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Depuis le début de la crise sanitaire et économique, une petite musique politico-médiatique monte en crescendo. Il serait frappé de bon sens, dans la période actuelle, que les travailleurs acceptent de sacrifier de leur temps libre pour produire davantage et relancer la machine économique. Dans un esprit faussement teinté de patriotisme et de solidarité, les petits soldats du capitalisme expliquent à tour de bras combien il est vital pour l’économie, les entreprises, et donc en bout de chaîne pour le travail et les salaires, que les travailleurs renoncent à des congés payés et à la semaine de 35h pour rattraper les points de PIB perdus en France. Ces propos sont en fait totalement mensongers.

Dans un récent article, le patron du Medef meuglait qu’il était nécessaire de “poser la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire”. Il grognait également que “l’important, c’est de remettre la machine économique en marche et de reproduire de la richesse en masse, pour tenter d’effacer, dès 2021, les pertes de croissance de 2020”. Avec ce formidable effet d’aubaine, l’ensemble des forces néolibérales s’engouffrent avec délectation dans cette brèche béante que leur offre la crise économique que nous traversons. 

  • Ainsi le président du parti Les Républicains pointe du doigt le “carcan” des 35 heures et qu’on y “ gagnerait sur tous les fronts” avec la semaine de 40 heures. 
  • Ainsi une journaliste de LCI porte la même expression du visage que Jacques Villeret dans Le Dîner de cons lorsque Philippe Martinez ne partage pas avec elle la nécessité d’augmenter le temps de travail afin de « rattraper » les deux mois de moindre vente de marchandises par les entreprises.
  • Ainsi les think tank ultralibéraux (Institut Montaigne, l’IFRAP, etc.) donnent la parole à des charlatans nostalgiques du tâcheronnage et maqués avec le pouvoir jugeant que la période actuelle est propice à la mise à mort de ce qu’il reste d’acquis sociaux pour les travailleurs. Véritable coterie, tout ce beau monde profite de la période sombre et trouble que nous traversons actuellement pour orner la litanie qu’il dégueule habituellement du sceau de l’évidence. « Mais enfin ma p’tite dame… ». Les travailleurs, bloqués entre le marteau et l’enclume, devraient accepter que le forgeron redouble son ouvrage car…cela va de soi !

Regagner de la croissance en augmentant le temps de travail individuel…ah bon ?

Mais pourquoi diable augmenter le temps de travail ? « Pour regagner les points de PIB perdu » on vous dit ! « Pour créer une croissance supplémentaire ! » nous dit-on encore. Pour comprendre la supercherie, faisons un (tout) petit détour économique. Le PIB d’un pays est égal à la somme des valeurs ajoutées des entreprises. La valeur ajoutée d’une entreprise représente les richesses créées dans l’entreprise. Comptablement, la valeur ajoutée d’une entreprise s’obtient donc en soustrayant de son chiffre d’affaires les dépenses en matières premières et autres consommations externes (loyer, électricité, etc.). C’est la valeur que le travail, par sa puissance créatrice, a ajoutée aux matières premières et autres consommations externes consommées et assemblées lors du processus de production des marchandises ou services. 

Par exemple Renault accroît sa valeur ajoutée (son PIB) lorsqu’en augmentant ses achats de plastique, d’acier, d’essence, d’électricité, ou que sais-je encore, l’entreprise produit et vend plus de voitures qu’avant. Si vous avez suivi jusqu’ici vous comprendrez l’entourloupe. Si le patron du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, souhaite réellement « reproduire de la richesse en masse » et tenter « d’effacer les pertes de croissance de 2020 » nous avons une astuce simple à lui donner : que lui et ses congénères embauchent massivement dans leurs entreprises ! Cela augmentera le temps de travail collectif en France en augmentant le nombre de travailleurs. Et à coups sûrs, cela permettra d’accroître la production (plus de force de travail pour transformer et assembler les consommations externes de Renault afin d’en faire des voitures). La baisse du chômage permettra à la consommation de suivre et solvabilisera la vente de cette production. Le PIB progressera. De Bézieux sera content… 

Non : ça c’était une feinte, pour voir si vous suiviez. Le Medef ne sera évidemment pas content, car ce qu’il cherche en réalité ce n’est pas de protéger la croissance et le PIB français, mais plutôt le profit des grandes entreprises. Et le profit n’a rien à voir le PIB, qui je vous le rappelle est la somme des valeurs ajoutées. Entre la valeur ajoutée et le profit, il y a autant de différence qu’entre le salaire que vous touchez sur votre compte courant en début de mois et les éventuelles économies que vous réussissez à mettre sur un livret A à la fin du mois. Entre les deux, vous avez payé vos courses, votre loyer, votre essence, la crèche de vos gosses, etc… Pareil pour les entreprises : entre la valeur ajoutée et le profit, elles ont payé les salaires, les cotisations sociales, les impôts et taxes, les intérêts de leurs emprunts financiers et d’autres choses encore. 

Ce qui intéresse le citoyen, c’est la valeur ajoutée. Ce qui intéresse le patron et l’actionnaire, c’est le profit

Le profit c’est ce qu’il reste à une entreprise à la toute fin, une fois qu’elle a payé l’ensemble de ses dépenses. C’est ce qui est massivement versé aux actionnaires, surtout en France avec 172 milliards d’euros de versés en dividendes en 2018, et qui ne profite pas à l’économie réelle. Ce qui intéresse le travailleur, et le citoyen d’une manière plus générale, c’est la valeur ajoutée (et la part consacrée à l’emploi, aux salaires, aux services publics). Ce qui intéresse le patron et l’actionnaire, c’est le profit. Rien à voir donc. En insistant pour que ce soit le temps de travail individuel qui augmente (en augmentant la durée du travail hebdomadaire, ou en supprimant des jours de congés), à rémunération constante évidemment, le Medef et ses petits chefaillons souhaitent accroître la valeur ajoutée des entreprises, mais, mais, mais,…sans hausse parallèle de dépenses en salaires afin de libérer du profit pour les actionnaires.

Finalement, ils nous expliquent tranquillement que leur projet de société post-Covid est d’accroître d’un cran le taux d’exploitation du travail, d’extirper davantage de plus-value sur chaque salarié. Nous entendons d’ici Karl Marx nous crier « rien d’étonnant ! », lui qui avait déjà pointé du doigt les contradictions fondamentales du capitalisme et les stratégies d’entreprises pour limiter la baisse de leurs taux de profit. Souvenons-nous qu’il appelait également le prolétariat – la classe de travailleurs – à s’unir dans la lutte… Y’a plus qu’à.   


Tibor Sarcey