie.

  1. L’impôt, base du « modèle social »

On sait ce qu’on paie mais on sait moins ce qu’on récupère. Car l’impôt a pour rôle de redistribuer les richesses. Quel serait le coût de la vie sans les impôts ? C’est la question que s’est posée le syndicat Solidaires Finances publiques. Voici quelques éléments de réponse : une année de collège unique, 8 000 euros, une salle des fêtes, 2,8 millions d’euros, un accouchement, 3 500 euros, une année de traitement contre le cancer, 9 000 euros.

On a tendance à considérer les acquis sociaux comme des droits. Or ce sont précisément des acquis maintenus grâce aux impôts. Quels sont ces acquis ? Des infrastructures publiques, un enseignement laïque et gratuit, des prestations familiales, une assurance chômage, un système de retraite, une assurance maladie : le fameux “État-providence”. En 2014, l’État a investi 46,3 milliards dans l’enseignement scolaire et 32,2 milliards dans l’emploi, la solidarité et la santé.

Ces acquis sont mis en danger par les politiques fiscales épargnant les plus riches et faisant baisser le montant des recettes. Il est donc vital pour notre modèle social de défendre l’impôt bec et ongles. Mais cela suppose l’adhésion à un modèle social chaque jour « détricoté » et qu’on est tenté d’abandonner quand on voit qu’il n’existe plus de possibilité d’ascension sociale, ni par l’école ni par le travail.

  1. L’impôt anticapitaliste

L’impôt a une fonction de justice sociale : il remet en cause les inégalités générées par la propriété privée en la taxant et en mettant en commun les recettes qu’on appelle du doux nom de finances publiques. Il va à l’encontre du fonctionnement inégalitaire du « marché » qui donne des salaires faibles aux exécutants et des revenus très élevés aux possédants.

Quel est ce fonctionnement inégalitaire du marché ? L’idéologie de la libre concurrence partout. Prenons le rêve d’un économiste libéral vu à la télé : que chacun paie pour sa consommation. Les trottoirs sont aujourd’hui financés par la collectivité. Ils pourraient être un jour un bien privé. Chacun aurait une puce dans sa chaussure qui donnerait sa « consommation » de trottoir, les kilomètres parcourus sur le bien privé. Chacun paierait en fonction de son utilisation. Ce serait le principe de la TVA appliqué à tout.

L’impôt, lui, corrige les inégalités. Avec un impact réel sur notre niveau de vie. On considère que le dixième de la population le plus pauvre a un revenu annuel de 3 730 euros et que son revenu disponible après redistribution passe à 9 850 euros. À l’autre bout de l’échelle des richesses : le dixième de la population le plus riche passe d’un revenu de 75 330 à 58 440 euros.

  1. L’impôt démocratique

En manifestant son rejet de l’impôt, on se met en position de dicter quelle serait notre juste participation à la collectivité. Or c’est à la collectivité dans son ensemble de dire quelle participation chacun doit fournir. Nous l’avons vu, l’impôt est actuellement accaparé par les plus riches. Les finances publiques et les lois sont détournées au profit d’une minorité.

La politique fiscale actuelle est menée par une oligarchie (pouvoir d’une minorité) dans son propre intérêt. Une oligarchie qui ne dit pas son nom mais fait élire l’un ou l’autre de ses champions tous les 5 ans pour conserver l’appellation « système démocratique ». Une oligarchie qui demande en plus qu’on la trouve utile et qu’on lui déroule le tapis rouge pour daigner investir chez nous.

L’impôt, puisque nous le payons, devrait nous pousser à contrôler les élites politiques et économiques. Déjà en donnant les moyens à l’administration fiscale et à la justice de lutter contre la fraude. En empêchant l’évasion fiscale. En se préoccupant localement et nationalement de l’utilisation des recettes de l’impôt.

Cependant on ne peut pas espérer que l’impôt corrige à lui seul des inégalités qui sont renforcées chaque jour par le système capitaliste. Une grande réforme de l’impôt doit donc s’inscrire dans un changement de modèle politique, économique et social. Alors nous pourrons rendre à l’impôt ses lettres de noblesse révolutionnaires : en faire un impôt vraiment juste.

  1. L’impôt révolutionnaire

Certains économistes proposent de rediriger la fiscalité sur les plus riches et sur le patrimoine afin de rendre de nouveau l’impôt progressif (plus on a, plus on paie). Thomas Piketty, dégagé par Hollande, est ainsi devenu le conseiller fiscal du parti espagnol anti-élites Podemos, issu de la mouvance des Indignés, qui est donné en tête des intentions de vote pour les élections générales de la fin d’année. Il espère une refonte de la “démocratie” par l’impôt.

 

Frustration propose d’aller plus loin dans la justice sociale :

– Imposer davantage les grandes entreprises. Une multinationale comme Total ne paie pas d’impôts en France puisqu’elle déclare ne pas y réaliser de bénéfices.

– Supprimer purement et simplement les impôts régressifs comme la TVA.

– Imposer le patrimoine, le traquer partout où il se cache. Imposer le patrimoine semble violent, on le voit avec les critiques contre l’ISF. C’est pourtant l’impôt le plus égalitaire puisqu’il prend dans les richesses accumulées pour rebattre les cartes. Il faut donc imposer davantage les actifs financiers et professionnels.

Frustration préconise d’instaurer la terreur fiscale pour les très-riches.

Les discours de haine de l’impôt donnent parfois l’impression que le seul problème c’est l’impôt alors qu’au contraire il sert à lutter contre les inégalités.

Certains s’associent aux plus riches dans leur volonté de destruction de l’impôt. Or si l’impôt est injuste c’est parce qu’il ne taxe pas assez les privilégiés pour rééquilibrer les richesses. Les recettes fiscales diminuent et c’est toute la collectivité qui trinque.

À ceux qui persistent dans leur soutien aux politiques anti-impôt : par ici la sortie ! Merci de rendre votre carte vitale, votre fiche de congés payés, les manuels scolaires des enfants et de ne pas emprunter cette jolie route bien goudronnée pour quitter le pays.

Personne ne prend la porte ? Tout le monde pense que l’intérêt individuel est indissociable de l’intérêt général, que nous pouvons fonctionner ensemble et non au détriment les uns des autres ?

L’impôt ne doit pas être un bandit de grand chemin qui agresse le paisible travailleur comme le souhaitent les puissants. L’impôt doit prendre aux riches pour rendre aux pauvres et redevenir Robin des Bois.