[Article de juillet 2018, édité le 17 février 2020]
C’est un petit amendement d’apparence inoffensive qui est venu, lors de l’examen à l’Assemblée du projet de loi de révision constitutionnelle en juillet 2018, révéler les pires intentions des macronistes pour la Sécurité sociale : jusqu’à présent, notre Constitution la mentionnait comme telle. Désormais elle mentionnera la « protection sociale ». Son auteur n’est autre qu’Olivier Véran, nouveau ministre de la santé et désormais en charge du projet de de loi de réforme des retraites. Voici pourquoi cet amendement ouvrait la porte à la dilution puis la liquidation de la Sécurité sociale, et pourquoi on doit s’inquiéter d’avoir un ministre ayant eu une idée pareille :
- Alors que « Sécurité sociale » faisait référence à un système d’assurance collective face aux risques de la vie (santé, vieillesse, famille, accident du travail…) qui fonctionne par la cotisation et est gérée par les travailleurs pour l’ensemble de la population, « protection sociale » est le terme générique qui désigne toutes les institutions d’assurances : la sécu oui, mais aussi les assurances-privées, les mutuelles, les complémentaires…. Autrement dit, la Constitution modifiée par les macronistes permettra au gouvernement et au Parlement de légiférer sur nos droits à la protection et à la santé au sein d’un champ plus vaste que la seule Sécurité sociale. Les assurances-privées deviendront une option constitutionnellement viable.
- Cela participe d’un processus déjà largement entamé : depuis 1992, la Sécurité sociale n’est plus seulement financée par les cotisations mais aussi par l’impôt : la CSG (créée par les… « socialistes »). Cela a donné un prétexte aux gouvernements successifs pour se mêler de sa gestion, auparavant dévolues aux travailleurs, et a faire voter par le Parlement des grands plans d’austérité.
- A cause de ces plans d’austérité, la France est passée de meilleure système de santé du monde en 2000 à un pays où des gens meurent aux urgences, faute de prise en charge rapide et où nos anciens sont maltraités dans des EHPAD par des personnels sous pression. Les macronistes ont poursuivi ce mouvement en votant fin 2017 le plus important plan d’économie sur la Sécurité sociale depuis les années 1990 : 4,2 milliards sur l’assurance-maladie.
- Les quelques évolutions qu’ils décident, comme un meilleur remboursement des prothèses dentaires et des lunettes, repose entièrement sur les mutuelles complémentaires. L’idée est bien, pour s’assurer collectivement, de ne plus passer par la sécu mais par le privé. Et comme ils n’ont eu de cesse de briser la sécu, tous ceux qui en ont les moyens seront bien content de pouvoir un jour rendre une carte Vitale qui ne vaut plus rien. Une sécurité sociale pourrie pour les pauvres, des assurances-privées pour les autres : c’est ce à quoi conduit la politique macroniste, rendue désormais acceptable du point de vue de notre Constitution avec cet amendement scélérat.
Il est possible de s’opposer à cette ultime crasse qui révèle l’ampleur antisociale du projet macroniste. L’amendement n’a été voté qu’en commission et, avec une mobilisation suffisamment grande, pourrait passer à la trappe d’un gouvernement qui se sait de plus en plus haï. Cette crasse macroniste doit aussi nous redonner des ambitions populaires : le projet des fondateurs de la Sécurité sociale était qu’à terme, elle soit l’unique système d’assurance face aux risques de la vie. Finies les complémentaires, finies les assurances privées, terminé le reste à charge pour les assurés sociaux… Dans un pays aussi riche et productif que le nôtre, le système qui consiste à dire “de chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins”, peut assurer la protection de toutes et tous. Et éradiquer le mutualisme dévoyé, l’assurance-privé coûteuse et la dépense individuelle dispendieuse et inégalitaire.
Ajout : Après l’indignation que l’amendement a suscité (on y avait à l’époque bien contribué), Olivier Véran l’a retiré, avant de réintroduire son esprit et ses conséquences dans la loi. La dilution de la Sécurité sociale dans la protection sociale est donc bien “en marche”.